Nous sommes à la croisée des chemins ; rien n’est joué. L’homme peut décider de sortir de son berceau ou bien d’y rester. Il peut prendre son envol ou bien demeurer ici-bas dans un environnement de plus en plus difficile où il risque d’avoir à restreindre sa consommation d’énergie, sa consommation de matières premières et le nombre de ses enfants, et ceci au prix d’une bonne partie de sa liberté et sans doute de la paix. Au début du film Interstellar, le metteur en scène, Christopher Nolan, décrit bien ce genre de situation ; dans la réalité les prémices en sont perceptibles. Pourquoi attendre ?
Attention ! Tout comme le peuplement de l’Amérique n’a pas vidé l’Europe, ni l’Afrique, de ses habitants, le peuplement de Mars n’entrainerait pas une solution immédiate et directe aux problèmes d’épuisement des ressources et de surpopulation sur Terre car, lorsqu’on parle de l’essaimage hors de notre planète, il faut bien voir qu’il ne pourra concerner que quelques centaines de personnes puis quelques milliers mais ce serait comme une soupape permettant l’espoir aux plus entreprenants et le passage d’un relais à une nouvelle branche de l’humanité porteuse de tout notre savoir accumulé, de toute notre hérédité et de tout notre potentiel démographique.
Mais malheureusement nous n’en sommes pas là ! Les dirigeants démocratiques expriment ce que pensent les peuples et aujourd’hui ils semblent estimer que, s’agissant d’une éventuelle installation de l’homme hors de la Terre, ceux-ci sont déjà passés dans la phase « raisonnable » de leur évolution psychologique qui consiste à dire « traitons d’abord les problèmes que nous avons sur Terre et on verra après ». Il faut bien le reconnaître, les missions habitées dans l’espace profond ne sont plus à la mode même si la recherche scientifique robotisée d’une part et les applications terrestres dans l’espace proche le restent. Cela conduit l’« establishment », sauf exceptions bien sûr, à refuser de considérer le risque du repli sur soi et de l’attrition que j’envisage au début de ce billet. Récemment un responsable important de l’ESA répondait à mon plaidoyer pour une exploration habitée de Mars plus dynamique, que « Mars sera[it] toujours là ». Un autre représentant d’un grand pays auprès de l’Union Européenne répondait à mon impatience sur le même thème, que ce n’était pas d’actualité car « on risquait de griller » en sortant de la protection des Ceintures de van Allen ! Le désintérêt (souvent méprisant) conduit à l’insouciance et à l’ignorance.
Il faut renverser cette situation, les populations doivent se mobiliser pour demander à leurs dirigeants d’ouvrir pour eux, ou au moins de les aider à ouvrir, la lourde porte de l’espace profond qu’ils se soucient si peu de laisser fermée. Comme tout être humain sur cette Terre, vous-même, cher lecteur, êtes concerné. Si vous voulez passer du rêve à la réalité, il faut demander « plus d’espace » ou, mieux, « plus de Mars », et d’une Mars qui ne soit pas seulement le terrain de recherche d’une autre vie possible mais aussi un nouveau support pour l’épanouissement de notre propre vie terrestre et un tremplin vers les étoiles.
Aux Etats-Unis il faut soutenir Elon Musk dans son projet ; en Europe il faut dire à l’ESA que « non », Mars n’est pas pour un vague après-demain mais pour un demain concret. John Kennedy disait « la Lune dans 10 ans ». A la Mars Society, notre programme est « Mars dans dix ans » mais le chronomètre ne pourra être déclenché que lorsque nous le voudrons tous ensemble.
Concrètement que faire ? Je vous invite évidemment à nous rejoindre, un grand nombre d’adhérents aux différentes Mars Society autour du globe serait en soi un appel fort à nos gouvernants respectifs. Mais, si vous ne souhaitez pas adhérer, pour toutes sortes de raisons mais que cependant vous considériez favorablement notre projet, faites-vous en les soutiens moraux, à l’occasion vocaux. Lorsque vous lirez les déclarations officielles parlant de « délais nécessaires », « d’impossibilités techniques », de « priorités », de « préalables », réagissez !
Pour vous placer dans le contexte, transportez-vous par la pensée dans les années 1480 à la cour du roi Jean II de Portugal, après qu’il ait reçu de Christophe Colomb la demande de quelques caravelles pour rejoindre Cathay et les Indes en traversant l’Océan. Il hésite et finira par refuser, préférant cheminer plus précautionneusement vers les terres à épices en suivant les côtes africaines. Ses marins doubleront ainsi le Cap de Bonne Espérance (notre ISS) en 1488 et atteindront Calicut en Inde (notre Lune) en 1498. Si Christophe Colon n’avait finalement reçu le soutien d’Isabelle de Castille, quand serions-nous arrivés dans une Amérique insoupçonnable par-delà le Pacifique ? Qui aurait suivi la côte du Kamtchatka pour atteindre l’Alaska avant que le navigateur Ivan Fiodorov ne le fasse en 1732 sous le règne de la tsarine Anne, nièce de Pierre le Grand ? Nous en sommes là ; nous faisons face au doute, au scepticisme, aux réticences. Il y a toujours des monstres et des sirènes dans l’Océan et notre Christophe Colon (Elon Musk* ?) doit se débrouiller tout seul. Aujourd’hui Jean II (la NASA ou l’ESA) peut encore accepter notre requête, si vous comprenez bien la situation et exprimez votre fort soutien à notre projet. Autrement nous devrions miser sur une Isabelle de Castille qui serait mue par l’esprit de concurrence pour faire mieux que son rival. Mais existe-t-elle ? La Chine, l’Inde ? Malheureusement pour l’instant, elles n’ont ni les caravelles, ni les instruments de navigation et la Russie « n’a plus les moyens ». Nous ne pouvons donc vraiment compter que sur Jean II. Alors, je vous en prie cher lecteur et électeur, membre vivant de l’opinion publique qui mène le monde, si vous êtes interrogé ou sondé par un décideur éminent qui aurait vaguement perçu une rumeur favorable pour aller sur Mars mais qui hésite, faites davantage de bruit et dites « oui » à l’aventure !
Image à la Une: Aurora (ESA) credit ESA et Pierre Carril. Cette illustration lui a été commandée par l’ESA à l’époque du lancement de son programme Aurora. Pierre Carril est un des meilleurs illustrateurs français se consacrant à l’espace. Ses dessins sont toujours extrêmement rigoureux et porteurs de sens.
NB 1: J’ai publié un article sous le titre « Le rôle de chacun » en Mars 2017. Il n’a attiré l’attention que de peu de lecteurs. Comme pour moi, le thème est important, je le reprends aujourd’hui, sous un nouveau titre.
NB 2: Je reste persuadé que ce seront les grands capitalistes américains et au premier chef Elon Musk, qui seront les moteurs de l’établissement de l’homme sur Mars mais je pense aussi qu’ils auront besoin, comme Christophe Colomb, du soutien des Etats.
7 Responses
L’homo sapiens a mis 100’000 ans pour sortir d’Afrique. Il peut bien attendre encore la même durée pour sortir de sa planète et conquérir l’espace. Aucune urgence cosmologique ne l’oblige à le faire à court terme, d’autant que sa technologie reste primaire. Les humains ne pourront pas voyager des années dans l’espace, ils enverront plutôt des graines et des ovules pour les laisser grandir ailleurs où les conditions leur permettront de se développer.
La question immédiate concerne l’écologie terrestre, la planète Mars ne représentant un intérêt que pour des rêveurs inspirés par des mauvais films de science fiction, dont les effets spéciaux sont à mourir de rire et très éloignés de la réalité martienne !
Monsieur Gior, je vous trouve bien confiant, au vu des dangers qui menacent l’existence même de l’humanité, quand vous dites que l’on peut bien attendre encore 100.00 ans pour conquérir l’espace. Par ailleurs, notre technologie nous permet aujourd’hui d’envisager l’établissement de l’homme sur Mars et je ne vois pas au nom de quel principe de précaution, on ne tenterait pas de le faire. NB: il ne s’agit d’ailleurs pas de « voyager des années dans l’espace », nos fusées pouvant atteindre la planète Mars en 6 mois. Enfin, contrairement à ce que vous dites,ce projet martien ne s’oppose nullement aux soins que nous devons porter à notre écologie terrestre, la préparation du séjour sur Mars nous apprend d’ailleurs énormément de choses importantes sur le recyclage et permet de donner des leçons à l’humanité sur le caractère précieux et fragile de notre propre système écologique. Il n’y a qu’un seul point sur lequel je serais d’accord avec vous, c’est que la quasi totalité des films de science fiction parus sur l’espace sont bien mauvais, même s’ils ne sont pas tous à jeter en raison de certains beaux moments (évidemment pas les effets spéciaux ridicules). Il y a heureusement d’autres sources d’inspiration. Par ailleurs, il y a aussi beaucoup plus de mauvais que de bon films, quel que soit leur sujet.
Bonjour Mr GIORT,
Je suis tout à fait d’accord avec vous quant à vos préoccupations pour l’écosystème terrestre. Il est plus qu’urgent de s’en occuper !
Cela dit, ce n’est pas d’argent dont la Terre à besoin mais de répit. Il faut arrêter de cultiver des hectares de céréales qui vont servir à produire de la viande dont la moitié finira dans les poubelles des pays riches. Il faut arrêter de produire du sucre destiné à fabriquer des obèses à grand coups de sodas. Il faut arrêter d’empoisonner des populations en extrayant des matières premières comme l’aluminium alors que son recyclage est possible à plus de 95%. Il faut empêcher ces C … d de japonais de continuer à pratiquer la pêche à la baleine. Bref, l’écologie n’a pas besoin que de peu d’argent mais de beaucoup de volonté.
Du coup, affecter des fonds à l’exploration spatiale et occuper les meilleurs cerveaux de la planète à concevoir les vaisseaux et outils qui vont permettre d’y arriver, ne me semble pas une mauvaise utilisation de nos ressources. C’est toujours mieux que de concevoir des nouveau smartphones encore plus plats, avec plus de pixels qui seront jetés au bout de quelques mois, de fabriquer des appareils électroménagers non réparables, d’affecter les ressources des labos pharmaceutiques à produire des médicaments contre le cholestérol ou pour prolonger l’érection, ou bien de dépenser des milliards dans les budgets défense et la production d’armes.
Pour en revenir à l’exploration spatiale et à la présence humaine dans l’espace. L’homme a de tout temps été un explorateur et continuera à l’être. Les premiers explorateurs ont confié leur destiné à des radeaux puis des drakkars et des caravelles pour des voyages de plusieurs mois. Ils l’ont souvent payés de leur vie sans que cela ne change d’un iota les conditions de vie de leur compatriotes. Il faut arrêter de dire que les quelques milliards affectés à l’espace vont manquer aux populations qui crèvent de faim, se font massacrer par des intégristes et des chefs de guerre ou empoisonner par des multinationales peu scrupuleuses.
Concevoir et réaliser les système de survie et de recyclage qui permettront aux humains de vivre des mois dans l’espace et des années sur Mars ne peux qu’être favorable à la population terrienne. Sait-on jamais, on en aura peut-être besoin dans quelques années quand nous aurons épuisées nos ressources, détruit l’écosystème pollué toute l’atmosphère.
Contrairement à ce que vous affirmez, la technologie actuelle est encore simple mais pas primaire. Nous avons fait d’énorme progrès en puissance de calcul. La fabrication additive (impression 3D) permet de réaliser des petite séries ou des pièces uniques à des prix 10 à 100 fois moins élevés qu’avec les techniques d’usinage classiques. Un certain Elon Musk est en train de démonter qu’une fusée peut être utilisée plusieurs fois.
En résumé, une fenêtre vient de s’ouvrir. Si nous n’en profitons pas, l’espèce humaine ou au moins la civilisation actuelle finira par mourir dans son berceau.
PS) À propos des films de science fiction ou plutôt d’anticipation, la quasi totalité est incroyablement pessimiste et promeut la culture de l’échec et du à quoi bon. Le seul qui trouve grâce à mes yeux, est « Seul sur Mars » ou « The Martian » en anglais car il est résolument optimiste. Il aurait même pu servir de film de propagande à la NASA.
Merci Monsieur Philippon de cette très belle réponse.
Si l’on entend susciter une pluslarge adhésion à la «cause martienne», il serait bon de laisser toutes les opinions sur ce sujet librement s’exprimer et ne pas décourager les rares (pour le moment) bonnes volontés en rejetant d’office des idées qui peuvent éventuellement s’écarter de la ligne affichée sur ce blog par exemple.
Dans un domaine qui reste encore largement à défricher, aucune idée n’est a priori «absurde» et bien prétentieux qui prétendrait connaître dès aujourd’hui toute la vérité et rien que la vérité. C’est uniquement du choc des idées dans le cadre d’une discussion pleinement ouverte que peuvent émerger des propositions/solutions innovantes auxquelles on n’aurait pas forcément pensé initialement. Rappelons que c’est paraît-il un «obscur» technicien de la NASA qui a le premier suggéré la solution du rendez-vous en orbite lunaire pour le programme Apollo, ce qui a permis de relever le défi de J.F. Kennedy avec un lanceur de taille raisonnable et dans les délais fixés alors que les «pontes» de la NASA avaient tous en tête le concept d’un super-lanceur (qui aurait été difficile et long à mettre au point) pour lancer un vaisseau directement vers la surface lunaire et retour.
Il faut aussi faire attention de ne pas utiliser des arguments inadéquats ou que certains pourraient retourner contre l’objectif visé. Par exemple, aucun des problèmes terrestres évoqués en début du blog de cette semaine (surpopulation, épuisement des ressources, pollution …) ne trouvera de solution avec un possible établissement de l’Homme sur Mars. Il suffit de rappeler que même si on disposait d’une nouvelle Terre (ce que Mars bien sûr n’est pas) et que la moitié de l’humanité pouvait y trouver un nouveau foyer, en à peine un peu plus d’un demi-siècle au taux de croissance actuel de la population humaine on se retrouverait sur les deux planètes dans la même situation qu’aujourd’hui sur Terre (et donc avec les mêmes problèmes de place, de ressources, de pollution). Les bonnes raisons d’explorer/coloniser Mars sont ailleurs.
J’éviterais aussi de donner Christophe Colomb en exemple pour les futurs explorateurs/colonisateurs martiens, un navigateur qui est parti à l’aventure sans savoir où il allait, est arrivé au terme de son voyage sans savoir où il était, et est retourné «à sa base» en étant persuadé d’avoir été ailleurs ! Et cela sur la base de calculs complétement erronés, ou alors en ayant sciemment trompé son «sponsor» (et ses hommes) ce qui serait encore moins glorieux*. Elon Musk mérite mieux comme comparaison !
Enfin, il ne faut pas trop se focaliser sur les vieilles recettes terrestres pour ce qui est de l’organisation d’une future société martienne. Quand on voit ce qu’elles ont donné sur Terre en matière d’inégalités sociales, accaparement des ressources, atteintes à l’environnement, conflits en tout genre, etc., ce n’est pas très enthousiasmant d’imaginer aller sur la planète rouge pour y dupliquer cela ! On peut espérer que les futurs «Martiens» sauront se doter d’une structure sociétale innovante qui évitera ces écueils, structure spécifiquement adaptée à ce nouveau monde beaucoup plus exigeant, aux ressources rares, et moins tolérant/résilient aux erreurs que le nôtre.
En bref, pour encourager de nouvelles personnes à se rallier à la «cause martienne», il faut éviter les positions figées et dogmatiques et rester ouverts à ce stade à toutes les idées et propositions tant que la démonstration de leur éventuelle inadéquation n’aura pas été clairement faite.
* Sans compter que Christophe Colomb n’a sans doute rien découvert, les Vikings l’ayant très vraisemblablement précédé.
Vous vous plaignez que toutes les opinions ne puissent s’exprimer sur ce blog. Le fait de vous publier prouve le contraire.
Surpopulation, épuisement des ressources, pollution sur Terre ne trouveront certainement pas de solution du fait de l’établissement de l’homme sur Mars. C’est évident et je n’ai jamais prétendu le contraire. Au début de mon article, je parle de ces problèmes (sur Terre) et j’envisage que la vie y devienne de plus en plus difficile de ce fait. Dans ce cas, les priorités seront définitivement contraires aux voyages spatiaux (on voit déjà la tendance aujourd’hui). Ceci implique que si certains d’entre nous ne choisissent pas, maintenant, de quitter la Terre, pour tenter d’aller vivre ailleurs (Mars étant la seule possibilité), l’humanité risque de disparaitre, tout simplement. Mais, si les hommes qui partent sur Mars veulent reproduire les mêmes erreurs que sur Terre, il me semble évident que l’humanité n’a aucune chance à long terme. J’écris bien d’ailleurs qu’il ne faut pas rechercher dans l’installation sur Mars, une solution à ces problèmes. Mars est un astre pauvre et il n’aurait de toute façon pas les ressources suffisantes pour « soutenir » une population importante. J’évalue a priori un maximum d’un ou deux millions d’habitants (cf mon article du 16 juin : « Mars ne pourra sauver qu’un petit nombre d’élus »). Comme vous le dites, l’intérêt de l’installation de l’homme sur Mars est ailleurs ; pour moi il s’agit de donner une seconde chance à l’humanité.
On peut gloser sur « les vieilles recettes terrestres ». Il est vrai que les Martiens décideront eux-mêmes de leur organisation politico-économico-sociale. Mais s’ils se lancent dans le collectivisme, ils n’ont aucune chance.
Christophe Colomb vivait au 15ème puis 16ème siècle. On ne peut lui reprocher de ne pas avoir eu de préparation aussi bonne que celle dont nous pouvons disposer aujourd’hui avant un voyage dans l’espace. Ceci dit, il n’est pas impossible qu’il ait eu connaissance des voyages des pécheurs basques ou des raids des Islandais dans le Nord de l’Amérique du Nord. Ce qui compte dans son cas, c’est l’esprit d’aventure, l’audace et la ténacité. Il n’en manquait pas et il peut à ce titre servir de modèle.
Mr Haldi,
La virulence de votre diatribe n’a d’égale que son imprécision.
En effet, à par des échanges vigoureux sur le mode de gouvernement des premiers colons de Mars, je ne retrouve aucun des griefs reprochés dans les articles publiés sur ce blog.
Cela s’appelle se tromper de cible !