En 2007 le projet DARWIN d’observation des exoplanètes de taille terrestre par un groupe de télescopes spatiaux interférométriques était abandonné par son promoteur, l’ESA. Aujourd’hui des chercheurs de l’ETH de Zürich mettent en évidence l’intérêt qu’aurait la reprise d’un projet comparable, compte tenu des observations accumulées par la mission Kepler.
Le positionnement de DARWIN dans l’espace était justifié pour pouvoir utiliser des longueurs d’ondes dans l’infra-rouge moyen (« MIR » pour « Mid-InfraRed ») difficilement accessibles ou non accessibles (selon la longueur d’onde) à partir du sol en raison de l’écran atmosphérique terrestre alors que c’est précisément dans ces longueurs d’onde que les exoplanètes réfléchissent le plus de rayonnements électromagnétiques. Le recours à cette gamme de longueurs d’onde facilite ainsi leur observation directe. Il est d’autant plus utile que, dans ce cadre, la différence d’intensité entre le rayonnement d’une étoile et celui de ses planètes est moins importante de plusieurs ordres de grandeurs.
Le choix de l’interférométrie a pour objet de permettre la combinaison des rayonnements reçus d’une même source par plusieurs petits télescopes en formation (dans le cas de DARWIN, minimum trois, maximum neuf, selon les différentes phases de l’évolution du projet), afin de restituer la capacité de discernement spatial qu’aurait un seul grand télescope de dimensions égales aux distances qui séparent les petits télescopes (même si l’intensité lumineuse de l’image qui en résulte est beaucoup plus faible). L’interférométrie a un autre avantage, celui de permettre de dissocier le rayonnement reçu de l’étoile de ceux reçus de ses planètes en annulant (technique du « nulling ») celui de l’étoile et donc de pouvoir observer les planètes, de luminosité beaucoup plus faible que l’étoile.
L’observation directe permet d’obtenir des informations différentes de celles que procurent la méthode des transits ou celle des vitesses radiales; ceci les rend complémentaires. La première (« la directe ») présente, sous certaines conditions, beaucoup d’avantages par rapport aux secondes. Celle du transit est d’autant plus difficile à pratiquer que la planète est éloignée de son étoile (et ne permet de bien identifier que les grosses planètes orbitant très près, et souvent, d’étoiles peu lumineuses, notamment celles qu’on appelle les « Jupiters chauds ») ; celle de la vitesse radiale est d’autant plus difficile à pratiquer que la masse relative de la planète par rapport à l’étoile est faible. Les méthodes de transit et de vitesse radiale s’appliquent donc assez mal (ou « moins bien ») que l’observation directe, à la recherche d’exoplanètes de type terrestre qui sont de petites planètes qui orbitent autour d’étoiles moyennes comme le Soleil (catégorie « G ») et qui passent moins fréquemment (une fois par an ou moins) devant leur étoile si elles se trouvent dans la zone habitable de celle-ci.
Le projet DARWIN était donc très séduisant. Finalement il fut abandonné pour des raisons techniques et scientifique. La raison technique principale était la difficulté de satisfaire au besoin de précision nécessaire pour le réglage des distances des télescopes entre eux (chacun flottant dans l’espace) et avec le centre commun de collecte des rayonnements (flottant également dans l’espace, au centre de la formation). En effet la tolérance de précision du contrôle est de quelques micromètres pour les distances entre les télescopes et de seulement un nanomètre entre chaque télescope et le collecteur commun des rayonnements (dans lequel se trouve aussi l’interféromètre, des spectromètres et un centre de communication). On avait, de plus, pour occulter la lumière du Soleil, choisi de mettre le système en service au point de Lagrange Terre / Soleil « L2 » qui est en opposition par rapport à notre étoile, mais ce point est un lieu d’équilibre instable qui implique de temps en temps de petits ajustements de position des appareils qui s’y trouvent. Enfin la température des télescopes devait être réduite à 40 Kelvin (pour distinguer les ondes thermiques que sont les MIR), ce qui est une température très basse et donc difficile à maintenir (il faut les alimenter en liquide cryogénique). Sur le plan scientifique, on avait encore, en 2007, identifié peu d’exoplanètes et aucune « petite » planète d’une taille proche de celle de la Terre ; la rentabilité potentielle de l’investissement avait donc été estimée trop basse.
Les résultats abondants de la mission KEPLER de la NASA changent cet environnement et ce raisonnement. On a identifié maintenant plus de 3700 exoplanètes avec certitude et au moins autant de candidates, et KEPLER a permis de constater que la probabilité de planètes de taille terrestre (entre 0,5 et 2 rayons de notre Terre) était élevée. De ces constatations, les chercheurs de l’ETHZ susmentionnés, MM Jens Kammerer et Sascha Quanz** ont pu établir des statistiques (en utilisant la méthode dite de Montecarlo) qui laissent entrevoir la possibilité de quelques 315 planètes d’une taille allant de 0,5 à 6* rayons terrestres orbitant 326 étoiles dans un rayons d’observation de 20 parsecs (65,23* années-lumière). Parmi celles-ci 72 seraient de catégorie G (les plus nombreuses 121, sont des naines rouges, de catégorie « M »).
*NB : il est intéressant de cibler un éventail de tailles de planètes plus ouvert que celui des planètes de taille terrestre, à fin de comparaisons et de compréhension des systèmes stellaires dans lesquels elles peuvent évoluer. La sphère explorée de 65 années-lumière de rayon est très petite par rapport à notre galaxie qui fait 100.000 années-lumière de diamètre mais il faut voir que les planètes étant des miroirs de leur étoile (rayonnements réfléchis) dont le disque est très petit, on ne peut aller beaucoup plus loin.
La recherche pourrait se faire sur 2 à 3 ans et elle utiliserait les longueurs d’ondes MIR de 5,6 / 10 et 15 µm. Les chercheurs estiment que 85 des planètes recherchées pourraient se situer dans la zone habitable de leur étoile. Elles deviendraient alors les cibles d’une seconde phase de l’exploration (sur la même durée que la première) qui serait l’analyse par spectrométrie du rayonnement qu’elles réfléchissent, afin de nous renseigner sur la composition de leur atmosphère.
Les chercheurs sont tout à fait conscients que la recherche d’exoplanètes peut continuer à se faire à partir d’autres instruments, notamment ceux des projets HabEx et LUVOIR de la NASA qui utiliseraient de grands télescopes spatiaux dans les longueurs d’onde allant du proche infrarouge à l’ultraviolet. Ce que j’appellerais « DARWIN revisité », tel qu’ici suggéré, n’est qu’une des options mais une option qui mérite sérieusement d’être reconsidérée car la rentabilité d’un système travaillant dans l’infra-rouge moyen, le plus adapté à la captation du rayonnement réfléchi que nous envoient les exoplanètes et combinant les lumières de plusieurs télescopes, serait la meilleure (c’est-à-dire celle qui nous permettrait d’identifier et de caractériser le plus précisément le plus grand nombre de planètes). Le grand public tout comme la communauté scientifique, doit soutenir ce projet.
Image à la Une : représentation du système de télescopes interférométriques du projet DARWIN de l’ESA. Crédit Université de Liège. Les molécules évoquent l’aspect spectrographie du projet.
**Jens Kammerer et Sascha Quanz sont membres de « PlanetS – Origine, évolution et caractérisation des planètes», l’un des 36 « PRN » (Pôles de Recherche Nationaux) lancés depuis 2001 par le « FNR » (Fonds National de la Recherche Scientifique suisse). PlanetS a été créé par le FNR en Juin 2014. Il est dirigé par le Professeur Willy Benz (Université de Berne). Il réunit des chercheurs des Universités de Berne, Genève et Zurich ainsi que les EPF de Zurich et Lausanne. Il est structuré en « projets de recherche ». Le sous-projet du Dr. Quanz est celui de la « Détection et caractérisation des exoplanètes » à l’intérieur du projet « Disques et Planètes ».
Communication du 27/09/2017 de Mme Barbara Vonarburg, journaliste scientifique, chargée de communication à l’Université de Berne:
http://nccr-planets.ch/fr/blog/2017/09/27/remake-dune-mission-spatiale-annulee/
Etude scientifique: “Simulating the exoplanet yield of a space-based mid-infrared interferometer based on Kepler statistics” par Jens Kammerer et Sascha P. Quanz, in Astronomy & Astrophysics; Oct 19th 2017:
file:///H:/Capsule%20nouvelle%202018%2001%2017/Darwin%20la%20suite/Arwin%20sequel%201707.06820.pdf
15 Responses
Bonjour,
excellent article, très pro, merci.
Tout mon soutien à ce projet mais comment le public peut-il soutenir les chercheurs ?
Cordialement.
Merci de votre commentaire.
Pour répondre à votre question, je dirais que vous pourriez écrire au FNR et / ou en parler à vos élus, ou encore autour de vous afin que le maximum de personnes soient informées et que parmi elles certaines aient suffisamment d’influence (et de compétences) pour exprimer un intérêt général au niveau de la Suisse. La décision de faire serait probablement du ressort de l’ESA, comme c’était le cas pour DARWIN, mais la Suisse est membre de l’ESA. Elle a donc un poids dans cette organisation surtout si elle y présente un bon projet.
La méthode de Monte-Carlo est une technique que j’ai pas mal « pratiqué » au siècle dernier (je ne suis plus tout jeune !) au sein de l’Institut de Génie Atomique de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL). J’avais en particulier écrit un code de calcul neutronique Monte-Carlo pour l’évaluation de paramètres d’un réacteur nucléaire. C’est une méthode puissante et versatile qui permet d’estimer une (ou plusieurs) quantité(s) numérique(s) lorsque l’on a affaire à des phénomènes aléatoires, mais qui demande des moyens de calcul très importants (nous utilisions pour cela à l’EPFL un ordinateur Cray 2, le plus puissant existant à l’époque). Je ne vois cependant pas bien comment elle est appliquée dans le contexte de l’analyse des résultats de la mission KEPLER. Quels sont les phénomènes aléatoires en cause dans ce cas et quelle quantité numérique « résultante » cette méthode permet-elle d’estimer ?
Je vous renvoie à l’étude de MM Jens Kammerer et Sacha Quanz (citée à la fin de mon article) et notamment à sa partie 2 (« Méthodes ») dans laquelle ils décrivent précisément leur scénario et donnent les bases de leurs calculs.
Je creuserai la question dès que je pourrai. Pour l’instant je suis malheureusement trop occupé par une étude souhaitée par un consortium de grands constructeurs automobiles sur un concept énergétique révolutionnaire (mais controversé, et sur lequel j’ai pour l’instant quelques doutes), dont je parlerai peut-être ici si location se présente, car il a intéressé aussi la NASA au point qu’elle y a semble-t-il consacré un budget quand même relativement important (et c’est vrai que cela pourrait être en particulier très intéressant pour une future implantation humaine sur Mars).
Oups, c’est « l’occasion » bien sûr (le correcteur automatique me joue parfois des tours!).
Article et projet diablement intéressant.
Je me pose cependant des questions sur sa faisabilité technique. Précision de positionnement extrême, point de Lagrange (Terre – Soleil) L2 instable et réserve de gaz réfrigérant limitée, pas étonnant que les bailleurs de fonds aient reculé. En plus, si j’ai bien suivi, la position d’observation en L2 à l’abri du Soleil ne permet pas d’alimenter les satellites par des panneaux solaire.
C’est probablement possiblemais la réalisation d’un tel télescope spatial va demander un sacré boulot d’ingénierie !
Pour ce qui est de la stabilité, j’imagine que si le projet est sérieusement envisagé c’est que ce problème est théoriquement soluble mais je n’ai pas réussi à obtenir d’information sur la solution proposée. De toute façon il faut pousser dans tous ses détails l’étude de faisabilité, « l’enjeu en vaut la chandelle ».
Pour ce qui est du refroidissement, la nécessité d’avoir suffisamment de liquide cryogénique en place limite la durée de la mission à environ 5 ans.
Je partage assez vos interrogations sur la faisabilité technique de ce projet. En ce qui concerne l’alimentation du système en énergie, rien n’est précisé en effet il me semble. Comme vous le soulignez, en L2 l’utilisation de panneaux solaires paraît d’office exclue. Alors, générateur nucléaire? Mais la chaleur produite dans ce cas ne risque-t-elle pas d’interférer avec l’observation dans l’infra-rouge?
La page « DARWIN » sur le site de l’ESA donne une réponse partielle à votre interrogation:
« The spacecraft was probably to be equipped with tiny ion engines that need just five kilograms of fuel to last the entire five-year mission. The ion engines expel small particles at very high velocity such that the spacecraft moves slightly in the opposite direction. »
Il est en outre précisé:
« ESA together with European industry had started some of the pre-developments for the necessary metrology and optical equipment that would allow such precision. The full demonstration of the final feasibility of the approach would have required more detailed studies ».
Donc apparemment le fonctionnement des télescopes et du centre de contrôle n’était pas hors de portée, en dépit de la précision requise et de la difficulté supplémentaire de les positionner en « L2 », même s’il était certainement très difficile.
Nous ne parlons pas de la même chose. Je ne faisais pas allusion au système de propulsion (qui ne pose effectivement pas de problème majeur), mais à l’alimentation continue en énergie des différents systèmes nécessaires au (bon) fonctionnement de ce réseau de télescopes sur une durée de plusieurs années.
Par ailleurs, le fait qu’il soit précisé que: « The full demonstration of the final feasibility of the approach would have required more detailed studies”, montre bien que la faisabilité technique de ce projet n’est pas encore vraiment tranchée.
Je n’ai pas dit non plus que les télescopes etaient prêts à etre envoyés dans l’espace et à fonctionner. Il est surprenant que le problème énergétique ne soit pas celui qui est invoqué pour l’arrêt du projet. Il faudrait qu’un ingenieur chargé de l’étude de sa faisabilité puisse intervenir mais cette observation n’est pas suffisante pour dire que la réalisation du projet est impossible. Elle pose seulement une interrogation valable.
Je suis désolé de jouer les rabats-joie mais même si ce projet est excellent sur le plan théorique, il soulève beaucoup (trop ?) d’incertitudes sur le plan technique. À mon humble avis, il faudra en passer par un démonstrateur de faisabilité avant de s’attaquer au projet proprement dit.
Je pense que vous avez raison M. Philippon, comme le montre la phrase que j’avais relevée: “The full demonstration of the final feasibility of the approach WOULD have required more detailed studies”. Cela montre bien que ces « detailed studies » (ou un démonstrateur comme vous le dites) restent encore à faire. Il ne faut donc pas au stade actuel « s’emballer » trop vite pour ce projet.
Je comprends vos réticences mais je pense que l’intérêt de cet ensemble de télescopes mériterait que son étude de faisabilité soit menée jusqu’au bout. Après tout, ce qui coûterait cher ce serait la réalisation d’un tel projet plutôt que son étude de faisabilité et il ne faut pas désespérer de trouver des solutions.
Nous avons déjà eu des télescopes spatiaux fonctionnant avec un système de refroidissement très puissant couplé avec une source d’énergie embarquée pour les faire fonctionner et des pare-soleils plus radiateurs permettant d’éviter le réchauffement des instruments d’observation. Dans cet esprit, pour obtenir une stabilité durable et éviter les corrections de positionnement (donc limiter la consommation d’énergie), une localisation en L5 serait peut être possible et préférable pourvu qu’on puisse disposer d’un dispositif complet de protection contre l’échauffement des instruments.