Mon article de la semaine dernière avait pour objet de vous dire pourquoi je pense que la première mission habitée sur Mars ne peut avoir lieu « dans quatre ans » comme dit le vouloir Elon Musk. Je voudrais cette semaine être plus précis sur le calendrier jusqu’au vol de la mission qui pourra commencer à entreprendre l’installation de l’homme sur Mars. 2031 pour le premier vol est ce qu’on pourrait espérer de mieux mais c’est vraiment le bas de la fourchette et voici pourquoi.
Comme exposé la semaine dernière, la difficulté sur le plan astronautique (et il y en a d’autres !) vient de ce que les fenêtres de lancements vers Mars ne s’ouvrent que quelques semaines (environ un mois) tous les 26 mois et que les retours de Mars vers la Terre ne sont possibles que quelques semaines tous les 24 mois, à partir de la même date « n ». Cela implique nécessairement que la mission partant de la Terre à n+26 doive absolument partir avant le retour de la mission partie de Mars en n+24 puisque le voyage peut difficilement durer moins de 6 mois et certainement pas deux mois.
J’ai exclu un départ pour Mars en mars 2029 (« Vol 2029 ») puisqu’en raison du principe sus-énoncé, la première mission robotique de 2027 ne sera pas revenue sur Terre à cette date (retour possible seulement en juillet 2029). Voyons la suite.
Au cas où le Vol 2027 ne serait pas revenu (forte probabilité pour un premier vol) et, même s’il est revenu, pour se donner plus de chances de fiabilité qu’après un seul test (pour un vol habité c’est la moindre des choses), la fenêtre de lancement de mai 2031 pourrait à nouveau être utilisée pour un vol robotique. Ce Vol 2031 testerait pour la deuxième (ou la troisième) fois la production, le stockage et le réapprovisionnement sur place en ergols. Car en application du principe absolument incontournable de l’ISRU (In Situ Resources Utilization), le laboratoire de production d’ergols installé sur Mars par le(s) vols robotique(s) précédent(s) (29 et/ou 27) aura dû « tourner » et devra continuer à le faire pendant les 18 mois du séjour du Vol 2031 sur Mars. Il testerait aussi le redécollage de Mars et l’EDL sur Terre. Les équipements nécessaires à la future vie humaine sur Mars seraient complétés (notamment les équipements pour creuser un abri/habitat anti-radiations, surtout si l’expérience réalisée avec les équipements embarqués lors de la mission robotique précédente n’aurait pas eu l’effet escompté).
Et il faudra s’organiser pour procéder à un éventuel premier vol habité depuis la Terre. On pourrait considérer juillet 2033 mais il serait plus raisonnable (pour dire le moins) d’attendre le retour sur Terre du Vol 2031, donc novembre 2033, pour prendre en compte les leçons tirées de ce troisième/deuxième vol robotisé et certainement procéder à des modifications et ajustement du Starship et de ses équipements.
Dans ce cas (si on attend novembre 2033), le véritable départ de la première mission habitée ne serait possible qu’en septembre 2035, et avec le vol de 2033 (qui deviendrait le quatrième vol robotisé), on se contenterait de tester une nouvelle fois le vol aller vers Mars et d’y apporter des équipements supplémentaires. Ce ne sera pas inutile car il en faudra beaucoup, la redondance sera une sécurité et on aura pu tester et modifié/renouvelé les premiers équipements apportés. Les équipements de 2033 qui seront utilisés par les humains début 2036, pourraient être un peu plus fragiles que ceux envoyés lors des vols précédents (puisqu’ils devraient rester moins longtemps inutilisés par l’homme). De toute façon, ils devraient inclure un autre réacteur à fission nucléaire, en redondance avec les deux premiers qui auront déjà beaucoup fonctionné puisqu’ils seraient entrés en service en septembre 2029 et peut-être en juillet 2027 (en supposant que le Vol 2027 ait atterri sur le sol martien). Enfin, d’ici septembre 2035, plusieurs études auront été menées sur les effets sur les hommes et les femmes des radiations HZE reçues lors de séjours de plus en plus longs sur la Lune.
Si l’on est optimiste, c’est-à-dire si l’on considère que SpaceX pourrait avoir eu énormément de chance dans la progression de son projet et que les autorités administratives américaines s’autoriseront à prendre des risques très importants avec la vie des astronautes (cela pourrait dépendre de la concurrence chinoise), on pourrait toujours avoir un vol pour la première mission habitée en 2031. Nous aurons donc une « fourchette » pour cette première mission : elle s’étend de mai 2031 à septembre 2035. C’est certainement le mieux que l’on puisse faire, même si septembre 2035 se situe six cycles synodiques après 2022, l’année qu’Elon Musk s’était fixée comme objectif lorsqu’il a annoncé le concept de son BFR en 2017. Ceux qui espèrent une date plus proche que mai 2031 seront déçus. Mais il ne faut pas pour autant être certains de 2035. Comme les lecteurs de ce blog le savent, il reste « des choses » à mettre au point (approvisionnement en énergie pendant le vol, démonstration de la faisabilité de l’atterrissage sur Mars et du redécollage, démonstration de nos capacités robotiques pour préparer le vol habité…). Ceci dit, il ne faut pas reprocher à Elon Musk son optimisme. Il faut garder à l’esprit que dans un projet aussi révolutionnaire, aucune date ne peut être certaine. En donner une qui s’avère trop proche dans la réalité, c’est simplement dire qu’on la veut, et qu’on est impatient d’atteindre son objectif.
Ensuite, lorsqu’on aura effectué la première mission habitée, c’est-à-dire que les astronautes l’ayant vécue seront rentrés sur Terre, il faudra les examiner médicalement, examiner scientifiquement avec nos puissants laboratoires terrestres, les échantillons du sol et du sous-sol qu’ils auront rapportés. Ce n’est que si toutes les conclusions sont favorables pour une suite, que l’on pourra retourner physiquement sur Mars et dire si l’établissement pérenne sur Mars est possible ou bien si l’on ne pourra qu’y mener des missions courtes (18 mois tout de même).
Cette deuxième mission habitée, ne pourra partir de la Terre, dans l’hypothèse d’un premier vol habitée 2035, qu’en janvier 2040 (faites le calcul vous-même). S’il n’y a pas de première mission en 2035, ce sera encore plus tard ! Vous me direz ce qu’il en est, en arrivant au Paradis, où je vous attendrai.
Illustration : capture d’écran vidéo SpaceX sur le voyage pour Mars. Sur l’image on ne doit pas être loin de 2100 !
xxxx
Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :
Index L’appel de Mars 24 11 06
Et, si vous aimez ce blog, abonnez-vous !
Mon livre, Franchir sur Mars les portes de l’Espace, est disponible chez amazon.fr, chez payot.ch sur le site fnac.com, chez Google books (en e-book), sur le site de mon éditeur, le Lys Bleu éditions.
Vous pouvez aussi le commander chez votre libraire. Si vous rencontrez un problème, n’hésitez pas à m’en faire part (voir plus bas).
Si vous souhaitez passer par Amazon et que vous résidiez en Suisse, attention ! Il est préférable d’aller sur le site « Amazon.fr » plutôt que sur celui d’« Amazon.de » auquel vous conduira automatiquement votre recherche. Si vous passez par « .de », vérifier bien les délais de livraison pour qu’ils ne soient pas plus longs que ceux d’Amazon.fr.
Sur les mêmes sites, Amazon.fr ou Amazon.de, vous pouvez aussi obtenir le livre en format Kindle, avec disponibilité immédiate (et c’est moins cher !).
Sur le site de la Fnac vous pouvez le commander chez fnac.com mais pas encore chez fnac.ch.
Si vous allez chez votre libraire et qu’il n’a pas le livre en rayons, demandez-lui de le rechercher sur le site Dilicom et indiquez-lui que le distributeur du Lys Bleu est la société Sodis.
7 réponses
Je ne peux que saluer ce retour à un certain réalisme (même s’il reste encore empreint d’une bonne dose d’optimisme) en ce qui concerne le calendrier des premières mission d’habitées sur la planète rouge. On est loin en effet de 2022!
Deux petites remarques:
– En ce qui concerne: « la première mission robotique de 2027 ne sera pas revenue sur Terre à cette date (retour possible seulement en juillet 2029) », comme je l’ai mentionné la semaine prochaine, on pourrait envisager l’option du séjour court avec retour rapide (scénario d’opposition) pour une mission robotique, ce qui permettrait un retour avant le départ d’une nouvelle mission en 2029.
– J’approuve totalement l’idée d’avoir réalisé au moins deux missions robotiques avant de lancer un équipage humain à la « conquête » de Mars. « Chi va piano va sano e va lontano » comme disent avec sagesse nos amis Italiens. J’ai déjà souligné maintes fois ici le danger d’entreprises précipitées dans ce domaine.
Vous êtes toujours focalisé sur les possibilités de voyage avec le plus court délai (6 mois env. entre la terre et mars)
Mais pour des missions robotiques où la dose de réception de rayons cosmique n’est pas déterminante, gagnerai t’on du temps en envoyant les missions robotiques dès qu’elles seront prêtes même si ce n’est pas la période la plus favorable ?
Je ne suis pas du tout spécialiste de ces questions et ne sais même pas les calculer. Mai votre avis de spécialiste m’intéresse , de même que votre blog que je lis attentivement depuis très longtemps.
Bonjour M. Juillard. Vous avez en partie raison, c’est ce que j’ai indiqué déjà la semaine passée et ci-dessus encore. Pour une mission robotique, donc pour laquelle le facteur limitation de l’exposition aux radiations n’est pas crucial, on pourrait très bien envisager l’option du séjour court sur Mars (il n’y a pas de réelle raison dans ce cas de prolonger beaucoup ce séjour, une trentaine de jours devraient amplement suffire pour débarquer le matériel nécessaire aux mission suivantes) avec retour « rapide », pour ce qui est de la date de retour, c’est-à-dire le scénario « d’opposition ».
Je trove même que ce scénario serait plus intéressant (pour une mission non habitée toujours bien entendu) parce qu’il permettrait de faire « coup double », avec le passage à proximité de Vénus que le vaisseau pourrait ainsi explorer à courte distance « en bonus »!
Mais il faut quand même respecter les fenêtres de lancement, afin de ne pas sinon devoir trop réduire la charge utile.
Bonjour Pierre-André,
Je ne suis pas contre non plus mais des amis versés dans l’astronautique, m’ont fait remarquer que le passage près de Vénus provoquerait une accélération et que le freinage à l’approche de la Terre demanderait beaucoup d’énergie. Quelqu’un peut-il confirmer…ou infirmer?
Oui, c’est juste, mais pour une mission robotique on devrait disposer d’une certaine marge (par rapport à un vaisseau emportant un équipage) permettant d’emporter plus d’ergols. Par ailleurs, quand on fait des tests il est toujours bon de se mette dans « les pires conditions ». Si le vaisseau résiste au retour sur Terre dans ces conditions, alors il aura démontré être « bon pour le service » avec une marge confortable pour une mission habitée selon le scénario de conjonction.
Je pense qu’il serait bon en tout cas d’envisager cette option, qui a pour elle quand même quelques points très intéressants.
D’accord sur le principe, pour tester « les pires conditions ». C’est d’ailleurs ce que l’on doit faire quand on test un nouveau processus, ou un nouvel équipement.
Ceci dit le retour sur Terre « par le chemin de Vénus » serait beaucoup plus long que le vol aller, direct. Selon Robert Zubrin (Cap sur Mars), on pourrait ainsi avoir une mission de 640 jours (21 mois) dont 30 jours sur Mars. Le vaisseau (robotique) reviendrait donc revenir sur Terre avant n+26.
Mais quelles conclusions pourrait on en tirer pour un vol habité? Sans doute, qu’il ne faut pas revenir par cette trajectoire. Et puis la destruction du vaisseau en raison de contraintes trop fortes serait très probable et aurait des effets très négatifs dans l’opinion et auprès des politiques pour décider de la réalisation d’un vol habité en n+26.
Je pense qu’on pourrait très bien dans ce cas tirer toutes les conclusions utiles pour une mission suivante habitée, étant donné que la moitié du trajet aura quand même été accomplie selon le schéma « traditionnel ». Mieux encore, on aurait testé ainsi un « plan B » de secours au cas où il s’avèrerait nécessaire pour une raison ou une autre d’abréger dans les 30 jours après l’arrivée le séjour sur Mars. Et si vraiment la destruction du vaisseau au retour dans ces circonstances est « très probable » (!), alors cela voudrait dire qu’on ne dispose pas de la marge de sécurité suffisante (je rappelle aussi qu’on pourra disposer de plus d’ergols que dans le cas d’une mission habitée, permettant un « freinage » plus accentué au retour)! Comme je l’ai écrit, lorsqu’on effectue des « tests à vide » de nouveaux systèmes/équipements il est toujours intéressant et prudent de se mettre dans des conditions dépassant en sévérité les « conditions nominales ».
Plus j’y réfléchis et plus je trouve que ce schéma de mission « hybride » présente des caractéristiques qui le rendent même plus intéressant pour un émission robotique que le schéma « traditionnel » aller-retour qui sera utilisé en temps normal pour les missions habitées.