EXPLORATION SPATIALE - LE BLOG DE PIERRE BRISSON

La protection contre les radiations est un des problèmes majeurs de l’exploration spatiale par vols habités. Dans ce domaine, de grand progrès sont réalisés actuellement par la joint-venture StemRad Ltd (Israël) / Lockheed Martin Space Systems Cy. (Etats-Unis). Il s’agit de la conception d’une « veste » qui pourrait équiper tout astronaute devant séjourner dans l’espace profond.  Son principe repose d’une part sur la nature des radiations et d’autre part sur les matériaux pouvant faire écran et les besoins ergonomiques des passagers dans un espace forcément réduit. L’étude a été présentée au dernier International Astronautic Congress (IAC) en Septembre 2016.

Les radiations spatiales comprennent un rayonnement de GCR (Galactic Cosmic Rays), constant, et des flux de SeP (Solar energetic Particles), exprimés avec violence lors de SPE (Solar Particle Events) exceptionnels et aléatoires mais pouvant survenir 3 à 4 fois lors de la phase d’activité maximale du soleil au cours de son cycle de 11 ans. Le rayonnement GCR comprend des atomes lourds (au nombre de protons, « Z », élevé) ou des nucléons de ces atomes, animés d’une énergie très forte (500 MeV et parfois beaucoup plus), ils sont isotropes ; les SPE comprennent surtout des protons (hydrogène ionisé) et ils sont moins énergétiques (de 10 à 100 MeV ou un peu plus) mais plus denses et unidirectionnels. Les nucléons de forte énergie franchissent aisément la barrière d’aluminium d’un habitat et cassent les noyaux d’aluminium (et d’autres éléments chimiques de Z élevé) en de multiples radiations secondaires (neutrons, protons, rayons ϒ, rayons α…).

La NASA conseille de limiter l’exposition aux radiations par rapport à un risque de « Radiation Exposure Induced Death » (« REID ») de 3% maximum. Les doses de radiations sont mesurées en millisieverts (« mSv ») et les doses qui constituent les 3% varient en fonction de l’âge et du sexe (les femmes jeunes ou les enfants étant plus vulnérables) et de l’intensité / ou de la durée de l’exposition. En principe le risque de REID de 3% ne serait pas dépassé à l’occasion d’un voyage aller-retour de 400 jours et d’un séjour de 600 jours sur la Planète Rouge pour une femme comme pour un homme, de 40 ans, dans un vaisseau dont la coque en aluminium donne une protection de 20 g/cm2 et au cours de laquelle survient un SPE comme celui de 1972 (fort). On pourrait supporter dans une vie, deux ou trois voyages de ce type sans trop de dommage. A noter qu’on pourrait se trouver au-dessus des 3% pendant un voyage effectué au cours de la partie basse du cycle d’activité du soleil (car la densité des GCR serait plus forte).

Pour mieux se protéger des radiations solaires (les plus dangereuses lors des SPE) , la meilleure solution serait de leur opposer une barrière d’hydrogène (et, contre les GCR, de quelques éléments plus lourds choisis en fonction de leur stabilité) car elles sont freinées par les atomes de cet élément et ne peuvent les dissocier en neutrons ou protons (puisque le noyau d’hydrogène ne comprend qu’un seul proton). Mais comme l’hydrogène est trop volumineux à l’état de gaz et ne peut se conserver à l’état liquide qu’à partir de -252,87°C, on doit recourir à des corps aux molécules stables qui contiennent le plus possible d’hydrogène (ou d’élément à bas Z), et d’abord à l’eau. Pour commencer, on peut positionner toutes les réserves d’eau (et d’aliments) autour du caisson étanche permettant une protection pendant les orages solaires. Cependant si on veut permettre une certaine mobilité aux astronautes pendant des SPE qui peuvent durer plusieurs heures, on peut difficilement envisager de leur faire porter une bouée remplie d’eau. C’est là où intervient StemRad/Lockheed Martin.

La joint-venture (« la JV ») a d’abord travaillé sur le choix du matériau. Le polyéthylène haute densité, (C2H4)n qui contient 14% d’Hydrogène est un bon candidat et on peut lui adjoindre du Bore qui a un numéro atomique (Z) bas et dont l’isotope 10 a une capacité intéressante de capture des neutrons à faible énergie et facilite donc l’arrêt des particules secondaires. A cela la JV propose d’ajouter, en employant la technologie additive (impression 3D), une structure porteuse en éléments atomiques de Z élevé mais qui doivent servir d’ossature, aussi fine que possible, à l’ensemble. Il s’agit là d’équilibrer l’intérêt présenté au niveau atomique/moléculaire  par les éléments de niveau Z bas avec celui présenté au niveau macroscopique par les éléments d’un niveau Z élevé.

Ensuite la JV a cherché à déterminer « quoi » protéger et à partir de quelle surface du corps (angle solide). Pour ce faire, elle a utilisé une imagerie très fine des corps féminin et masculin pour déterminer les organes les plus sensibles sur le plan radiatif et les plus utiles pour lutter contre les effets nocifs (par régénération), en clair les divers centres de formation de cellules souches puisque ce sont ces cellules qui permettent la régénération des tissus irradiés (en supposant qu’il convient de sauvegarder au moins 5% de ces cellules puisqu’on a constaté que cela était suffisant pour récupérer d’une irradiation survenant sur Terre). Il en découle des indications très précises sur ce qui doit bénéficier d’une protection renforcée et les zones de la surface du corps qu’il convient d’équiper d’un écran adapté.

Il est résulté de ce travail une « veste », nommée « AstroRad », qui serait plutôt un « justaucorps » comportant des zones avec protection renforcée (voir image) par exemple le pelvis ou les seins. Un tel dispositif permettrait de réduire de moitié les doses effectives de radiations (d’après les tests effectués en laboratoire, on passerait de 229 mSv à 121 mSv). La JV veut faire embarquer un « fantôme » équipé du justaucorps et de capteurs dans le vol d’Orion prévu en 2018 dans l’environnement lunaire (« Orion-EM1 »).

On voit ainsi que même dans le cas d’un problème important et a priori très difficile à résoudre, l’ingéniosité humaine peut faire des avancées qui changent les perspectives. Equipés d’un tel justaucorps, les astronautes réduiront considérablement leurs risques de cancer aussi bien pendant le voyage que pendant le séjour sur Mars. Dans ce dernier cadre, le poids du justaucorps ne sera pas un inconvénient puisque, bien au contraire, il donnera aux « Martiens » un poids qui les rapprochera (avec leur scaphandre) de celui qu’ils auraient sur Terre, réduisant ainsi les dommages que pourrait leur causer une gravité trop faible sur le long terme.

Image à la Une : prototype de veste AstroRad présenté au congrès IAC (crédit StemRad/Lockheed Martin).

références:

(1) « AstroRad : personal radiation protection utilizing selective shielding for deep space exploration »; IAC-16-A1.4.7; copyright Lockeed Martin Space System Cy & StemRad Ltd, publié par l’IAF (International Astronautical Federation).

(2) www.stemrad.com

NB: StemRad a mis au point et commercialise un dispositif nommé “360 gamma shield”, essentiellement une ceinture protégeant le pelvis, utilisé sur Terre dans les actions où le risque d’exposition aux radiations est élevé (voir sur le site web de Stemrad).

Ci-dessous, image de la veste AstroRad pour femme, avec indication des zones à protéger particulièrement (en rouge) et un exemple de tissu multicouches employé (crédit : StemRad).

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4 Responses

  1. Très intéressant. De plus, ce post est un modèle du genre de combinaison de concision, précision et clarté scientifique. Bravo !

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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