Cette semaine, Christophe de Reyff reprend avec son propre Dialogue, celui initié par Galilée, en l’ouvrant sur les perspectives de l’Univers résultant de ce que nous savons de son état actuel et des potentialités que nous lui connaissons du fait de l’étude de son passé.
En réfléchissant à ces perspectives et au fait que le Dialogue se déroule à Venise, je ne peux m’empêcher de penser à l’histoire de cette ville magnifique et à ses propres perspectives. Après un début éclatant qui l’a portée au plus haut de la Civilisation dans tous les domaines, Venise se meurt depuis des siècles, en fait depuis le coup de poignard qui lui a été infligé par les Grandes Découvertes et ses conséquences économiques et donc politiques. Cependant, comme l’Univers, elle a continué sur sa lancée initiale et n’a jamais perdu de sa splendeur. Le 18ème siècle, totalement décadent, a été sans doute la période où la Ville a brillé avec le plus d’éclat, comme le début du bouquet final d’un feu d’artifice. Souvenez-vous de Vivaldi et écoutez sa musique dans vos têtes comme elle devait emplir les murs de la Basilique Saint-Marc. Aujourd’hui ses vestiges dont toute force politique a été évacuée et dont la population native diminue année après année, attirent encore comme un aimant la curiosité, l’admiration et l’affection de l’humanité toute entière. Venise se meurt mais Venise n’est pas morte. Elle est simplement mourante, en représentation, comme une cantatrice d’un des splendides opéras qui sont nés ici. Elle est de plus en plus dégradée, de plus en plus menacée par les flots et le tourisme de masse, et pourtant, dans la flamboyance de son Automne, elle est toujours plus belle, attirante et émouvante. Cela dure depuis des siècles et cela durera encore des siècles car l’humanité entière fera tout pour que Venise ne disparaisse jamais complètement tant qu’elle même restera consciente. On peut dire sans se tromper que laisser cette image grandiose de ce que nous avons été, disparaître, serait entrer dans la barbarie définitive ou le néant de la Civilisation et sera sans doute le signe ultime de notre déliquescence. C’est un peu (seulement « un peu » car à la différence de Venise nous n’y pourrons vraiment rien) comme l’Univers qui perdra petit à petit au fil des milliards d’années à venir son éclat pour tout observateur possible, et dont l’énergie un jour sera tellement diluée qu’elle ne pourra même plus porter son souvenir. Mais jusqu’au bout, la grandeur, la force et la beauté de l’Univers restera le plus merveilleux des concepts que l’on puisse imaginer, hormis celui de son éventuel créateur. Pour ressentir l’analogie vous pouvez toujours écouter un lento de Vivaldi.
Après cette introduction un peu longue, je passe la parole à Christophe de Reyff.
Nous reprenons le spectacle après l’entracte hebdomadaire mais, avant de continuer, je vous en rappelle les toutes dernières lignes (interventions de Salviati et Simplicio) :
Salviati : On doit donc admettre que l’Univers a eu une phase d’expansion décélérée, est ensuite passé par un état d’« hésitation », comme l’a joliment écrit le chanoine Georges Lemaître, puis a repris une accélération qui se poursuit actuellement.
Simplicio : Vous me rassurez, Maître. Donc nous allons bien avoir un de ces jours notre feu d’artifice ?
Salviati : Du calme, Signor Simplicio ! Il faut regarder les choses d’un point de vue astronomique. Ce ne sera pas demain ! Je reprends la suite de mon raisonnement. La vitesse d’expansion subit donc une accélération, mais jusqu’où cela ira-t-il ? Jusqu’à la vitesse de la lumière ? Au-delà ? Remarquez bien : ce ne sont pas les galaxies qui « bougent » en s’éloignant radialement de nous, ce que montre le décalage vers le rouge de leur spectre ; c’est bien plutôt le « tissu » de l’espace-temps lui-même qui se dilate, transportant les galaxies, disons, pour prendre une image parlante souvent utilisée, un peu comme des raisins secs de Corinthe dans un soufflé qui gonfle au four : chacun s’éloigne de chacun de ses voisins sans bouger lui-même, car c’est la pâte qui gonfle. Il est donc possible, sans violer aucune loi, que cette vitesse dépasse la vitesse de la lumière ; l’espace « vide » peut se dilater à n’importe quelle vitesse, même supérieure à celle de la lumière. Cela, du reste, a déjà lieu depuis longtemps. Si l’on prend la valeur du « paramètre de Hubble », son inverse est une durée, nommée « temps de Hubble » (mais ce n’est pas du tout l’« âge de l’Univers », comme on le lit ici ou là). Si l’on multiplie cette durée par la vitesse de la lumière, on obtient une distance, dite justement « rayon de Hubble ». C’est tout simplement la distance à laquelle, depuis notre point d’observation, et j’insiste sur cela, la vitesse apparente de fuite des galaxies franchit la vitesse de la lumière. On ne pourra donc depuis ici plus jamais rien voir au-delà de cette distance, car aucun signal lumineux ou autre ne pourrait nous parvenir d’objets qui depuis là-bas sont plus rapidement transportés que la vitesse des photons qu’ils émettraient vers nous. Mais …
Simplicio : Ah ! J’ai compris, c’est l’horizon cosmologique ou horizon de visibilité, comme on l’appelle …
Sagredo : Mais voyons, Signor Simplicio, laissez notre Maître poursuivre son explication !
Salviati : Non, Signor Simplicio ! Ce « rayon de Hubble », ce n’est pas cela. On confond – et même d’éminents astronomes le font – l’« horizon cosmologique » et ce « rayon de Hubble », où la vitesse de fuite des galaxies dépasse la vitesse de la lumière. L’« horizon cosmologique » est, tout simplement, la distance qu’ont pu parcourir les photons de la lumière émise par des objets les plus lointains, et les plus anciens, vus de la Terre, durant la durée que représente l’âge de l’Univers ; c’est le temps maximal actuel qui est à leur disposition pour nous faire parvenir leur lumière. Si l’Univers a quelque 13,8 milliards d’années d’âge, notre horizon de visibilité est bien situé à 13,8 milliards d’années-lumière de la Terre, cela, par définition. Mais si l’on calcule le « rayon de Hubble », le nôtre, à ce jour bien entendu, avec la meilleure valeur actuelle du « paramètre de Hubble », on arrive à déjà 14,4 milliards d’années-lumière. Ce rayon de Hubble est donc, actuellement du moins, situé encore bien au-delà de notre « horizon cosmologique ». Ce qui est intéressant pour nous autres Terriens, c’est que chaque année qui passe augmente ainsi notre horizon cosmologique d’une année-lumière ; on a donc des chances chaque année de pouvoir observer l’un ou l’autre nouvel objet céleste lointain, et ancien, qui entre enfin dans notre horizon, disons, en moyenne, probablement une nouvelle galaxie par an. De son côté, puisque le paramètre de Hubble décroît, le « rayon de Hubble » continue aussi de croître, mais de plus en plus lentement, dans la même mesure où le « paramètre de Hubble » diminue continûment avec le temps qui passe ; ce qui est le cas.
Simplicio : J’ai bien compris : il ne faut pas confondre ni identifier l’« horizon cosmologique » et le « rayon de Hubble » qui, pour l’instant, ne coïncident pas. Mais un jour viendra …
Salviati : C’est cela, très bien, Signor Simplicio ! Continuons : après le Russe Alexandre Friedmann et le Belge Georges Lemaître, d’autres savants ont montré par leurs équations, que le « temps de Hubble », donc l’inverse du « paramètre de Hubble », a toujours été supérieur à l’âge de l’Univers jusqu’à aujourd’hui. Le passionnant dans tout ça, c’est que, même si l’expansion accélère, il va arriver un jour prochain où l’âge de l’Univers va « rattraper » exactement le « temps de Hubble », autrement dit, que la distance de notre horizon va coïncider exactement avec le « rayon de Hubble ». Cela se fera dans plus d’un milliard d’années. Que se passera-t-il au-delà de cette époque ? Simplement dit, la distance limite de visibilité que représente aussi le « rayon de Hubble », mais pour une autre raison, celle de la vitesse de fuite qui dépasse celle de la lumière, cette distance, donc, se substituera à notre horizon actuel : les objets nouveaux qui apparaîtraient sur cet horizon disparaîtraient aussitôt, cela étant dû à leur vitesse de fuite qui dépassera tout juste celle de la lumière.
Simplicio : Je ne vois toujours pas venir mon feu d’artifice …
Salviati : Ce qui va vous décevoir, je le crains, Signor Simplicio, c’est qu’il n’y en aura probablement pas, car un certain feu d’artifice a déjà eu lieu il y a des milliards d’années, quelque trois-cent quatre-vingt mille ans après le Big Bang à l’origine de l’expansion de l’Univers ! Du fait de l’expansion accélérée, nos galaxies lointaines, puis celles de plus en plus proches vont toutes être accélérées et, un jour, elles vont comme « franchir la vitesse de la lumière » et, par-là, vont donc sortir de notre horizon en passant à la distance de notre « rayon de Hubble » atteint ce jour-là. Le ciel va peu à peu littéralement se vider de son contenu, sous nos yeux ! Notre Univers proche – mais est-ce tout l’Univers -, du moins notre Univers visible ne sera plus qu’un Univers-île, formé de notre Galaxie, familièrement appelée la Voie Lactée, avec ses immédiates galaxies voisines du Groupe Local, retenues toutes ensemble en un amas par la gravitation. Mais le ciel sera vraiment noir au-delà. Il y a un physicien hollandais qui a prévu cela, sans savoir que ce serait le destin ultime de l’Univers, Willem de Sitter : son Univers théorique est quasi vide, homogène, de courbure spatio-temporelle positive, mais de courbure spatiale quelconque, éventuellement nulle (on parle alors d’espace plat ou euclidien), et en expansion, rempli seulement de… presque rien, de quoi ? De ce qui correspond à une densité d’« énergie du vide », exprimée sous la forme mathématique d’une « constante cosmologique » positive, ayant une valeur bien définie, minuscule, quoique non nulle. Notre Univers évolue inéluctablement vers cet état de vacuité qu’il atteindra de façon asymptotique dans un temps indéfini. Cela, ce sera notre point de vue de Terriens ; mais, dans n’importe quel autre endroit de l’Univers, le point de vue sera le même : tout aura disparu à l’horizon de chacun, à sa propre distance de visibilité qui sera autant de réalisations locales du « rayon de Hubble final », atteint asymptotiquement.
Sagredo : Vos explications sont lumineuses, Maître, mais, en contraste, quel tableau sombre vous nous faites là. Au fond, dites-nous encore, qu’est-ce que cette « constante cosmologique » positive qui va remplir tout l’Univers ?
Simplicio : … Et moi qui m’attendais à une explosion grandiose …
Salviati : Gardons encore les pieds sur notre Terre, voulez-vous, Messeigneurs ! Vous avez raison de vous poser ces questions qui sont des plus pertinentes. Qu’en est-il, tout d’abord, du destin de ce « paramètre de Hubble » ? Va-t-il diminuer toujours pour aller vers zéro lorsque le temps va tendre vers l’infini ? La réponse est : non ! Comme je vous le disais, c’est un quotient d’une vitesse par une distance. Toutes deux tendent vers l’infini. Le quotient de l’infini par l’infini, comme celui de zéro par zéro, est indéterminé en bonne mathématique. Mais, tout aussi mathématiquement, ce quotient peut être fini ! Et ce sera bien le cas ici. Le « paramètre de Hubble » va diminuer, et de plus en plus lentement, le « temps de Hubble » va croître, mais de plus en plus lentement au fur et à mesure que l’âge de l’Univers va continuer de passer. Le « rayon de Hubble » va aussi croître de plus en plus lentement. Ils vont tous deux atteindre, asymptotiquement, une valeur limite, déterminée uniquement par la valeur de cette « constante cosmologique » qui caractérise le vide. Je ne vous dirai pas ici comment, ni leurs valeurs numériques. Pour le savoir il faudrait lire attentivement tout un autre article…
Simplicio : C’est bien noté, on le lira.
Sagredo : D’accord ! Mais je ne vois pas très bien cette situation finale …
Salviati : Je le redis autrement : nous aurons comme une sorte de « bulle », invisible et non transparente, autour de nous, qui sera notre rayon de l’Univers, le « rayon de Hubble final » qui ne croîtra quasiment presque plus, et cela indéfiniment. Tous les objets que nous voyons actuellement au-delà de notre Groupe local de galaxies, auront franchi cette limite. On peut se consoler, en se disant qu’il en est de même pour chaque point de l’Univers. Le centre de l’Univers n’étant nulle part, on peut considérer qu’il est partout, et chaque point de l’Univers sera entouré d’une telle bulle limitant dès lors son horizon. Rien ne semblera plus changer dans le ciel. L’Univers, notre Univers sera devenu comme statique.
Simplicio : Dites-moi, Maître, ce sera alors à ce moment-là la fin du monde ?
Salviati : Oui et non ! Ce sera en quelque sorte une fin qui durera, une fin qui ne finira pas ! Le temps pourra indéfiniment continuer de couler. L’Univers continuera de vieillir ; il le fait déjà, mais ce sera indéfiniment, comme un ralentissement du temps. Justement, le modèle d’Univers prévu par de Sitter prédit que le temps semble aller de l’avant en se figeant de plus en plus. Nos descendants, s’ils ont encore un Soleil, un autre soleil, bien sûr, pour les réchauffer, auront beau observer avec leurs télescopes, ils ne verront plus rien du tout en dehors de notre Groupe local de galaxies, et, avec leurs radiotélescopes, ils ne pourront même plus mesurer le fonds diffus cosmologique du rayonnement fossile qui se sera à tel point dilué, du fait de l’expansion de l’Univers, qu’il sera devenu strictement indétectable, passant des 2,73 degrés kelvin actuels à quasiment zéro, sans pourtant jamais l’atteindre. On se retrouvera dans la situation expérimentale de la cosmologie du début du XXe siècle, où l’on ignorait même l’existence d’autres galaxies en dehors de la nôtre et où l’on croyait l’Univers statique et perpétuellement le même. Mais il est certain que d’ici là notre Soleil et toutes les étoiles de notre Galaxie se seront depuis longtemps éteints. Comme l’a bien décrit le chanoine Georges Lemaître, « le feu d’artifice se terminera en laissant ici ou là quelques escarbilles finissant de rougeoyer… » Mais plus personne ne sera là pour les contempler.
Sagredo : Eh bien ! Ces considérations nous ont passablement échauffés et assoiffés. Le jour tombe, Messeigneurs ; il est temps que nous nous rendions maintenant à bord de la gondole que j’ai commandée et qui doit déjà nous attendre au pied de ce palais, avec quelques rafraîchissements à bord, pour nous permettre de prendre le frais de la soirée et de nous désaltérer en parcourant nonchalamment la Laguna. Venez, descendons et embarquons-nous !
Illustration de titre : Ca’ Sagredo (Palazzo Morosini Sagredo).
Salutations à Jakob qui a la chance de se trouver actuellement à Venise et qui m’a envoyé une photo de la Ca’ Sagredo:
Mise à jour sur Relativity Space:
Les déçus de l’échec du lancement le 11 mars de la fusée GLHF de Relativity Space (mon article du 11 mars) peuvent se réjouir car un nouvel essai, le 22 mars, a été couronné de succès. Ses objectifs ont été atteints (notamment passage au point Max-Q) et un nouveau concurrent dans le monde astronautique est né ce jour. L’Europe doit « faire quelque chose » si elle veut rester en lice.
Annonce exposition « Traces de vie ».
A partir de lundi 26 mars, l’exposition « Traces de vie », certitude sur Terre, hypothèse sur Mars, est ouverte au public dans le beau cadre de la villa du jardin botanique de Neuchâtel. Préparée avec soin par des spécialistes incontestables, elle est à voir absolument. Je vous en parlerai la semaine prochaine plus longuement. L’exposition restera ouverte jusqu’au 3 décembre.
Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :
6 Responses
« le temps semble aller de l’avant en se figeant de plus en plus. Nos descendants, s’ils ont encore un Soleil, un autre soleil »: pas rassurant mais comme dit Hugo « l’avenir est à Dieu ». On ne peut pas être sûr de ce qui se passera dans le futur en extrapolant ce qu’on constate actuellement. A son commencement l’univers a eu un temps ‘d’hésitation » avant de se mettre en expansion. Il peut arriver des choses imprévues d’apparence irrationnelle. Notre connaissance des forces actuellement à l’œuvre dans l’univers est-elle si totale? J’en doute. Ajoutons cependant que nous devons nous donner pour but de faire durer l’humanité le plus possible. D’où l’impérieuse nécessité de voyager dans l’espace, de multiplier nos chances de survie dès maintenant. Pour la situation que vous décrivez, pour dans un avenir lointain, j’espère que nous aurons le temps de mettre au point une capsule de survie autosuffisante créant son énergie, procurant tout ce dont on a besoin et surtout protégeant contre les épouvantables dangers de l’univers, une arche de Noé du futur. Essayons d’être optimistes!
@. Marrtin
Quelques mises au points et compléments :
– La phase dite d’hésitation, selon Georges Lemaître, n’a pas eu lieu au commencement, mais il y a 6 à 7 milliards d’années.
– L’Univers a toujours été en expansion, d’abord ralentie après l’inflation, puis accélérée depuis l’hésitation.
– Une chose imprévue, qui ne devrait pas être irrationnelle pourtant, serait que la constante cosmologique ne soit pas constante, mais, par exemple, qu’elle diminue avec le temps. Dans ce cas, l’accélération diminuerait, puis, purement théoriquement, pourrait, imagine-t-on, devenir une décélération (=accélération négative), ce qui mènerait non plus à un Big Rip (si la constante cosmologique augmentait fortement, ce qui ferait même se dissocier les atomes et les nucléons), mais à un Big Crunch, une implosion de l’Univers.
– La constante cosmologique, selon les mesures actuelles, dues aux expériences du satellite PLANCK, est si petite, mais non nulle, et donc absolument positive, qu’on pourrait l’imaginer soit plus grande, soit plus petite, mais elle doit être toujours positive. Une valeur négative renverserait donc toute l’évolution future et violerait un principe de thermodynamiue
– On peut aussi montrer que l’entropie de l’Univers qui ne peut que croître (elle est donc toujours positive) est liée à cette valeur de la constante cosmologique. Elle croît indéfiniment, mais pas nécessairement vers l’infini ; en effet son maximum, atteignable asymptotiquement est fixé par la valeur de la constante cosmologique. On y est déjà à près de 70%. Selon la 2e loi de la thermodynamique, l’entropie doit toujours croître et il découle que la constante cosmologique doit bien être positive.
– Quant à concevoir une capsule comme « arche de Noé créant son énergie », cela relève de la SF et contredit aussi la thermodynamique. Si l’Univers est en expansion accélérée, il se dilue, ses étoiles s’éteindront toutes, sa température, de 2,73 K actuellement, approchera le zéro sans jamais l’atteindre. On ne pourra plus extraire de l’énergie de rien, celle-ci étant infiniment diluée.
Pour la « capsule comme arche de Noé » ce n’est concevable que dans un futur très, très lointain où nous aurions atteint un niveau de connaissances et de possibilités d’un niveau aussi inconcevable que pouvait l’être le Nautilus des Américains pour Jules Verne. Je tente à toute force d’être optimiste pour dans un futur extrêmement lointain. Le but étant alors de s’isoler du reste de l’univers. Difficile! Oui, science fiction!
Pour démontrer l’impossibilité de principe de cette capsule de sauvetage dans une réalisation « concevable dans un futur très, très lointain », revenons sur la notion d’entropie qui montre où est la limite, disons, dans la capacité à vouloir toujours « en faire davantage ». Cela sera impossible.
Il faut tout d’abord remarquer qu’il y a une grande analogie entre un trou noir et notre Univers, tel que limité par le rayon de Hubble, puisque rien de ce qui est au-delà ne nous sera plus jamais accessible et n’aura plus jamais d’interactions possibles avec nous. Dans le trou noir, son « horizon » est délimité par le lieu où la vitesse de libération atteint la vitesse de la lumière ; dans notre Univers, son « horizon » est le lieu où la vitesse d’expansion de l’espace atteint cette même vitesse de la lumière ; comme déjà dit, pour l’instant cet horizon continue de s’éloigner de nous. Dans le trou noir, rien ne peut en « sortir », pas même la lumière, d’où sa dénomination ; dans l’Univers, ce qui a passé et se trouve au-delà du « rayon de Hubble » [ donné par c/Ho, le quotient de la vitesse de la lumière par la constante de Hubble, soit la valeur actuelle du paramètre de Hubble qui va en diminuant avec le temps, ce qui entraîne que le rayon de Hubble continue de croître avec le temps ] échappera à tout jamais à notre observation, mais aussi à toute autre interaction avec nous, puisqu’aucune interaction ( électromagnétique ou gravitationnelle ) ne peut se propager à une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière. On sait aussi que le paramètre de Hubble, diminuant avec le temps, va tendre vers une valeur limite, finie et non nulle, et donc que le rayon de Hubble va également croître avec le temps vers une valeur limite, également finie.
D’autre part, Jacob Bekenstein (1947-2015) et Stephen Hawking (1942-2018) ont montré dans les années 1970 que l’entropie maximale, S(BH) d’un trou noir ( donc de tout son contenu, quel qu’il soit ; les lettres B et H, normalement en indice, étant aussi bien pour « Black Hole » que pour « Bekenstein Hawking » ! ) est proportionnelle au quart de sa « surface », donc proportionnelle au carré de son rayon, ou aussi au carré de sa masse. Cette entropie maximale possible, qui est la « limite de Bekenstein », donne une formule tout à fait remarquable contenant simplement les quatre constantes fondamentales (constante de Boltzmann, k, célérité de la lumière, c, constante de Planck, ħ, et constante de la gravitation universelle de Newton, G). Cette entropie limite, appliquée à l’Univers délimité par le futur rayon de Hubble limite, comprend encore la constante cosmologique, Λ.
Ce n’est pas l’habitude de ce blog, mais du fait de la simplicité et de la beauté de l’équation, cela vaut la peine de la donner ici : S(BH) = 3 π k c³ / (ħ G Λ).
Donc ces cinq constantes universelles fondamentales, complétée par trois fois le nombre transcendant π, suffisent, mais sont toutes les cinq nécessaires, pour quantifier cette valeur maximale que peut atteindre l’entropie. On ne pourrait envisager un éventuel dépassement de cette valeur limite de Bekenstein que si l’une ou l’autre de ces constantes universelles fondamentales n’étaient pas vraiment des constantes, en l’occurrence, que k ou c augmentent avec le temps, ou que ħ ou G ou Λ diminuent.
Nous connaissons maintenant la valeur de la constante cosmologique, Λ, depuis les mesures faites par l’observatoire spatial PLANCK entre 2009 et 2013 ; sa valeur ( sans dimension, donc en unité de Planck, ici en longueur de Planck au carré, soit précisément, ħ G /c³ ), vaut ~3 10^-122, et la valeur « limite de Bekenstein » de l’entropie (aussi sans dimension, donc en unité de Planck, ici k) vaut alors ~π 10^122. Ces deux nombres fantastiques, l’un très, très petit, et l’autre très, très grand, donnent le vertige, mais sont tous deux, strictement, non nul pour le premier et fini pour le second. Pour l’entropie, à la base aussi de la théorie de l’information, on peut illustrer son contenu qui s’explicite aussi en nombre de bits d’information. Autrement dit, on a ici une sorte de représentation complète des 10^122 « premières » décimales du nombre transcendant, π, donnant ainsi un vrai code universel indépassable !
Notes :
– Le 9 juin 2022 un record de calcul a été battu, donnant les 100’000 milliards (10^14) premières décimales de π, pourtant une fraction encore absolument infinitésimale du nombre ci-dessus.
– En 1881, l’astronome américain Simon Newcomb (1835-1909) a écrit : « Ten decimals are sufficient to give the circumference of the Earth to the fraction of an inch, and thirty decimals would give the circumference of the whole visible Universe to a quantity imperceptible with the most powerful microscope ».
Merci Monsieur de Reyff pour cette belle variation sur les formules et les chiffres qui décrivent notre Univers.
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Cela évoque la recherche du secret contenu dans le nombre π dans le beau roman « Contact » de Carl Sagan. Souvenez vous de l’aboutissement après un nombre vertigineux de décimales.
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Cela évoque aussi ce qu’écrivait Pascal dans ses « Pensées » (Transitions 4): « Qui se considérera de la sorte s’effraiera de soi-même et se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles et je crois que sa curiosité se changeant en admiration il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec présomption ». En considérant ces chiffres, leur précision et leur grandeur, on peut effectivement comme lui, mieux ressentir ce que signifie l’immensité du Temps et de l’Espace, et notre place à nous êtres humains, insignifiants par rapport à eux mais conscients…et s’émerveiller en regardant les étoiles.
Oui, on ne peut que trembler.