EXPLORATION SPATIALE - LE BLOG DE PIERRE BRISSON

J’évoquais la semaine dernière la co-évolution de la vie et de la matière. Je voudrais développer ce thème aujourd’hui comme je l’avais fait en juillet 2020 à la suite de mon premier article sur ce thème, dans le contexte des perspectives écologiques qui menacent aussi bien la Terre que notre espèce. Je reprends mon article d’il y a quatre ans en le modifiant juste un peu car il reste plus que jamais d’actualité.

Nous les hommes, tout comme les autres êtres vivants, sommes les fruits de la Terre. Nous en sommes partie intégrante, produits de la co-évolution de sa minéralogie et de sa biologie et agents actifs de cette co-évolution. Il n’y a pas un atome de notre corps qui ne remonte à la nébuleuse protoplanétaire à partir de laquelle est né notre Soleil qui nous donne son énergie et notre planète qui nous prête sa matière. Nous sommes nés poussière et nous retournerons à la poussière, c’est bien connu, mais cette poussière du fait de notre intermédiation biologique et industrielle sera chimiquement légèrement différente de celle à partir de laquelle nous avons été formés et que nous avons utilisée et, avec le temps et l’accumulation des masses impliquées, la minéralogie qui résultera de cette vie, sera, elle aussi, différente. Souvenons-nous, le calcaire provient en grande partie des coquillages abritant des mollusques !

Chaque génération d’hommes constitue l’ensemble des grains actifs de cette évolution, du côté de la vie bien sûr, et au point où nous sommes arrivés de notre histoire, nous attendons que le vent de nos fusées emporte notre semence, c’est-à-dire quelques-uns d’entre nous tel le pollen de nos pins, pour fertiliser une autre Terre. Mais le pollen n’est mobilisable qu’au printemps et tous ses grains ne réalisent pas leur potentialité. Peut-être n’y aura-t-il pas suffisamment de vent (d’ergols pour nos fusées), qu’il ne sera pas suffisamment puissant (si le projet d’Elon Musk n’aboutit pas), que nos fusées ne seront pas suffisamment nombreuses, que leur capacité d’emport sera trop réduite, que le sol sur lequel nous nous poserons ne sera pas suffisamment fertile ou que nous ne parviendrons pas à le rendre fertile en l’aménageant un minimum pour nous permettre d’y prospérer dans la fenêtre temporelle qui nous est aujourd’hui ouverte. Si tel était le cas, nous mourrons comme peut-être d’autres civilisations déjà mortes, dans notre galaxie ou ailleurs, en ce moment ou il y a bien longtemps.

Beaucoup parmi nos contemporains s’indignent de ce que l’homme ait transformé sa planète et continue à le faire. Ils voudraient qu’il disparaisse, qu’il s’efface ou au moins qu’il cesse d’interférer pour créer une Terre différente de celle qu’il a trouvée en accédant à la conscience, afin que la Terre retrouve sa virginité ou sa pureté supposée d’origine. Je pense que cette attitude régressive et inhibante est tout à fait irréaliste et dangereuse.

Quoi qu’il arrive, la Terre que nous laisserons à notre mort ne sera pas celle que nous avons trouvée à notre naissance. La Terre, comme tout l’Univers, évolue et nous n’y pouvons rien ou plutôt « presque rien ». L’action nécessaire et possible que nous devons entreprendre, puisque nous sommes des êtres conscients et capables de réfléchir et de faire, c’est moduler notre impact sur notre environnement, nous faire le plus discrets possible. Il semble évident que nous le devons puisque les externalités négatives résultant de notre vie deviennent sensibles, visibles, gênantes et qu’elles sont forcément préoccupantes parce qu’elles apparaissent trop rapidement pour que nous ayons le temps de nous y adapter sans « rien » faire (dans la mesure où comme tout être vivant nous désirons survivre en tant qu’espèce).

Notre humanité, par le nombre de ses composants et par sa masse, est comme un paquebot (pour ne pas parler du Titanic !). Sa force d’inertie rend impossible toute action immédiate ou plutôt l’obtention d’un résultat quelconque à des décisions immédiates. Et les déséquilibres néfastes pour nous, que nous créons, s’aggravent. Cependant vouloir un résultat rapide ne peut être obtenu en cassant le gouvernail en le mettant en position contraire à la route suivie, pas plus qu’en décidant de sauter à la mer et de nager pour continuer le voyage. La bonne approche, en fait la seule réaliste, ne peut être que l’inclinaison de quelques degrés par rapport à la direction initiale à défaut de pouvoir armer suffisamment notre coque pour pouvoir nous permettre de heurter l’iceberg (mais peut être devons-nous quand même nous préparer à cette éventualité). Casser le gouvernail ne conduirait qu’à l’anarchie et à un enchainement d’accidents irrémédiables pour notre espèce (pas question de vivre à neuf milliards comme nous vivions il y a deux siècles lorsque nous n’étions qu’un seul milliard ou même comme avant la première guerre mondiale quand nous n’étions que 1,6 milliards). Se jeter à l’eau, en abandonnant toute technologie (notre navire), serait la mort certaine par noyade.

Pour la persistance de la Vie, ce ne serait pas grave. Elle est comme l’eau qui coule. Une fois versée, elle s’insinue partout où elle trouve passage. Si nous disparaissons avec les mammifères, les poissons et les oiseaux que nous avons déjà sérieusement décimés par inconscience, par arrogance ou par bêtise, les arachnides, les crustacés ou les mollusques survivront sans doute, ou à défaut (si la situation devient plus grave), les champignons, les bactéries et les archées. Mais hélas, même si on leur laisse le temps, je doute que l’une quelconque des diverses formes de vie provenant de l’évolution de ces êtres primitifs devienne un jour lointain aussi intelligente que nous l’aurons été. Il n’y a aucune garantie, aucun automatisme qui nous disent que ce serait possible !

Soyons raisonnables. Nous sommes embarqués ; regardons devant nous et manœuvrons. Ce n’est que l’intelligence et le sang-froid, non la panique, qui nous sauveront. Et l’expression de notre intelligence, outre notre modération dans l’utilisation de nos ressources rares et dans notre prolifération, c’est notre capacité technologique. Et les meilleurs moyens de développer cette technologie ce sont notre esprit créateur et notre liberté, co-évoluant avec le désir des consommateurs, autrement dit des autres hommes, s’exprimant sur un marché. L’immense majorité des êtres humains vivants a pris conscience du danger d’un dérèglement environnemental trop rapide et nulle force n’est supérieure à leur puissance économique collective. Ne cédons pas aux sirènes qui voudraient nous forcer de façon autoritaire à suivre la « bonne voie » (la leur, pas forcément la meilleure) pour atteindre l’harmonie dont nous avons besoin.

Cependant il nous faut anticiper le pire, l’arrivée au pouvoir de tous ceux qui veulent empêcher le développement des activités spatiales et autres (production d’électricité à partir de centrales nucléaires ou mise au point et productions d’OGM agricoles, pour exemples !) décrétées inutiles ou nuisibles au nom de leurs principes et qui pourraient ainsi casser la machine qui nous permet de vivre. Il faut espérer qu’auparavant, le vent aura apporté quelques grains de notre pollen jusqu’à Mars et que ces grains auront eu le temps de se poser sur quelques pistils martiens que nous y aurons préparés (ISRU* !), pour accueillir et développer de nouveaux hommes sur une nouvelle Terre. L’opportunité, ou la fenêtre, s’ouvre aujourd’hui. Ne la laissons pas passer/se refermer !

Disons oui à l’écologie mais à une écologie intelligente et courageuse en nous appuyant sur toute la force de nos capacités technologiques les plus « modernes » et mettons-nous en tête que pour prévenir un effacement total de notre Civilisation en cas d’échec, nous devons préparer notre Arche de Noé, une Colonie sur la Planète Mars.

*l’ISRU (In Situ Resources Utilization) est la théorie conceptualisée par Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society aux Etats-Unis, s’inspirant de la traversée de l’Amérique par Lewis et Clark (1803 – 1806). Selon cette théorie, étant donné que nos capacités d’emport et de transport en volume et en masse depuis la Terre sont limitées, nous devons utiliser au maximum les ressources locales, en l’occurrence martiennes. Celles-ci sont constituées par son atmosphère (CO2, N2), son eau (y compris H2 et O2), son sol (toutes sortes de minéraux et, sans limitations, tous leurs composants chimiques), dans un contexte où une certaine puissance énergétique solaire reste disponible à cette distance de notre étoile (que nous compléterons avec de l’énergie nucléaire et peut-être un peu de géothermie si nous construisons notre colonie près d’un « point chaud »).

Illustration : vu du cratère Gale à partir du site « Glen Torridon » sur le flanc du Mont Sharp. Extrait du panorama pris par la camera Mastcam de Curiosity entre le 24 Novembre et le 1er Décembre 2019. Crédit NASA/JPL-CalTech. Au premier plan vous voyez les traces laissées au sol par les roues du rover. Jusqu’à présent il n’y a eu là-bas aucune coévolution entre vie et matière. On nous attend pour ensemencer ce nouveau monde !

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Une réponse

  1. La plupart des scénarios que nous prédisent les futurologues sont en effet des dystopies. Comme si l’Homme était irrémédiablement condamné à saccager son berceau d’origine et détruire peu à peu la Nature dont il est pourtant partie prenante, en conséquence de sa supposée suprématie sur celle-ci. Il est certain que nous allons affronter dans un futur proche le plus grand défi de l’histoire de l’Humanité qui nous mettra face aux conséquences potentiellement désastreuses de nos actions insuffisamment réfléchies, issues d’une persistante dominance de notre cerveau reptilien et d’un égoïsme aveugle. Mais le pire n’est pas pour autant certain, nous avons heureusement un cerveau plus évolué à côté de notre cerveau reptilien, qui nous permet (ou en tout cas devrait nous permettre) d’être conscients des risques que nous faisons peser sur notre environnement et d’éviter alors la catastrophe qui menace.

    Cette discussion me fait penser aux réflexions du regretté Albert Ducrocq qui avait postulé l’existence de deux types de civilisations: les « sages » et les « folles ». Les premières évoluant à un rythme leur permettant d’évoluer mentalement en parallèle de manière à garder en tout temps le contrôle des capacités technologiques qu’elles auraient acquises; par exemple en ne créant pas de bombes une fois découverte l’énergie nucléaire. Ce type de civilisation pourrait atteindre un stade de développement lui permettant de devenir une espèce multi-planétaire. Ce ne serait pas le cas des civilisations folles dont l’agressivité non maîtrisée les conduirait à s’auto-détruire avant, ou au seuil, d’atteindre ce stade. Cette hypothèse est intéressante, mais je me suis toujours demandé s’il n’y avait pas un biais dans le raisonnement. Une civilisation sage peut-elle vraiment atteindre un très haut stade de développement technologique? N’est-ce pas justement l’agressivité fondamentale de notre espèce qui lui a permis d’atteindre le haut développement technologique qui est le nôtre (on ne compte plus les inventions qui ont eu au départ des motivations guerrières, … y compris dans le domaine de l’astronautique, la Saturn V étant par exemple un « rejeton » assez direct de la V-2 allemande de sinistre mémoire)? A méditer.

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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