EXPLORATION SPATIALE - LE BLOG DE PIERRE BRISSON

Les sources froides de rayonnements électromagnétiques spatiales sont maintenant à notre portée sur Terre, grâce à la forêt de télescopes fonctionnant en interférométrie à 5000 m d’altitude sur le plateau de Chajnantor. On ne sait ce qu’il faut admirer le plus, les technologies employées pour mettre en place le dispositif ou la technologie qu’il utilise pour observer l’univers.

ALMA (pour « Atacama Large Millimeter/submillimeter Array ») capte les ondes de longueurs allant de 0,32 à 3,6 mm. Ces ondes se situent entre les infrarouges et les ondes radio. Elles transmettent de l’information sur les objets les plus froids de l’univers, très faiblement visibles ou souvent cachés par des émissions plus chaudes, donc tout ce qui est nuage de gaz et de poussière intersidéraux, astres en formation, ou objets très lointains (premières galaxies, dont le décalage important vers le rouge est dû à la vitesse d’éloignement résultant de la distance).

Malheureusement ces ondes sont difficiles à observer car leur rayonnement est absorbé par la vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère terrestre. On a donc recherché pour installer nos capteurs, l’endroit le plus haut (l’atmosphère la moins épaisse) et le plus sec qui pouvait être aménagé sur Terre* et on a choisi le haut-plateau de Chajnantor dans le désert d’Atacama, qui est effectivement extrêmement aride et élevé. L’endroit est heureusement relativement accessible car proche de la ville principale du Nord du Chili, Antofagasta, et du village de San Pedro de Atacama (50 km). Il est aussi proche du Cerro Paranal où sont implantés les Very Large Telescope (« VLT ») de l’ESO (European Southern Observatory).

NB : Mars de ce point de vue constituerait un emplacement idéal pour un futur interféromètre géant, et ce serait une des justifications pour que des hommes aillent s’y installer.

Pour les capteurs, pas question de miroirs donc de télescope à proprement parler puisque les ondes reçues ne sont pas dans le spectre du visible, mais des antennes. Le problème c’est que plus la longueur d’onde est grande (ce qui est le cas quand on s’éloigne des ondes visibles vers les ondes radios) moins la résolution est bonne et plus grande doit être l’antenne. Il faut donc chercher à combiner la lumière de plusieurs capteurs entre eux et c’est pour cela que l’interférométrie s’est vite imposée pour l’étude de cette partie du spectre des ondes électromagnétiques.

Pour ALMA le dispositif choisi est un ensemble gigantesque constitué de soixante-six antennes, soit cinquante, mobiles, de 12 mètres de diamètre, quatre antennes, en formation compacte, du même diamètre et douze antennes de 7 mètres. C’est la plus grande installation astronomique réalisée au sol (à part SKA qui est actuellement en cours). Les antennes peuvent être utilisées ensemble comme un seul télescope, selon différentes configurations allant de l’équivalent d’un diamètre de 150 m à celui d’un diamètre de 16 km, ce qui permet de considérer le dispositif comme un zoom. Dans la configuration 16 km il y aura une densité d’antennes très faible et donc même si la résolution sera excellente, l’intensité des images sera faible.  Dans l’arrangement le plus compact des antennes (qui donne l’équivalent d’un diamètre d’environ 150 mètres) les résolutions vont de 0,5 secondes à 4,8 secondes d’arc (selon la fréquence des ondes) ; dans l’arrangement le plus étendu (diamètre de 16 km) la résolution va de 20 millisecondes d’arc (« mas ») à 43 mas. A titre de comparaison la résolution d’un miroir de 8,2 mètres du VLT (ondes visibles) est de 50 mas (mais le VLT fonctionne aussi en interférométrie, dans sa gamme d’ondes électromagnétiques). Les signaux reçus par les antennes sous forme analogique, sont convertis en données numériques puis traitées par un superordinateur (le « corrélateur »), un des plus puissants au monde, cerveau du dispositif, couplé à un oscillateur équipé de deux horloges atomiques qu’on peut comparer, au cœur du système.

Lancé il y a une vingtaine d’année, l’observatoire a requis des travaux considérables qui ont commencé sur place en 2008. Il fallait concevoir et construire les antennes, les acheminer (elles sont très lourdes -100 tonnes pour les plus grosses – et volumineuses) dans un endroit sans route et créer, outre les infrastructures nécessaires à leur fonctionnement individuel et en formation (apport en énergie, dispositif de commandes, de combinaison des ondes reçues, traitement de l’information), celles qui sont indispensables à la vie. Compte tenu de l’altitude, les astronomes, astrophysiciens, ingénieurs et le personnel (150 personnes en continu) ne séjournent pas sur le plateau mais à 2000 mètres en dessous (et à 30 km de distance) dans une base-vie ultra-moderne, semi-enterrée (pour faciliter la climatisation). La « Résidence », remise à l’administration de l’observatoire en avril 2017, au cœur d’un ensemble technique nommé l’« ALMA operation support facility » (OSF) est dotée de tout le confort moderne, y compris une piscine pour aider à supporter la sécheresse extrême. Elle sera complétée par un centre sportif couvert et également semi-enterré, dont la construction vient de commencer (2 mars 2018). Malgré tout, la réalisation du projet n’a coûté que 1,4 milliards de dollars (c’est aussi le coût de la première phase de l’ELT, également dirigé par l’ESO, en cours de construction au Sud d’Antofagasta).

Comme toujours maintenant, ces gros projets sont des « joint-venture » multinationales faisant appel à des compétences et des contributions mondiales. Le financement, outre l’ESO, a impliqué la NSF (National Science Foundation) aux États-Unis, le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), le National Science Council (NSC) et l’Academia Sinica (AS) à Taïwan, et les National Institutes of Natural Sciences (NINS) au Japon. La construction et la mise en service ont été réalisées par le JAO (Observatoire Commun ALMA) émanation de l’ESO, de l’Observatoire national de radio astronomie aux États-Unis (NRAO) et de l’Observatoire national d’astronomie au Japon (NAOJ). Le JAO reste chargé des opérations. La Suisse, membre de l’ESO est très présente. Un des parrains du projet sur le plan conceptuel, est le professeur Georges Meylan, ancien directeur du laboratoire d’astrophysique à l’EPFL. Plusieurs docteurs de l’EPFL ont travaillé avec lui sur le projet et de nouveaux doctorants suisses l’utilisent aujourd’hui (Le Professeur Meylan était le Délégué scientifique Suisse au conseil de l’ESO jusqu’en 2015 et son successeur, Willy Benz, professeur de physique et d’astrophysique à l’Uni de Berne, a été nommé en décembre 2017 Président du board de l’ESO ; il est à ce titre membre du board de l’ALMA).

L’inauguration de l’observatoire a eu lieu en 2013 car il n’était pas nécessaire d’attendre l’implantation de toutes les antennes pour commencer à travailler (simplement l’intensité des images n’était pas à son maximum). L’exploitation a donc commencé et la demande de temps d’observation étant très forte, les promoteurs ont commencé à amortir leur investissement. Nous en sommes maintenant au cinquième cycle (annuel) de recherche. En Novembre 2017 le board de l’ALMA annonçait qu’on avait atteint ce que les astronomes appellent le « steady level » c’est-à-dire une configuration suffisante pour mener toute la gamme d’observations possibles. C’est une nouvelle phase d’exploration de l’univers qui commence, en parallèle avec celles menées par les autres capteurs travaillant dans d’autres longueurs d’onde, comme les VLT voisins ou l’ELT (qui ne doit être achevé qu’en 2025).

D’ores et déjà ALMA a fourni des résultats spectaculaires : images de disques protoplanétaires qui permettent de mieux comprendre l’évolution de ces disques vers la formation de planètes ; observation d’anneaux d’Einstein (autour de lentilles gravitationnelles) avec une précision inégalée ; détection de molécules organiques complexes jamais détectées dans des disques protoplanétaires lointains.

Avec ALMA la « panoplie » d’instruments permettant de voir toujours plus loin et plus clair, se complète et nos découvertes s’étendent tout en nous posant toujours plus de questions passionnantes.

Lien vers le site ALMA de l’ESOhttp://www.eso.org/sci/facilities/alma.html

Image à la Une : représentation du système ALMA, crédit ESO ;

Image ci-dessous : transporteur d’antennes ALMA. Crédit ESO/NAOJ/NRAO

6 Responses

  1. Bonjour Pierre,

    « NB : Mars de ce point de vue constituerait un emplacement idéal pour un futur interféromètre géant, et ce serait une des justifications pour que des hommes aillent s’y installer. »
    Du coup, cela interdirait toute velléité de terraformation 😉

    1. Bonjour Xavier,
      Exactement! Je ne crois pas à l’exécution d’un plan de terraformation. Ce serait technologiquement très incertain, probablement trop coûteux et sûrement beaucoup trop long. Au delà d’une simple exploration, l’installation d’une colonie sur Mars sera déjà difficile financièrement puisqu’il faudra absolument que l’activité des hommes sur Mars soit rentable économiquement (cela me semble néanmoins possible comme je l’ai déjà développé dans ce blog). Terraformer est une autre histoire car les retombées seraient extrêmement lentes à se manifester (on parle de centaines mais il faudrait plutôt envisager des milliers d’années) et je ne vois pas qui investirait sans espoir de retour avant la fin de sa vie. Aucun projet d’infrastructure n’a pu jamais être entrepris sur Terre avec un retour au-delà d’une trentaine d’années. Par ailleurs il me semble inutile d’entreprendre une telle modification de l’environnement planétaire car je pense qu’on pourrait très bien vivre dans des bases à l’environnement contrôlé (comme des villes terrestres) reliées entre elles par des transports rapides. Quand l’homme est parti d’Afrique pour s’installer dans les régions du Nord jusqu’à l’Arctique, il n’a pas transporté la chaleur du Soleil avec lui mais il a inventé des vêtements plus chauds et des protections plus efficaces contre le froid de la nuit et de l’hiver.

    2. La face cachée de la Lune serait également un emplacement privilégié, … et plus facile d’accès (pour hommes et matériels).

      1. Bonsoir Mr HALDI
        Effectivement la face cachée de la Lune serait très intéressante pour la radio astronomie. En effet, la masse de notre satellite protègerait les antennes de la pollution radio émise par la Terre.
        Cependant, l’observatoire serait inutilisable une quinzaine de jours par mois, c’est à dire pendant le jour lunaire. De plus, durant cette période le rayonnement solaire intense risquerait d’abimer le matériel.

        1. Bonjour Monsieur Philippon,
          Vous avez raison, mais je pense que l’on pourra certainement trouver le moyen de protéger le matériel contre le rayonnement solaire lorsque cela sera nécessaire. Par ailleurs, si on en revient à la question de « Mars vs la Lune », cette dernière a dans ce cas l’avantage supplémentaire de ne pas avoir du tout d’atmosphère (même si celle de Mars est ténue).

          1. Bon mais le but principal de cet article n’est quand même pas la création éventuelle d’un observatoire interférométrique sur Mars..ou sur la Lune; mon propos est d’attirer l’attention sur cet observatoire extraordinaire qu’est l’Alma et sur le potentiel déjà actuel des interféromètres rendu possible par le développement de la puissance des ordinateurs.

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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