Comme les médias nous en ont informés il y a quelques jours, une équipe du SETI* Institute, organisme qui s’est donné pour mission de rechercher la vie ailleurs que sur Terre dans l’Univers, vient d’identifier un nouveau volcan important à la surface de Mars, « Noctis ». Ce site est particulièrement bien placé pour qu’on y mène des études géologiques passionnantes et qu’on y envoie la première mission habitée, en vue d’y créer une implantation de longue durée. C’est cette situation qui mérite tout notre intérêt pour ce volcan et non son altitude qui est, somme toute, peu remarquable.

*Search for Extra-Terrestrial Intelligence, organisation américaine privée. L’équipe qui a fait la découverte est dirigée par le planétologue Pascal Lee, également directeur du Mars Institute (voir le lien vers sa publication ci-dessous).

Le volcan « Noctis », c’est son nom provisoire (en attendant un choix officiel) n’est pas en soi une montagne exceptionnelle. Les plus hauts sommets sur Mars, planète qui n’a pratiquement pas connu de tectonique des plaques*, sont des volcans et certains sommets en haut de murs de cratères d’impacts qui ont été particulièrement puissants et qui sont particulièrement bien placés (dans l’hémisphère Sud qui est d’une altitude moyenne beaucoup plus haute que celle des terres du Nord). La hauteur de Noctis au-dessus du datum (altitude zéro, équivalent de notre « niveau de la mer », choisi parce qu’il se trouve à l’altitude du point triple de l’eau** sur Mars) est de 9028 mètres. Ceci est à comparer à l’altitude d’Olympus Mons, qui culmine à 21 km ; à celles des trois géants du « socle de Tharsis » (un peu plus à l’Ouest) : 18,2 km pour Ascraeus Mons, 14 km pour Pavonis Mons, 16,1 km pour Arsia Mons ; et encore un peu plus loin vers l’Ouest, à Elysium Mons qui atteint 14,1km. Noctis n’est donc pas le géant absolu dont nous ont parlé les médias mais ce n’en est pas moins « une belle bête ».

*Même sans tectonique des plaques, cette zone au contact du socle de Tharsis et des Hautes terres du Sud, a dû connaître de très fortes tensions et aussi des fractures, donc des mouvements tectoniques et la création d’ébauches de plaques.

**altitude où, compte tenu de la pression atmosphérique de 610 pascals (6,1 millibars), l’eau pure est à la limite de ses phases solide, liquide et gazeuse, à la température de 0°C.

Le volcan Noctis n’avait pas été remarqué jusqu’à présent, en dépit de sa taille non négligeable et en dépit de sa circonférence (plus de 400 km) parce qu’il est très érodé, et parce qu’il se trouve coincé dans un terrain très chaotique avec des élévations en altitude élevées tout autour, aussi bien que marqué de profondes vallées qui le découpent en plusieurs massifs. C’est un relief presque entièrement « en creux » comme celui des églises abyssiniennes de Lalibela. Le volcan est par ailleurs situé entre l’extrémité du long rift quasi horizontal de Valles Marineris, et sa prolongation vers l’Est, par un chaos tout allongé, très tourmenté, qu’on appelle Noctis Labyrinthus, sans doute l’ébauche d’un autre rift (ou la continuation du même, la continuité étant occultée par le volcan). C’est à l’occasion de l’étude géologique effectuée à partir des satellites martiens orbitant aujourd’hui la planète et qui a mis en évidence la nature des roches, que la réalité s’est imposée. Et une fois que l’on a su qu’il y avait un volcan, on a vu apparaître son volume circulaire caractéristique, comme dans un « jeu des sept erreurs ».

Capture d’écran Google Mars, annotée. Noctis Labyrinthus est la queue de faille qui prolonge sur la gauche (Ouest) Valles Marineris (à l’Est).

L’intérêt particulier de ce volcan c’est d’abord sa localisation. Sur le plan géologique, le fait d’être à la charnière du socle de Tharsis, de deux rifts et des terres plus anciennes de l’hémisphère Sud peut être très porteur de beaucoup d’informations essentielles pour comprendre la planète. Le fait qu’il ait été très profondément entaillé par les mouvements de terrain des deux rifts qui l’enserrent et par l’érosion, permettra de connaître l’histoire géologique du lieu sur une très longue période. Et cette histoire est sûrement très riche puisque le bas du volcan a baigné dans une atmosphère dense (vu que ses diverses pentes et murs descendent jusqu’au datum) et au contact de l’eau qui a circulé dans les failles des rifts. L’eau a très certainement joué son rôle en de nombreuses périodes (y compris il y a seulement quelques petits millions d’années, en fonction des changements climatiques occasionnés soit par un changement d’inclinaison de l’axe de rotation sur l’écliptique, soit par un épisode volcanique, facilités par cette situation de rift (zone de fractures donc de frottements de plaques donc de fuite de magma venant du manteau au travers de la croûte planétaire). Les observations radar ont d’ailleurs confirmé la présence de beaucoup d’eau dans le passé puisqu’il subsiste des marques de gisements importants de glace dans le sous-sol, dont les derniers sont récents*. Le volcanisme récent laisse par ailleurs envisager l’existence de points chauds que l’on pourrait utiliser pour obtenir de la géothermie (et qui pourraient avoir facilité une évolution poussée de molécules organiques sur la voie d’une complexification peut-être prébiotique).

*le gisement le plus important est signalé par un champ de « pseudo-cratères » (rootless cones). Ces pseudo-cratères sont des formations ressemblant fortement à un cratère volcanique mais dépourvue de cheminée. Les pseudo-cratères sont créés par des explosions de vapeur qui ont lieu lors du contact entre une coulée de lave et l’eau d’un lac.

Par ailleurs, Noctis n’est pas loin de l’Equateur, seulement 7,4°S. Cela veut dire qu’il sera plus facile de s’y poser qu’à proximité des gisements de glace qui se trouve plus haut en latitude. Une fusée qui arrive de l’espace profond se positionne en effet naturellement au-dessus de l’Equateur (regardez les disques planétaires naturellement aplatis par la gravité, ou le renflement des planètes à l’équateur).

La faible altitude (autour du datum) des terrains environnants le volcan Noctis du côté de l’Est, offre l’opportunité d’accéder au site volcanique à partir d’un cheminement à basse altitude et d’y établir une base dans des conditions acceptables car bénéficiant de ce fait (altitude basse) d’une protection atmosphérique non pas optimum (comme dans les régions encore plus basses) mais moyenne. Les failles qui ont créé de véritables canyons dans la masse montagneuse devraient offrir une protection supplémentaire contre les radiations, meilleure que dans les régions planes (moins de radiations latérales) et l’on pourra creuser une paroi pour y établir un habitat. Par chance une étendue plate de basse altitude a été repérée à proximité du glacier enterré le plus important et cette étendue donne un accès apparemment facile aux failles qui découpent le volcan. C’est donc là qu’il faudra se poser. L’ellipse d’atterrissage ne sera pas très large, une dizaine de km mais vu les prouesses accomplies lors des dernières missions, cette précision devrait être atteignable.

On pourrait également se poser au pied d’Olympus Mons ou d’Elysium Mons mais la présence avérée d’eau sur le site de Noctis est un facteur très important pour la suite de l’exploration (les hommes et la fusée en auront besoin pour survivre et pour repartir vers la Terre : hydrogène + oxygène). Du point de vue de l’eau, il y a aussi la possibilité d’aller se poser dans la région de Medusae Fossae (les inlandsis de glace d’eau et les cheminements souterrains), dans celle de Nili Fossae en bordure d’Isidis Planitia (les failles mais 22°N), ou dans celle de Melas Chasma (site de Valles Marineris plus loin vers l’Est dans le sous-sol duquel on a repéré aussi de la glace d’eau). Mais l’environnement de Noctis semble extrêmement intéressant pour l’exploration puisqu’il combine tous les avantages de ces différentes régions.

Félicitons Pascal Lee et ses équipes pour leur beau travail qui tombe à point nommé pour commencer à discuter d’un emplacement pour projeter une première expédition habitée vers Mars !

illustration de titre: copie de celle publiée dans le « papier » de Pascal Lee.

liens:

https://www.seti.org/press-release/giant-volcano-discovered-mars

https://www.hou.usra.edu/meetings/lpsc2024/pdf/2745.pdf

#Noctis

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J’organise une réunion de la Mars Society Switzerland à Neuchâtel le 10 avril à 17h00. Que ceux de mes lecteurs qui veulent y participer me contactent. Nous aurons une présentation des étudiants Master de l’EPFL qui ont travaillé cette année sur la faisabilité d’un dirigeable martien (sous ma supervision et celle de Claude Nicollier). Cette fois-ci la participation sera payante pour les non-membres, 40CHF, (et vaudra adhésion à la Mars Society Switzerland) car nous avons un projet coûteux (Congrès) en vue pour l’année prochaine.

5 réponses

  1. Bonjour Pierre Brisson
    Nous connaissons cette planete de mieux en mieux.
    Nous sommes proches de nous poser sur Mars.
    Je viens de parcourir un article concernant Frank Rubio qui est reste un an en pesanteur zero:bien sur a son retour sur terre il a souffert des syndromes classiques concernant les os la circulation sanguine les vertiges les yeux etc mais il s est readapte tres vite…donc nos craintes concernant l apesanteur ne sont peut etre pas justifiees .

    1. Bonjour Niogret,
      Concernant les radiations, il y a une différence entre les séjours à environ 400 km d’altitude (ISS) bien protégé par la coque des Ceintures de van Allen, et les séjours dans l’espace profond (au-delà de ces Ceintures) où toutes les radiations circulent librement (sauf faible effet du bouclier des radiations solaires contre les radiations cosmiques).
      Quant aux effets spécifiques de l’apesanteur, je voudrais bien vous croire sur leur innocuité mais cela ne semble pas être l’avis d’autres observateurs médicaux. Avez-vous les références d’un compte-rendu précis, médical, concernant Frank Rubio?

  2. non je n ai pas de references il s agissait juste d un article non scientifique d ailleurs…et pour les radiations je suis d accord.

  3. Bonjour à tous les lecteurs de cette page. Vous abordez ici deux des plus gros problèmes connus posés par la vie sur Mars: l’apesanteur, les radiations diverses selon l’éloignement par rapport au soleil. Niogret semble penser que le problème des effets de l’apesanteur serait plus facile à résoudre, j’aurais tendance à penser comme lui. Cela passera par des avancées dans le domaine médical, de préférence préventives. Cela implique une plus grande connaissance de notre corps et des moyens de d’agir sur lui de façon positive. Je suis distrait car j’ai lu des recherches sur les moyens de contrer les conséquences du manque de pesanteur et je suis bien incapable d’en donner les références. Mais la voie médicale me semble aussi importante que la tentative de recréer une pesanteur artificielle par la force centrifuge. De la même manière, je crois aussi avoir lu qu’il existait des recherches sur la création d’un matériau composite susceptible de contrer un peu les radiations (israélien??). Est-ce que je me trompe?

    1. Le matériau composite que vous mentionnez et celui qu’utilise la société israélienne, Stemrad pour sa veste Astrorad. Vous pouvez trouver quelques articles à ce sujet dans mon blog. Le principe est d’opposer un proton (noyau d’hydrogène) à un proton incident (particule solaire).

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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