EXPLORATION SPATIALE - LE BLOG DE PIERRE BRISSON

Je parlerai aujourd’hui des problèmes posés par l’immensité de l’Univers, le temps que l’on ne peut que mesurer, la vitesse de nos différents vecteurs qui est limitée absolument par celle de la lumière. Ils constituent aujourd’hui des lignes d’horizons infranchissables dans le domaine de l’astronautique et aussi dans celui de l’astronomie. Ils n’en laissent pas moins ouvertes des perspectives de développement infinies.

L’immensité de l’Univers.

C’est la donnée qui constitue l’obstacle le plus formidable à l’astronautique et à l’astronomie, celui qui commande tous les autres. Comme on le voit à l’occasion des discussions sur les exoplanètes, les dimensions de l’Univers nous écrasent. Il faudrait parcourir 45.000 milliards de km pour atteindre le système de Proxima Centauri, étoile la plus proche du Soleil, auquel appartient Proxima-b, objet du projet d’exploration Breakthrough Starshot, et Pluton dans notre système, n’évolue qu’à une distance de 6 à 9 milliards de km. Par ailleurs, la Voie Lactée a un diamètre de 100.000 années-lumière ; la Galaxie d’Andromède, sa plus proche voisine, est située à 2,5 millions d’années-lumière et l’origine de l’univers, qui est de ce fait le point le plus lointain dont nous pouvons recevoir un message, se trouvait au moment de l’émission de ce message à 13,8 milliards d’années-lumière c’est à dire que la lumière qui en provient et que nous percevons aujourd’hui a mis pour nous atteindre trois fois là durée de la vie entière de notre soleil. Ces chiffres donnent le vertige en regard de nos faibles moyens et de la courte durée de nos vies.

L’astronomie s’en accommode évidemment beaucoup mieux que l’astronautique mais elle y est cependant également confrontée. Pour voir de plus en plus précisément de plus en plus loin, elle s’efforce de valoriser de mieux en mieux le moindre photon de lumière  recueilli dans des télescopes ou réseaux de télescopes de plus en plus puissants. Hubble distingue individuellement des astres de magnitude apparente* 30 et JWST sera encore plus performant. Au sol, les télescopes de plus en plus puissants corrigent de mieux en mieux leurs faiblesses (sans pouvoir néanmoins collecter toutes les longueurs d’onde). Ainsi avec l’instrument MUSE (conçu par le Centre de Recherche Astrophysique de Lyon), le VLT pourra obtenir simultanément un spectre pour chacun des points du champ de vue sur lequel il travaillera. D’autres télescopes veulent cartographier l’immensité plutôt que la percer de plus en plus profondément, tel Gaïa de l’ESA. La mission en cours de ce dernier, situé au point de Lagrange terrestre « L2 », montre cependant la limite (actuelle) de l’exercice bien que le mécanisme d’ajustement et de prise de vue soit beaucoup plus rapide que les autres. Le télescope a une puissance de séparation de quelques millièmes de secondes d’arc, et bientôt de quelques millionièmes de secondes d’arc (on pourrait voir un tabouret et bientôt une pièce de monnaie sur la Lune). C’est un instrument formidable même s’il est moins puissant que Hubble puisqu’il ne discerne les astres « que » jusqu’à la magnitude 20. Cependant, après trois ans d’opération, il n’a pu mesurer « à plat » (on pourrait dire aussi en « 2D ») la position « que » d’un milliard d’étoiles et « en 3D » (c’est-à-dire en incluant une évaluation de distance), de 2 millions d’étoiles (en attendant 10). C’est très peu sur les 100 milliards que compte la Voie-Lactée et sa vision ne porte que sur environ un petit quart de cette galaxie. Comme souvent en science, il faudra donc extrapoler à partir de l’échantillon obtenu. A noter que cet échantillon est toutefois bien supérieur à la « collecte » précédente, les 114.000 étoiles de la mission Hipparcos terminée en 1997 et heureusement il nous permet de voir beaucoup plus loin, jusqu’au centre galactique.

*NB: l’œil nu ne peut distinguer d’astres au-delà de la magnitude 6. Neptune (au mieux 7.8) et Pluton (au mieux 13.7) sont au-delà de ce seuil mais pas Uranus (au mieux 5.3). Par contre une très bonne paire de jumelles peut permettre d’aller jusqu’à la magnitude 10 (ce qui ne peut toujours pas permettre de voir Pluton!). Dans l’autre sens, les astres les plus visibles ont des magnitudes négatives (Mars, au mieux -2.9 ; Vénus -4.6)

Le Temps.

C’est la seconde contrainte qui domine l’astronautique. Nous venons de nous éveiller au monde et ne disposons déjà, peut-être, que de peu de temps avant une catastrophe telle que nous devions chercher refuge « ailleurs » ou que nous ne disparaissions corps et biens. L’espèce humaine ne s’est différenciée de celle des singes qu’il n’y a seulement quelques petits millions d’années (7 ?), juste deux fois ce qu’il a fallu à la lumière pour nous parvenir de la Galaxie d’Andromède, notre plus proche voisine ! A la plus grande vitesse imaginable, celle que nous procurerait la lumière des rayons lasers gonflant une voile spatiale comme veulent en construire les promoteurs du projet Breakthrough Starshot (soutenus par Stephen Hawking), il faudrait vingt ans pour rejoindre Proxima Centauri mais, à la vitesse que procurerait une propulsion chimique classique, il en faudrait 20.000 !

Pour l’astronomie le temps constitue aussi un obstacle incontournable puisque la vitesse de la lumière (ou des ondes électromagnétiques dans leur ensemble), l’unique messager de nos informations, est limitée absolument et ne nous permet donc de voir que dans notre passé.

La vitesse.

En astronautique, tout espoir de vitesse générée par l’énergie que nous pouvons activer est comme chacun sait, limité par celle de la lumière. Ses 300.000 km par seconde sont insurpassables et pour l’atteindre, notre vaisseau devrait avoir une masse nulle. Le projet Breakthrough Starshot  nous fait espérer une vitesse égale à 20% de celle de la lumière (pour des « nano-masses » !). Mais à 60.000 km/s, l’impact de la moindre poussière pourrait déjà avoir des effets terribles sur la coque de notre vaisseau ou notre voile spatiale. Par ailleurs, à partir de 10% de la vitesse de la lumière, l’effet relativiste résultant du différentiel de vitesse entre les personnes restées sur Terre et les voyageurs spatiaux deviendrait notable, le temps s’écoulant plus lentement pour ces derniers. On voit les problèmes que cela poserait au retour si le vaisseau était habité ! Mais il n’est pas encore opportun de s’inquiéter car actuellement la plus grande vitesse que nous ayons obtenue (par propulsion chimique assistée par la gravité de certaines planètes) par rapport au Soleil n’est que de 17,26 km/s (celle de Voyager 1, aujourd’hui aux confins du système solaire).

En astronomie les problèmes sont différents puisqu’il n’est pas question d’« aller vers ». Cependant la vitesse impose aussi un obstacle. Du fait de l’expansion de l’univers, les éléments qui le composent s’éloignent les uns des autres à une vitesse d’autant plus grande qu’ils sont plus lointains…jusqu’à atteindre la vitesse de la lumière. Ainsi nous pouvons encore voir les galaxies dont la distance croît entre nous à une vitesse juste inférieure à celle de la lumière mais d’autres déjà plus lointaine ont « disparu des radars ». Et puis, comme dit plus haut, il y a la finitude de la vitesse de la lumière qui nous interdit de voir l’état de nos voisins dans le même temps que nous (Antarès, l’étoile géante rouge la plus « proche », a peut-être déjà explosé en supernova et nous ne le savons pas encore car la lumière que nous recevons d’elle aujourd’hui en est partie il y a 600 ans). D’un autre côté la vitesse nous renseigne aussi sur la distance (une tendance vers le rouge exprime par effet Doppler-Fizeau une vitesse d’éloignement d’autant plus grande que la lumière reçue est lointaine). Ce « défaut » nous est donc indispensable pour connaître l’univers en 3D.

Ces contraintes cependant ne nous empêchent ni de progresser dans la Connaissance (l’analyse des effets Doppler ou la mise en oeuvre du concept de « spectographe intégral de champ » de MUSE ), ni d’envisager de « sortir de notre berceau » (il y a peut-être une vraie seconde Terre dans la sphère des 10 années-lumière dont nous sommes le centre, et plein d’autres endroits où nos astronautes pourrons « poser les bottes » de leurs scaphandres). Dans ce qui nous est accessible, tant reste encore à découvrir ! La semaine prochaine je vous parlerai des autres problèmes qui, à la différence de ceux-ci, ne concernent que l’astronautique.

Image à la Une : le champ ultra-profond de Hubble (« Ultra Deep Field ») tel que visible en juin 2014 après 841 images prises entre 2003 et 2012 dans toutes les longueurs d’onde captables par le télescope (de l’ultraviolet à l’infrarouge). Le télescope visait une toute petite région de la galaxie du Fourneau (visible dans notre hémisphère Sud) à travers un trou sans étoile de notre environnement. La lumière a pris plus de 13 milliards d’années pour nous parvenir de ces astres. Crédit image : NASA, ESA, H.Teplitz et M. Rafelski (IPAC / CalTech), A. Koekomoer (STScl), R. Windhorst (Arizona State University et Z. Levay (STScl).

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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