Les « étoiles à neutrons » sont des astres étranges qui se situent de par leur masse volumique, entre les plus denses des étoiles, les « naines-blanches », et les « trous-noirs ». Elles sont assez nombreuses dans notre voisinage spatial mais très petites et, bien après en avoir fait la théorie, nous n’en n’avons réalisé la présence que lorsque l’on a compris que les pulsars étaient un de leurs modes d’expressions.
Comme les naines blanches, les étoiles à neutrons sont l’aboutissement de la vie de leur étoile génitrice, les différences sont la masse d’origine de cette génitrice et de son noyau résiduel après explosion en nébuleuse planétaire ou en supernova. Une naine jaune, comme le Soleil, (de 0,7 à 7 masses solaires), va produire une naine-blanche (en fait son noyau), durable, de moins de 1,44 masses solaires (« limite de Chandrasekhar »), composé des éléments lourds (des « métaux », jusqu’au carbone) générés par nucléosynthèse avant la dissémination de ses couches externes dans l’espace et qui va ensuite très lentement se refroidir. La limite de Chandrasekhar théorisée en 1930 par le jeune (il avait 20 ans !) Subrahmanyan Chandrasekhar, plus tard appelé « Chandra », est la masse maximale au-delà de laquelle la « pression de dégénérescence » des électrons ne peut plus contrer la force de gravité au sein du noyau d’une étoile. Ainsi une étoile de 8 masses solaires et plus, va générer un noyau dense de 1,44 masses solaires et plus, qui va entraîner son « effondrement gravitationnel » et la poursuite du processus de transformation au-delà de la structure de naine blanche (cette continuation fut catégoriquement rejetée par Arthur Eddington, l’un des plus grands astrophysiciens de l’époque, lorsque Chandra la lui suggéra* !). L’aboutissement de ce processus est l’étoile à neutrons (Chandra n’était pas allé jusque-là). Mais, au-delà d’un noyau de plus de 3,2 masses solaires (correspondant à une masse initiale de 15 masses solaires), on peut s’acheminer vers un trou noir (il existe quand même des étoiles à neutrons de masse supérieure à cette « limite »).
*Ce qui devrait toujours inciter à beaucoup de prudence avant de rejeter les hypothèses « marginales » !
En fin de vie, l’étoile massive, de masse supérieure à 7 masses solaires, va fusionner le carbone de son cœur, en néon, magnésium, silicium, puis le silicium en fer et au-delà, jusqu’à l’uranium. Lorsque le cœur est converti en fer pour une masse atteignant 1,44 masses solaires, il s’effondre sur lui-même en matière neutronique (résultant de l’absorption des électrons par les protons) la force gravitationnelle n’étant plus compensée par quelque énergie contraire que ce soit. Les couches externes de l’étoile s’effondrent à leur tour vers le cœur, créant une onde de choc. L’onde de choc rebondit vers l’extérieur emportant toute la matière des couches externes sur son passage et de plus en plus vite puisque ces couches sont de moins en moins denses vers la surface. La matière chauffée à de très hautes températures par le choc, est dispersée dans l’espace à des vitesses énormes (plusieurs milliers de km/s). C’est la supernova.
Il reste au centre un cœur et ce cœur c’est l’étoile à neutrons. Ce n’est plus une étoile à proprement parler parce qu’elle ne se comporte plus comme un réacteur à fusion nucléaire ; l’étoile à neutrons poursuit son évolution au niveau non pas de l’atome mais à celui des composants de l’atome. Elle se présente comme une sphère de 20 à 40 km de diamètre (correspondant aux limites de masse de 1,44 à 3,2 !), d’une densité extrême avec une masse volumique de « quelques » 1000 milliards de tonnes par cm3. Sa structure est constituée de 4 couches autour d’un centre dont la composition est probable mais qui reste mystérieuse :
Une « atmosphère » de quelques cm à un mètre…mais qui ne l’est certainement pas au sens ordinaire (on pourrait plutôt dire « écume »). Il s’agit simplement de matière fluide, assemblage d’atomes, d’ions et d’électrons.
Une « croûte externe ». C’est la même matière, cristalline, que celle d’une naine blanche (composée de noyaux atomiques ionisés et d’électrons). Dans cette couche, avec l’augmentation de la densité, les protons fusionnent avec les électrons pour donner des neutrons.
Une « croûte interne ». Quand la densité franchit un seuil de 4,3 × 1011 g/cm−3 (« point de fuite neutronique »), les noyaux atomiques deviennent trop riches en neutrons (provenant de la fusion de protons avec des électrons) et ces derniers s’en échappent pour former un fluide. On a un mélange de noyaux atomique lourds (riches en neutrons), de neutrons et d’un peu d’électrons.
Un « noyau externe ». Quand la densité franchit un seuil de 1,7 × 1014 g/cm−3, les noyaux atomiques achèvent de se désintégrer. Cela donne un mélange de fluides de neutrons, protons et électrons, ces deux derniers types de particules étant nettement moins représentés que les neutrons.
Un « noyau interne ». Quand la densité franchit un seuil de 3 × 1015 g/cm−3, les neutrons se désintègrent ce qui implique que ce noyau interne, ou ce cœur, soit constitué d’un plasma fait de composants plus ou moins exotiques, logiquement divers quarks et gluons…mais on ne sait pas vraiment.
L’étoile à neutrons a conservé le moment cinétique de son étoile génitrice et compte tenu de sa taille, elle tourne sur elle-même à des vitesses considérables, plusieurs dizaines de rotations par seconde, parfois beaucoup plus (pulsars millisecondes) et génère un puissant champ magnétique (jusqu’à 1011 teslas pour les pulsars de type « magnétar »).
L’« invention » conceptuelle de ces astres par le physicien soviétique Lev Davidovitch Landau en 1932 (spécialiste des états condensés de la matière) a été contemporaine de la découverte du neutron, en 1932 (seulement ! Il est toujours étonnant que des découvertes aussi fondamentales soient aussi récentes) par le physicien britannique James Chadwick (prix Nobel 1935). Mais ce n’est qu’en 1967 qu’on observa la première étoile à neutrons, elle se présentait sous forme de pulsar. On la nomma, après coup, « PSR B1919+21 ». Jocelyn Bell (astrophysicienne britannique) auteure de la découverte était alors doctorante et selon les mœurs de l’époque…c’est son directeur de thèse qui, en 1974, obtiendra le prix Nobel pour sa découverte, sans aucune mention de son ancienne élève ! Il fallait évidemment faire le rapprochement entre pulsar et étoile à neutrons, ce que Jocelyn Bell ne fit pas mais c’est quand même sa découverte de cet astre et la reconnaissance de ses particularités de pulsar qui permirent ensuite son identification en tant qu’étoile à neutrons. Le rapprochement ne se fit vraiment que l’année suivante, en 1968, avec la découverte du pulsar du centre de la Nébuleuse du Crabe. Cette dernière, résultant de la supernova survenue en 1054 et commentée abondamment par les astronomes chinois de l’époque (et accessoirement d’autres astronomes de pays alors moins « civilisés » dans le monde) est célèbre…et magnifique (cf. illustration de titre) ! A noter que 90% des quelques 3000 étoiles à neutrons identifiées à ce jour l’ont été du fait de leur expression de pulsar, les autres l’étant presque toutes du fait de leurs émissions de rayons X et gamma. Il est évidemment beaucoup plus difficile d’identifier (sauf par leur émission thermique) les étoiles à neutrons isolées (sans matière « utilisable »* à proximité pour alimenter le pulsar) mais quelques-unes l’ont quand même été.
*NB : C’est la propulsion dans l’espace, à partir du pôle magnétique et dans l’axe magnétique de l’étoile, de radiations émises par l’astre lui-même et/ou de matière environnante (le plus souvent celle de l’étoile compagne) attirée par sa force gravitationnelle puis expulsée puissamment, qui crée le jet qui permet d’identifier le pulsar, la pulsation venant de la rotation de l’étoile selon un axe différent de son axe magnétique (c’est évidemment le plus souvent le cas). Le faisceau d’émissions décrit un cône du fait de cette rotation.
En dehors de leur caractère spectaculaire, les étoiles à neutrons ne sont pas pour nous (égoïstement !) des astres négligeables. Ce sont les événements cataclysmiques qui les ont formées, encore plus que le processus formateur des naines blanches, qui nous ont apporté les éléments lourds dont nous sommes faits. Sans « métaux » (qui ne comprennent pas que des métaux au sens ordinaires mais tous les éléments au-delà de l’hélium), point de vie (outre l’hydrogène, notre corps contient de l’oxygène, de l’azote, du carbone, du phosphate, du souffre, mais aussi du zinc, du cuivre, du fer, de l’or, etc..)! Les étoiles massives sont leurs creusets et les supernovas le facteur de leurs dispersions dans l’univers*. Du fait de leur vitesse d’expansion les nuages de matière dont elles sont constituées vont se mêler aux autres nuages de matières primitives (hydrogène, hélium) ou plus récentes (donc enrichis) et les enrichissent encore plus d’éléments plus lourds. Par leur souffle, elles densifient ces nuages et, dans certains cas, suffisamment pour amorcer une contraction gravitationnelle autour d’un centre et donc la formation de nouvelles étoiles accompagnées de leurs planètes.
*NB : Certaines supernovas, les « supernovas thermonucléaires », résultent de la fusion d’une naine blanche avec son étoile compagne (les étoiles binaires sont très nombreuses dans l’espace et les déstabilisations par accrétion de masses sont fréquentes). La limite de Chandrasekhar est immédiatement atteinte et toute la matière de l’astre compagnon, y compris celle de son cœur, qui ne s’est pas encore densifiée autant que celle de la naine blanche, est répandue immédiatement dans l’espace…cause supplémentaire d’enrichissement du milieu interstellaire.
C’est pour cela que la vie ne pouvait être enfantée par l’Univers avant le déroulement d’une certaine histoire. Il est donc vain de la chercher dans des observations de l’Univers très lointain, c’est-à-dire très ancien, comme certains fantaisistes l’imaginent. La vie est un phénomène inscrit dans l’Histoire et qui ne peut être qu’actuel. C’est parce qu’il est lié à des astres massifs à vie courte que l’enrichissement de l’Univers en métaux est devenu suffisant peu de temps avant que le nuage interstellaire dont notre Soleil est issu se contracte. Cela sous-entend symétriquement que l’Univers futur changera puisqu’il contiendra de plus en plus de métal. De ce fait, certaines zones des galaxies qui ne l’était pas deviendront peut-être habitables selon ce critère, d’autres (comme la nôtre) ne le seront plus ou donneront l’occasion de nouvelles combinaisons organiques à d’autres formes de vie en devenir.
Image de titre : la Nébuleuse du Crabe vue par Hubble. En son centre est tapie une étoile à neutrons. Crédit NASA.
Image ci-dessous : autre étoile à neutrons / pulsar (photos Chandra et WISE), crédit NASA : PSR B1509-58. Découvert en 1982 dans la constellation Circinus, ce pulsar date de l’an 300 après JC. Plusieurs types de radiations provenant de la même source (des rayons X aux ondes lumineuses) sont ici figurés, avec des couleurs différentes.
Image ci-dessous: coupe d’une étoile à neutrons. CC BY-SA 4.0 par Wattcle-Own work. Wikipedia commons.
Lecture : Dragon’s Egg de Robert Forward (décédé en 2002). L’auteur, physicien spécialiste de la gravitation, ayant notamment travaillé sur la recherche des ondes gravitationnelles, était aussi un (bon) écrivain de science-fiction. Dans Dragon’s Egg, publié en 1980, il imagine avec beaucoup de compétences et d’imagination ce que pourrait être la vie à la surface d’une étoile à neutrons. Il était né en 1930 à Geneva, Etat de New-York !
liens:
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89toile_%C3%A0_neutrons
https://www.jpl.nasa.gov/news/news.php?feature=6715
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5 Responses
Je n’ai pas très bien compris la remarque sur les « fantaisistes » qui recherchent (quoi?) dans un passé lointain.
Vu que les premières galaxies se sont formées selon les dernières études entre 200 et 500 millions d’années après le BB, ça veut donc dire que même si elles étaient très primitives en terme d’étoiles et donc de matériaux (lourds), la densité de cet univers « primordial » était certainement plus importante. Autrement dit, si notre système solaire a environ seulement 4.5 milliards d’années, quid des systèmes créer il y a 8 ou 10 milliards d’années dans d’autres galaxies?
Je sais bien que le type d’étoile est important dans notre « développement » mais fondamentalement, on a un seul modèle sous les yeux et du coup, on a un peu tout calquer sur ce dernier. N’est-il pas tout simplement possible que la vie ait pu apparaître ailleurs avec des conditions similaires mais avec 2 ou 3 milliards d’années plut tôt que nous? Et je ne parle pas de 13 milliards d’années en arrière, ça c’est clairement surréaliste.
Bref, quelques milliards d’années ne me parait pas si « fantaisiste »…
Je parle des conditions favorables à l’apparition de la vie. Ceci est évidemment théorique puisque nous ne savons pas si l’apparition de la vie résulte d’un processus « normal » pour ne pas dire « automatique » (ce dont personnellement je doute fortement mais on peut théoriquement envisager le sujet).
Pour moi, remonter à 2 ou 3 milliards d’années dans le temps n’est pas remonter jusqu’à une époque « très ancienne ». L’Univers de cette époque n’était sans doute pas très différent du nôtre, dans certaines galaxies ou dans certaines zones de ces galaxies.
Je pensais plutôt à une dizaine de milliards d’années (peut-être jusqu’à -7 Gy ou -5 Gy). L’idée que ces galaxies aient pu abriter la vie a été suggérée par certains (je ne me souviens pas de qui et je ne pense pas que ce soit important) à l’occasion de la réception de certains « signaux » qui semblaient artificiels (mais qui ne l’étaient pas). Je pense que, à cette époque lointaine, l’Univers devait manquer d’une partie des éléments lourds qui n’avaient pas été encore produits par la nucléosynthèse des étoiles et qui sont nécessaires à la complexité de la vie.
Oui alors effectivement, il serait surprenant qu’une vie soit apparue aussi tôt dans l’histoire de l’univers. Ceci dit, suivant à quel moment on considère la vie sur Terre comme significative (observable autrement qu’au microscope), ce n’est pas si vieux que ça… ou autrement dit, si la gestation de la vie a été relativement longue (quelques milliard d’années), les animaux et nous sommes « récents » et nous nous sommes développés sur une échelle de temps relativement courte (500 millions d’années?).
Vu la profusion d’étoiles et par extension de systèmes dans l’univers, je serais tout de même effaré qu’une sorte de vie ne se soit pas développée ailleurs. Je rappelle qu’il y a 25 ou 30 ans, ceux qui cherchaient des exoplanètes étaient considérés comme des rigolos ou des scientifiques fantaisistes tant le consensus scientifique disait que notre système solaire était unique… or, mission après mission, c’est tout le contraire qu’on constate.
Elon Mask fait de nouveau parler de lui:
« Elon Musk recrute pour Tesla et signe dans un style qui lui est particulier :
« Je me fiche de savoir si tu es même parvenu à obtenir ton diplôme d’études secondaires » »
(vers l’article complet: https://emploi.developpez.com/actu/292377/Elon-Musk-recrute-pour-Tesla-et-signe-dans-un-style-qui-lui-est-particulier-Je-me-fiche-de-savoir-si-tu-es-meme-parvenu-a-obtenir-ton-diplome-d-etudes-secondaires/).
Il est vrai que les diplômes n’ont pas la cote, de nos jours. A en croire E. M., nouveau Croisé de l’intelligence artificielle, il faut fermer d’urgence les universités et confier la recherche au premier savetier venu. Faudra-t-il un diplôme pour aller sur Mars? Qu’en pensez-vous?
Au début du moins, on ne pourra envoyer que très peu d’hommes sur Mars. Compte tenu du tout petit nombre de places disponibles à bord des rares vaisseaux, du coût très élevé du transport et du séjour et de l’impossibilité de multiplier les « back-up », ces hommes devront être ultra-compétents dans leurs domaines respectifs. Il faudra donc qu’ils soient extrêmement qualifiés, extrêmement adaptables, extrêmement imaginatifs et extrêmement coopératifs. Il serait donc préférable qu’ils soient bien diplômés dans leur spécialité et disposant d’une expérience assez longue et diversifiée. Ils devront, avant de partir, faire la preuve de ces qualités.