Ariel est l’une des cinq missions que la réunion interministérielle de l’ESA a mis en exergue en Novembre 2022, lors de l’approbation de son budget 2023 – 2025. Son acronyme est celui d’Atmospheric Remote-sensing Infrared Exoplanet Large-survey. Le nom développé comprend les mots essentiels d’« atmosphère », d’« infrarouge » et insiste sur le fait que l’étude sera de « grande ampleur ». C’est la mission de taille moyenne « M4 » du programme Cosmic Vision de l’ESA et elle fonctionnera à partir d’une plateforme spatiale au point de Lagrange L2. Les autres missions « privilégiées » lors de la réunion interministérielle sont JUICE (L1), EUCLID (M2), PLATO (M3) et Comet Interceptor (F1). Je vous ai déjà parlé de JUICE, EUCLID, PLATO et je vais aujourd’hui développer le sujet d’ARIEL (M4).
Le choix d’ARIEL en 2022 est une confirmation. En effet l’étude a commencé bien avant (en 2009 !), puisque la mission a été sélectionnée en 2018 sur un dossier déjà précis constitué en 2014 (avec lancement prévu en 2025) suite à l’échec du projet DARWIN en 2007 (flotte de télescopes spatiaux opérant en interférométrie). Elle est passée de la phase d’étude à celle de mise en œuvre en Novembre 2020, avec l’objectif de terminer le « design » en 2025 (suivant la dernière « payload design review » qui a eu lieu juste avant l’interministérielle). « De fil en aiguille », malheureusement, aujourd’hui le lancement n’est prévu qu’en 2029 (après encore une « flight acceptance review » en début de la même année). Je rappelle ces dates car leur succession illustre bien, me semble-t-il, la difficulté de faire sortir puis aboutir un projet. Cette difficulté n’est pas simplement un problème d’obtention de financement ou de mise au point technologique, c’est aussi un problème de temps sous-tendu par beaucoup de travail de nombreux scientifiques et d’ingénieurs de haut niveau…et par beaucoup de conciliabules et de réunions.
Comme l’écrit la NASA, ARIEL est la première mission axée sur la mesure de la composition chimique de l’atmosphère des exoplanètes et de leur lien avec l’environnement de leur étoile-hôte dans lequel elles se sont formées. Cette mission va combler une lacune importante dans ce domaine. Une responsable du projet nous dit : « avant nous collectionnions des timbres pour leur nombre, maintenant nous allons regarder ce qu’il y a dessus ». La mission va également nous aider à mieux comprendre comment le type d’étoile hôte influence les aspects physiques et chimiques de l’évolution de la planète.
Son principal objectif est l’analyse de l’atmosphère de planètes d’une taille comprise entre celle de Neptune et celle des super-Terres. Je souligne cette limite pour insister sur le fait qu’il ne s’agit pas encore de nouvelles-Terres. Il est en effet moins difficile d’observer de grosses planètes que des petites puisque l’effet qu’elles ont sur leur étoile, que ce soit visuellement du fait de leur transit atténuant leur luminosité (transit) ou du fait du déplacement qu’elles causent (vitesse radiale), est plus marqué du fait de la masse. Dès 2009, les scientifiques de l’ESA et de l’Exoplanetary Community réunis à Barcelone pour discuter du projet avaient convenus qu’il fallait une mission intermédiaire avant de pouvoir envisager analyser la composition chimique de l’atmosphère des planètes de type terrestre. De ce point de vue l’objectif est décevant. Mais on est obligé d’aller pas à pas, au rythme de ce que permet l’évolution de nos progrès technologiques.
L’étude portera sur un échantillon de cinq cent à mille planètes (500 au moins pour la période nominale qui pourra être étendue au-delà de 4 ans), ce qui permettra de déduire toutes sortes de comparaisons de statistiques et d’inférences. Les planètes étudiées seront bien entendu des planètes de systèmes proches de la Terre (ceux qui sont les plus accessibles à l’observation) et on positionnera le télescope au point de Lagrange L2 (système Terre-Soleil, à 1,5 millions de km, en opposition au Soleil), comme on le fait souvent maintenant. L’avantage de ce positionnement est qu’il évite l’interférence des rayonnements provenant de la Terre.
Le principe consistera à prendre un spectrogramme de la planète observée lorsqu’elle passera en transit devant et derrière l’étoile et la nouveauté sera la précision inégalée de ce spectrogramme. Le pointage pourra se faire avec la précision d’une seconde d’arc avec une stabilité de 200 millisecondes d’arc sur 90 secondes et de 100 millisecondes d’arc sur 10 heures (pour référence le diamètre de la Lune ou du Soleil vu de la Terre est de 1800 secondes d’arc). A noter que les observations d’une même cible pourront se faire même au-delà de 10 heures, jusqu’à trois jours (ce qui pourra nécessiter une adaptation du pointage). Lors du passage devant l’étoile l’atténuation de la lumière pourra être mesurée avec une précision de 10 à 100 parties par million (selon l’éloignement). Lors du passage derrière l’étoile (juste avant l’occultation*), lorsque nous pourrons observer la face éclairée de la planète, le spectrographe sera capable de distinguer dans l’atmosphère des composés tels que l’eau (vapeur), le dioxyde de carbone, le monoxyde de carbone, le méthane, l’ammoniac, le cyanure d’hydrogène, l’hydrogène sulfuré, l’acétylène, la phosphine. Il pourra aussi détecter d’autres éléments présents dans le système tels que des composés métalliques. Le passage des longueurs d’onde en visible aux longueurs d’onde en infrarouge sur la même cible permettra d’apprécier les caractéristiques des aérosols. Pour les planètes les plus proches et les plus grosses, ARIEL pourra même étudier le système nuageux et les variations atmosphériques saisonnières et quotidiennes.
*Pendant le transit, on pourra aussi déduire la teneur en certains gaz de l’atmosphère en fonction du rayon perçu de la planète selon les longueurs d’onde spécifiques d’absorption correspondant aux signatures spectrales de ces gaz.
Vue d’artiste de l’observatoire ARIEL. Le module de service est en blanc, les panneaux solaires sont en dessous (sous le premier bouclier thermique protecteur). Entre le télescope et le module de service on voit trois ailettes en « v » qui sont d’autres boucliers thermiques indispensables pour atteindre des températures extrêmement basses. L’axe du télescope est parallèle au module et aux panneaux. Cette configuration doit donner une plus grande stabilité au télescope car elle réduit le moment de force généré par la distance entre le centre de masse du vaisseau et le centre de pression du rayonnement photonique. Crédit ESA.
L’observatoire comprendra un télescope et son module de service. Le télescope, de type Cassegrain, a un miroir primaire parabolique elliptique (1100 mm x 730 mm) de 0,67m2 et un miroir secondaire, hyperbolique. Le rayonnement collecté est dirigé via deux autres miroirs, vers deux ensembles de détecteurs : 1) un spectromètre à basse résolution analysant les longueurs d’onde comprises entre 1,2 et 1,95 micron (proche infrarouge) ; 2) le spectromètre spécifique AIRS (« ARIEL InfraRed Spectrometer ») à moyenne résolution collectant les rayonnements infrarouges entre 0,5 et 7,8 microns (visible et proche infrarouge). Le télescope et les détecteurs (« PLM ») ne pèsent que 450 kg, 1,2 tonnes avec le module de service « SVM » (masse sèche) qui comprend les équipements nécessaires au contrôle d’attitude, les réservoirs d’ergols, le système de télécommunications, les panneaux solaires, ainsi que l’électronique de la charge utile.
Les capteurs sont cryogéniques puisqu’ils doivent discerner les ondes reçues dans l’infrarouge, ce qui suppose que la chaleur du Soleil comme celle résultant du fonctionnement du vaisseau, ne crée pas un bruit empêchant d’identifier le rayonnement reçu de l’astre observé. Le spectromètre à basse résolution doit être maintenu à 70 K, le spectromètre AIRS, à < 42 K ! L’architecture du télescope sera suffisante pour maintenir la première jusqu’à environ 55K mais pour obtenir le froid nécessaire pour AIRS, on utilisera un refroidisseur au néon en circuit fermé utilisant l’effet Joule-Thomson (« Ne JT-cooler ») qui peut permettre de descendre la température jusqu’à 32 K. Par ailleurs, le télescope aura besoin d’ergols (en l’occurrence, de l’hydrazine) pour désaturer les roues de réaction permettant la stabilité de l’instrument et aussi quelques corrections d’orbite (le positionnement en L2 est instable). La mission est donc limitée dans le temps : en principe 4 ans (pour la mission « nominale »). L’énergie électrique nécessaire au fonctionnement du télescope et à la transmission des données (environ 236 Gbit par semaine) par une antenne parabolique à grand gain, sera fournie par des cellules solaires (puissance environ 1kW) tapissant la paroi inférieure du module de service tournée en permanence vers le Soleil.
Le lancement devrait avoir lieu entre 2026 et 2029 (mais il y a hélas peu de chances que ce soit avant 2029). Il sera effectué par une Ariane 6 à partir de Kourou. Attention cependant, Ariane 6 dont le premier lancement doit être tenté en 2023, n’a pas encore fait ses preuves. Comme la masse de l’ensemble n’est que de 1,5 tonnes (dont 1,2 tonnes à sec), la fusée devrait pouvoir embarquer une autre charge utile. Ce sera « Comet Interceptor », la première mission de catégorie « F » (« F1 ») pour « Fast », de l’ESA.
L’équipe en charge de la mission, (« Ariel Mission Consortium ») est comme toujours, multinationale (17 pays regroupant 50 institutions y compris le JPL Américain). Le Consortium est dirigé par l’UCL (University College London) et son « PI » (« Principal Investigator » i.e. chef scientifique de la mission, est la professeure Giovanna Tinetti de l’UCL). C’est Airbus Defense and Space avec Thales Alenia Space qui vont construire le satellite et les différents participants apporteront chacun leur contribution. La Suisse n’est pas « en pointe » sur ce projet mais y participe quand même, notamment via Ruag.
Au-delà de cette mission une autre se profile, HWO (Habitable World Observatory) de la NASA qui remplace les projets HabEx (Habitable Exoplanet Observatory) et LOUVOIR. Derrière elles, une troisième n’arrête pas de disparaître avant de réapparaitre peut-être un jour, DARWIN, qui consistait en une flotte de télescope spatiaux, observant de concert et collectant les données en interférométrie. Le projet fut abandonné en 2007, comme dit ci-dessus, par crainte d’un manque de possibilité de précision dans la coordination des télescopes. On y reviendra peut-être un jour puisque c’est le seul moyen d’obtenir des surfaces de collectes vraiment grandes et qu’on en a besoin pour observer des détails de plus en plus infimes. Dans la mythologie biblique Ariel est l’archange qui reprend la Lumière après que Lucifer l’ait laissée choir mais Ariel n’est qu’un relai pour d’autres. Nul doute que dans notre cas la lumière de la science sera reprise après ARIEL et qu’elle nous permettra de voir jusqu’aux différentes variétés de molécules qui composent l’atmosphère de planètes comme la nôtre. Le chemin est tracé !
Illustration de titre : vue d’artiste d’une planète chaude de grande taille en transit devant son étoile : crédit ESA/ATG medialab, CC BY-SA 3.0 IGO
Liens :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Atmospheric_Remote-Sensing_Infrared_Exoplanet_Large-survey
https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/La_mission_Ariel_en_voie_de_concretisation
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