Ce 23 août, à l’heure prévue, 14h34 (heure suisse), l’atterrisseur « Vikram » de la mission Chandrayaan 3 s’est posé en douceur et sans problème, sur la Lune. Il porte un rover, « Pragyan ». Ces deux équipements sont assistés par un orbiteur (également module de propulsion pour la dernière partie du vol Terre-Lune) qui leur sert de relai de télécommunication. La masse totale de la mission est de 3,9 tonnes, dont 2,15 tonnes pour le module de propulsion/orbiteur et 1,75 tonnes pour l’atterrisseur et le rover (avec les ergols nécessaires aux équipements).

Le site d’atterrissage est situé, comme prévu, dans l’Hémisphère Sud, non pas « au Pôle Sud », objectif des Chinois et des Américains, comme on le dit abusivement, mais quand même à une latitude haute (69,3°S). Il ne s’est pas non plus posé sur la face cachée de la Lune comme certains commentateurs l’on dit, mais par une longitude 32°E (le méridien lunaire est fixé comme étant l’arc de cercle le plus exactement face à la Terre). Mais ce n’est pas cela l’important. Ce qui est important, c’est d’être sur la Lune et fonctionnel et Chandrayaan 3 y est bel et bien. L’amplitude de l’ère d’atterrissage était un rectangle de 55×11 km, ce qui permettait un ajustement de dernière minute. On a vu d’ailleurs l’atterrisseur, choisir l’endroit le plus favorable en gardant plusieurs secondes son altitude juste avant de se poser (150 mètres).

Le rover est un petit engin de 26 kg (Perseverance ou Curiosity ont une masse de 1 tonne). Il fait penser au Sojourner de la mission américaine Mars Pathfinder de 1997.

La mission doit durer 14 jours, la durée d’un jour lunaire, car ni l’atterrisseur ni le rover ne sont équipés pour résister au froid de la nuit lunaire, les panneaux solaires ne fournissant que l’énergie nécessaire à la mobilité du rover et au fonctionnement des instruments.

L’objet principal de la mission était principalement la démonstration de la capacité à se poser en douceur au sol. Il est donc atteint. Maintenant le rover va pouvoir rouler un peu sur le sol, recueillir quelques données et prendre quelques mesures puisqu’il est équipé d’une caméra, d’un sismomètre, d’un appareil pouvant prendre la température et la conductivité thermique à 10 cm sous la surface (ce qui donnera des indications précieuses sur les propriétés du régolithe), d’une sonde de Langmuir pour mesurer la densité du plasma présent dans la couche de l’exosphère proche de la surface.

Rappelons que le décollage de la fusée porteuse de la mission a eu lieu le 14 juillet de la base spatiale de Satish-Dhawan (13° N, près de Sriharikota dans le Tamil Nadu, côte Sud Est de l’Inde). Le lanceur était indien, un « LVM3 » (Launch Vehicle Mark 3) de l’agence spatiale ISRO, dont le premier vol avait eu lieu en 2014 (décision prise en 2002) et qui est peu souvent utilisé. Il peut placer 8 tonnes en orbite basse terrestre (LEO) et 4,5 tonnes en orbite géostationnaire (GSO). C’est donc un petit lanceur (masse au décollage 640 tonnes, hauteur 43 mètres) relativement peu puissant (cf Falcon 9 : 22,8 tonnes en LEO et 8,3 tonnes GSO). Le 1er étage est assisté de deux boosters qui utilisent un propergol solide (à base de polybutadiène hydroxytéléchélique, PBHT) tandis que lui-même utilise un tétroxyde d’azote brulant dans du diméthylhydrazine (UDMH). L’étage supérieur brule de l’hydrogène dans de l’oxygène.

Le voyage a été long car la masse d’ergols embarquée était limitée par la masse utile embarquée et donc l’impulsion de l’orbite de parking terrestre vers la Lune, mimimum. Il s’est bien passé, avec cinq ajustements de trajectoires normaux. Après avoir stationné sur une orbite de parking à 100 km d’altitude, la sonde est descendue jusqu’à une autre orbite de pré-atterrissage de 30 km (les Russes avaient choisi 12 km). La descente finale, entièrement propulsée puisque la Lune n’a pratiquement pas d’atmosphère, s’est alors déroulée en exactement quinze minutes, comme prévu.

On parle d’un coût de 75 millions de dollars pour la totalité mission. Ce montant n’a pas grande signification en soi car il faudrait savoir « ce qu’il y a dedans », comment par exemple a été fixé le prix du lanceur utilisé? De toute façon l’ensemble des équipements et des services utilisés sont « Made in India » ce qui permet effectivement des coûts très bas. En tout cas ce sera une bonne publicité pour la commercialisation du lanceur auprès d’autres utilisateurs, notamment dans les pays en voie de développement.

Chandrayaan 3 est un remake de Chandrayaan 2 qui s’est écrasé sur la Lune en 2019 et c’est une belle revanche sur cet échec ainsi qu’une magnifique démonstrations des capacités ingénieuriales de l’Inde, surtout deux jours après l’échec des Russes pionniers de la conquête spatiale. Dans ce contexte l’atterrissage de Chandrayaan 3 est une grande fierté pour l’Inde (le premier ministre Mahendra Modi y a assisté depuis l’Afrique du Sud où il était en visite) et sans doute une revanche sur l’humiliation toujours ressentie par les Indiens pour la période coloniale.

Encore une fois, déplorons que l’Europe ne soit pas capable d’avoir son autonomie dans l’espace et de pouvoir mener ses propres expériences et sa propre exploration lunaire. C’est un choix. Dans les sphères décisionnelles de notre vieux Continent, terre des Sciences, on considère toujours l’Espace comme d’autres considéraient jadis le Canada (les quelques arpents de neige) !

Illustration de titre : atterrissage, moment de joie dans la salle de contrôle de l’astroport Satish-Dawan, crédit ISRO.

Illustration ci-dessous : mission Chandrayaan 3, module de propulsion et atterrisseur avec son rover, crédit ISRO :

Lien :

https://www.space.com/india-chandrayaan-3-moon-landing-livestream?utm_source=notification

https://en.wikipedia.org/wiki/Chandrayaan-3

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Index L’appel de Mars 23 08 22

6 réponses

  1. Tres admiratif des scientifiques Indiens qui demontre ainsi deja un grand savoir faire.

    En ce qui concerne L EUROPE grande puissance industielle ,commerciale, scientifique,financiere …BOF ! on nage dans la mer des deceptions.( ou de la tranquilite). par contre beaucoup d eoliennes de panneaux solaires de blabla co2 d invasions de voitures electriques couteuses a faible autonomie aucun projet d avions supersoniques des fusees depassees etc etc dommage tout cela !sans parler de la desindustrialisation massive et des penuries en tout genre !

  2. Bonjour,
    Connaissez-vous le coût réel de cette mission, et de celle de Luna 25 ?
    Pour Chandrayaan 3, Wikipedia indique 77 M€, mais je trouve cela très peu. Pour Luna 25, je n’ai pas trouvé l’information.

    1. Les Russes ne vont pas dire combien a coûté Luna 25 et cela n’aurait pas de sens puisque le projet sous une forme ou une autre date de plus de 30 ans (donc tout au long de situations économiques extrêmement différentes). Quant au coût de Chandrayaan les 75 millions sont très probables puisque tout est « made in China ». Mais là aussi, le coût n’a aucune importance. Les pays de la taille de l’Inde, avec un gouvernement bien établi, peuvent s’offrir les dépenses de prestige qu’ils veulent.

  3. Je ne sais pas si c’est vrai. J’ai vu un commentaire amer d’un lecteur du Daily Mail. « the UK providing around £50 million per year to a country which can afford to run a space programme? ».

    1. Il faut aussi ajouter que le budget de l’ISRO, l’agence spatiale de l’Inde, a été de 2 milliards d’euros en 2022…
      La mission Chandrayaan 3 ne représenterait que 4% de ce budget.
      Les 50 millions de livres du Royaume Uni
      comme aide au développement restent un montant tout à fait symbolique, peut-être pour se donner bonne conscience après la colonisation.

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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