Tout au long de leur Histoire, les hommes ont été à la recherche de l’extraordinaire ou du « fabuleux », plus flou. Ils se sont inventés des histoires plus ou moins logiques et plus ou moins crédibles pour, au-delà de la réalité mais en en utilisant des éléments ou en prétendant existants des « possibles » non concrétisés, créer dans leur propre esprit un monde merveilleux et le faire partager à leurs semblables. Les récits mythiques, les épopées qui se prétendent vrais, comme les contes-et-légendes ou la science-fiction qui eux s’admettent en décalage avec le réel, sont de cette veine. Les récits des Grandes-découvertes ont souvent suivi ce processus, en déformant le réel (les Patagons !) ou en le mettant simplement de côté en affirmant des faits invérifiables (l’El Dorado !). L’astronomie également, du moins à ses débuts. Mais dans ce domaine et surtout en allant vers l’horizon cosmologique, même les esprits les plus froids et les plus rationnels sont, avec le temps et les progrès dans notre connaissance et notre compréhension de l’Univers, confrontés au fait que le réel s’approche asymptotiquement du merveilleux, que l’incroyable rejoint le croyable pourvu qu’il soit petit à petit vérifié par l’observation.
Il y a quinze jours, j’ai publié sur ce blog un article sur la Réionisation qui est un de ces processus fantastiques mais qui, dans l’état de la Science, est extrêmement probable car corroboré par l’observation, les calculs et la logique. Un événement qui est encore plus extraordinaire (on est plus loin sur la courbe de l’asymptote et donc plus près, sans bien sûr l’atteindre, de l’axe de la Vérité) est celui de la libération des photons qui a permis la concrétisation du Cosmic Microwave Background (CMB). Il l’est (plus extraordinaire) parce qu’il est la première manifestation de la lumière (« Et la lumière fut »). Il apparaît aujourd’hui dans des longueurs d’ondes relativement longues (micro-ondes) du fait de l’étirement de l’espace-temps, mais il fut en partie lumineux à l’origine (il ne le fut qu’en partie seulement car d’autres segments du spectre électromagnétique furent sans-doute également activés par l’événement ou presqu’en même temps). Les photons emprisonnés dans la matière, alors essentiellement un plasma, en furent dégagés du fait de la diminution de la densité et de la pression, résultant de la continuation de l’expansion venant de l’explosion primordiale.
Le Cosmic Microwave Background est ce qu’on perçoit aujourd’hui dans le domaine des ondes électromagnétiques. « Fond diffus cosmologique » en est sa traduction en Français, expression un peu plus vague cependant puisqu’elle ne précise pas le segment de longueurs d’onde. Mais lorsqu’on parle de « Surface de dernière diffusion » on va un peu plus loin, au-delà de la description pure, en en donnant une première explication.
La Surface de dernière diffusion est en effet l’interprétation que l’on donne au CMB comme le dernier instant où l’Univers était encore une masse unique et cohérente de plasma, au sein de laquelle les photons étaient toujours prisonniers du fait de la densité toujours extraordinairement élevée de cette masse et en dépit de l’énergie qui s’exprimait de par son expansion. Dans cette masse les photons n’avaient aucune liberté car ils étaient presque immédiatement absorbés après leur émission par la matière environnante, principalement du fait de leur interaction avec les électrons car ceux-ci ne pouvaient restés liés aux protons du fait de la pression environnante. Avec la diminution de la densité et le refroidissement résultant de cette diminution, les électrons poussés par l’interaction électromagnétique, se lièrent de plus en plus avec les noyaux atomiques et ce fut ce qu’on appelle la « Recombinaison ». Cette préférence des électrons pour les noyaux atomiques, laissa le champ libre aux photons. La Libération fut très rapide, quelques milliers d’années, mais variable selon les endroits en raison de très petites différences de densité. Elle se fit après une « Dernière-diffusion » qui fut la dernière interaction des photons avec les électrons au sein de la matière. Elle dégageât, tout en la portant et en la transmettant, une image de tout le reste de la matière chargée d’énergie et encore cohérente mais moins dense, cette « Surface » dont les photons venaient de se désolidariser. Surface qui est restée observable du fait de ce rayonnement, telle qu’elle était à ce moment précis et pour l’Eternité.
Malgré l’écoulement du temps, 13,8 milliards d’années moins 380.000 ans, « aujourd’hui », ce rayonnement continue à exister, immobile à la vitesse de lumière invariante. Mais l’expansion de l’Univers nous éloigne de plus en plus de son émission (et décale de plus en plus vers le rouge l’image que l’on en a). La longueur d’onde de ce rayonnement s’allonge donc de plus en plus, de telle sorte qu’il est observable aujourd’hui dans le segment des micro-ondes du spectre électromagnétique. C’est un rayonnement très refroidi, environ 2,7 K seulement. Il est partout présent dans notre horizon puisque c’est l’ensemble de l’Univers primordial qui l’a émis. C’est pour cela qu’on l’appelle encore le « Fond diffus cosmologique ». Mais comme indiqué, ce Fond continue encore à présenter des irrégularités de densité, expression visible des « anisotropies » de la Surface de dernière diffusion. On cherche bien sûr à savoir ce qu’il y a derrière le miroir*, à l’intérieur du magma primordial, pour remonter le plus loin possible vers l’origine de l’expansion.
*On peut bel et bien parler de « miroir » car si cette surface ne reflète évidemment pas le rayonnement de notre monde actuel, elle nous donne bel et bien l’image de ce monde puisque la répartition des densités actuelles de l’Univers résulte de la répartition des densités qu’elle présente à notre observation.
L’homme est curieux, il a soif de savoir et surtout de comprendre. Et depuis qu’il bute sur ce miroir il cherche à le pénétrer par son observation et par sa réflexion. Pour cela il dispose de la carte des anisotropies elle-même, de quelques types de rayonnements particuliers en-dehors du spectre électromagnétique, et d’extrapolations par le calcul. La carte des anisotropies est de plus en plus précise à force d’utiliser des instruments d’observations de plus en plus puissants, de plus en plus pointus (COBE, puis WMAP, puis Planck). Les rayonnements particuliers qu’on pourrait dire « auxiliaires » à ceux du spectre électromagnétique sont (pour le moment…mais est-ce possible qu’il y en ait davantage ?) ceux des neutrinos et les ondes gravitationnelles. Les neutrinos car plus « légers » que les photons, se sont dégagés de la matière quelques fractions de seconde avant les photons. Les ondes gravitationnelles car elles expriment par leur grondement sourd, les mouvements de convection, les malaxages extrêmement puissants (on dit l’« oscillation acoustique des baryons » en raison de leur longueur d’onde) qui se déroulaient avec une extrême lenteur au sein du magma de la matière en expansion, avant la libération de la lumière, avant qu’elle offre au rayonnement électro-magnétique la carte aujourd’hui « visible » par observation de ce rayonnement, la Surface de dernière diffusion.
L’extrapolation, c’est, en prenant les variations d’intensité observables à différentes époques, en déduire ce qu’il pouvait y avoir avant. On dispose des différences de densité de notre Univers « contemporain » (qui en fait ne l’est pas vraiment car on ne peut voir tout autour de nous, que notre passé du fait de la finitude de la vitesse de la lumière). On dispose aussi des différences de densité de l’Univers lointain (au-delà de 6 ou 7 milliards d’années). On dispose encore de celle de la Réionisation, plus éloigné encore, à la sortie des Âges Sombres, quelques petites centaines de millions d’années seulement après la surface de dernière diffusion (grâce à l’observatoire JWST). Et bien sûr, tout au fond, on dispose de cette surface « gelée » de la dernière diffusion (que l’on sait par le raisonnement et par les quelques rayonnements non électromagnétiques perçus, ne toujours pas être l’« Origine »).
On tâtonne encore, des théories s’élaborent. Le premier, l’abbé George Lemaître, qui disposait de bien peu d’éléments mais de la puissance inégalée de son esprit, a tout de même, par le calcul, élaboré en 1931 l’hypothèse inouïe de l’Atome Primitif. Stephen Hawking en a fourni une autre, très belle, celle de l’Origine du Temps. Roger Penrose en a fourni une autre, magnifique, celle de la Cosmologie Cyclique Conforme (« CCC ») qui ouvre la Cosmologie sur l’éternité.
Nous ne Saurons peut-être jamais vraiment mais nous Saurons toujours un peu plus, nous déplaçant toujours plus loin sur la courbe asymptotique de la compréhension du monde. N’est-ce pas merveilleux ? Cela ne vaut-il pas toutes les histoires non-scientifiques que tous les hommes se racontent depuis que leur capacité de raisonnement est sortie du brouillard avec l’évolution fulgurante (au regard des temps cosmiques) de notre espèce ? Nous sommes au point où la Science rejoint la Religion dans l’incertitude avec l’avantage pour la première qu’on peut la comprendre et qu’on peut la faire progresser. C’est la confrontation de la Raison et de la Foi. On peut faire un « pari » comme Pascal le fit, et choisir la seconde plutôt que la première. On peut préférer l’une à l’autre. On peut encore fondre sa sensibilité et la raison dans les deux, comme dans le magma primitif, avec une légère inégalité de densité comme une anisotropie, la Science repoussant la Religion toujours plus loin sur la courbe de l’asymptote. Et ce n’est pas parce qu’on est plus loin que l’incertitude devient nulle. On pourra toujours parler de Chronos et du Temps, de la Matière ou de l’Energie et de l’Esprit, de la Science et de Dieu, sans jamais avoir la Réponse en ce monde.
Illustration de titre :
La carte des anisotropies de température du fond diffus cosmologique dressée par la mission Planck (la température varie de seulement 600 microkelvin entre le bleu, plus froid, et le rouge, plus chaud). ©ESA/Planck Collaboration
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fond_diffus_cosmologique
https://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-4357/ad1bc6
#Cosmologie #Réionisation #FondDiffusCosmologique #CMB #CosmicMicrowaveBackground #SurfaceDeDernièreDiffusion
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Index L’appel de Mars 24 03 11
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Réunion MSS :
J’organise une réunion de la Mars Society Switzerland à Neuchâtel le 10 avril à 17h00. Que ceux de mes lecteurs qui veulent y participer me contactent. Nous aurons une présentation des étudiants Master de l’EPFL qui ont travaillé cette année sur la faisabilité d’un dirigeable martien (sous ma supervision et celle de Claude Nicollier). Cette fois-ci la participation sera payante pour les non-membres, 40CHF, (et vaudra adhésion à la Mars Society Switzerland) car nous avons un projet coûteux (Congrès) en vue pour l’année prochaine.
18 réponses
Bonjour Monsieur Pierre Brisson
Votre article est excellent comme d habitude.
Plus l on va vers l infiniment petit plus les energies mises en oeuvre sont enormes jusqu a atteindre le mur de Planck considere comme une barriere infranchissable derriere laquelle on ne sait ce qu il y a. Alors la question est la suivante: l etirement de l espace temps commence t il devant le mur de Planck ou bien commence t il derriere le mur de Planck ?
Pour avoir des migraines c est impeccable!
et surtout cela risque de facher Saint Augustin qui a declare : »je promets l enfer a ceux qui posent de telles questions »
Merci Niogret.
Je vois que Christophe de Reyff vous a répondu sur le temps de Planck. Évidemment rien à ajouter et merci à lui de m’avoir éviter la migraine.
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Trêve de plaisanterie, la question est passionnante puisqu’il s’agit de penser l’impensable, la possibilité de temps avant le Temps ou l’impossibilité d’un debut avant le Temps ou un Temps potentiel immobile (quantique) déstabilisé et qui se met en mouvement pour une raison inconnue (par Temps il faut évidement entendre Espace et Temps ou Espace-Temps).
oui penser l impensable c est deja tres difficile concernant le pemps t0….mais le plus effarant c est cette colossale quantite d energie pour ainsi dire insufflee dans notre univers a ce moment la dans un volume minuscule :mais d ou sortait donc cette energie ou comment a t elle ete cree ?car il s agit aussi de la quantite d energie totale qui compose notre univers actuel c est surtout cela le gros probleme .
D’énergie et/ou de masse puisqu’à l’origine il n’y avait aucune différence.
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Une explication peut être la CCC de Roger Penrose. Mais cela ne fait que reporter le point d’interrogation à un éon précédent.
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Je n’ai pas la réponse.
Ne vous inquiétez pas !
Selon la relativité générale, il ne semble pas y avoir de conservation de l’énergie au niveau de l’Univers en expansion dans son ensemble. Ainsi, le bilan énergétique de l’Univers pourrait aussi bien être nul !
En effet, l’énergie de masse (E = m c²) de toutes les masses et celle de tous les rayonnements pourraient être quasiment compensées par l’énergie gravitationnelle, négative, entre toutes les masses.
Encore plus intriguant : lorsque, du fait de l’expansion accélérée, notre Univers observable se sera quasiment vidé de tout (il ne restera que notre insignifiant petit Groupe local de galaxies autour de nous), l’expansion continuant indéfiniment, et en sachant que l’énergie du vide n’est pas nulle (car la densité d’énergie du vide, ε, est une constante (*), liée à la fameuse constante cosmologique, Λ, responsable de l’expansion accélérée, qui est de l’ordre de 1,1056 10^-52 m^-2), on en conclue justement que l’énergie de cet Univers vide de taille croissante doit augmenter avec l’expansion, mais … elle doit être exactement compensée par le travail d’expansion, de signe opposé, donc une pression négative (p = -ε), ce qui continuerait de garantir que le bilan énergétique de l’Univers reste toujours nul.
(*) je ne résiste pas au plaisir de donner sa valeur : ε = Λ / κ = Λ c^4 / (8 π G) = 5,33 10^-10 J/m^3 (valeur souvent arrondie à ~10^-9 J/m^3, soit aussi à ~5 GeV/m^3), sachant que κ = (8 π G) / c^4, est la constante gravitationnelle d’Einstein qui vaut 2,076 10^-43 m/J
Oui c est fou ce truc ! merci de votre reponse Christophe de reyff
Le « mur » de Planck est simplement la première des durées élémentaires qui se succèdent les unes aux autres, une sorte d' »atome » de temps, valant le temps de Planck, comme il y a un « atome » d’espace, la longueur de Planck. Ces durée et longueur élémentaires sont comme des quanta de temps et d’espace. On ne peut rien dire ni savoir sur des durées ou des longueurs qui seraient plus brèves ou plus courtes. Autrement dit, un temps 0, comme un espace ponctuel de dimension 0, ne sont que concevables dans notre esprit (tout comme l’infini, déjà discuté ici), mais n’existent pas dans la réalité.
Stephen Hawking, pour éliminer l’idée même, insupportable pour lui, d’un commencement du temps au point 0, a prévu un temps « imaginaire » aussi en unités de Planck, qui précéderait le temps réel sans aucune rupture, sans mur, comme on peut franchir le pôle nord en suivant un méridien pour se retrouver sur le méridien -180°, sans rencontrer d’obstacle. Mais cela reste une hypothèse dont la vérification expérimentale serait de recevoir des signaux hypothétiques de ce « jour d’avant le premier jour ». La question reste ouverte.
Qu’y avait-il avant le supposé big bang ?
Une picoseconde avant ? Une seconde avant ? …. Un milliard d’années avant ?
C’est LA question!
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Rien si le Temps n’existait pas. Mais quand même quelque chose puisqu’il est apparu.
Merci de répondre et de donner ces précisions Monsieur de Reyff.
Je pense que Stephen Hawking malgré sa subtilité n’a pas donné une réponse convaincante à la naissance du Temps. La question reste ouverte!
je vais me permettre de repondre comme Saint Augustin : l enfer pour ceux qui posent de telles questions !
Dans le vision CCC de Penrose est ce que les bosons de Higgs passent d un univers au suivant ?en effet ils vehiculent la force de gravitation et etant donne que tous les fermions ont ete detruits dans l univers precedent les bosons de Higgs ne servent plus a rien: ils auraient du disparaitre de l univers precedent?non ou je raconte une betise?
Selon ma conviction, la CCC (cosmologie cyclique conforme) est purement spéculative. Toutes les tentatives de preuves expérimentales ont échoué. Que l’Univers se « répète » en des cycles infinis successifs est aussi inadmissible que de supposer l’existence d’une infinité d’univers parallèles dans la théorie du multivers. Ces deux théories sont fausses à la base, car elles admettent l’existence de l’infini en acte qui est impossible. La notion d’infini ne peut que se concevoir dans la pensée, mais pas dans la réalité. Comme l’a écrit Georges Lemaître : « L’espace réel, l’Univers, est fini, sinon le tout est égal à la partie… ». Il faut bien se persuader de ce que signifie « sinon le tout est égal à la partie » et de ses conséquences absurdes. Il ne faut bien sûr pas confondre infini avec illimité : l’espace est homogène, fini, mais sans borne.
Bonjour
Au sujet de la CCC
Au sujet de l existence d une entropie dans l univers primordial : oui pourquoi pas ?
Mais au sujet de la reconcentration de la » matiere » qui subsiste en une nouvelle origine ultra dense : la je ne vois pas sous quel effet cette reconcentration se produit…
et je ne comprends pas cette notion de » changement d echelle » qui se substiturait a cette reconcentration…
le fait est que le fond diffus cosmologique presente des anisotropies de deux sortes: symetrie dans les hemispheres « nord » et « sud » et variations faibles de « temperatures » un peu partout: cela serait du a des inhomogeneites dans l univers primordial mais l on se demande pourquoi; l univers primordial aurait du etre parfait et s il ne l est pas c est peut etre du a la structure qui l a engendre et cette structure devait etre le lieu de champs de forces colossaux…on retrouve ici l idee de Roger Penrose qui cherche des traces de son univers precedent dans l examen du fond diffus…
Ou alors les ingenieurs du createur se sont plantes !
Bonne réflexion Niogret. Il est vrai que ces anomalies « interpellent » comme ont dit. Quand on les comprendra on aura fait un grand pas dans la compréhension de ce qu’il y a « derrière le miroir ».