EXPLORATION SPATIALE - LE BLOG DE PIERRE BRISSON

Malgré l’appréhension qu’elle suscite a priori, l’énergie nucléaire semble devoir être le meilleur support au développement d’un établissement humain sur Mars. La NASA travaille en partenariat avec le DOE* pour une solution de réacteur efficace, fiable et transportable. Des progrès considérables sont en cours.

*Département Fédéral de l’Energie des Etats-Unis

Après avoir interrompu les premières réalisations de réacteurs nucléaires pour l’espace il y a une cinquantaine d’années suite à la prise de conscience de la dangerosité de l’utilisation des matières radioactives (confirmée en 1979 par l’accident de la centrale de Three Mile Island), la NASA (Glen Research Center) a recommencé à les étudier en 2006, dans un esprit soucieux de l’environnement et visant la simplicité dans le cadre de technologies éprouvées et maîtrisables. Elle a publié cette année-là une étude sur les réacteurs de petites puissances utilisables en surface planétaire pour y produire de l’électricité en couplant ces réacteurs à des moteurs Stirling. En 2010 une évaluation technologique faite lors d’un « Planetary Science Decadal Survey » a constaté ou plutôt confirmé que les réacteurs à fission pouvaient offrir une alternative préférable sur tous les plans aux générateurs thermoélectriques à radio-isotopes (« RTG ») et a posé les bases du projet « Kilopower ». Dans la lancée, la NASA (Glen Research Center et Marshal Space Flight Center) et le DOE (National Nuclear Security administration et plusieurs laboratoires dont le célèbre Los Alamos National Laboratory) constituèrent un partenariat chargé de travailler sur la faisabilité puis la conception des réacteurs avec deux objectifs, d’une part la propulsion hors environnement planétaire et d’autre part la production d’énergie nécessaire à la vie en surface. En Septembre 2012 le concept Kilopower a franchi avec succès son test de faisabilité (« proof of concept ») et le Partenariat a jeté les bases du sous-projet KRUSTY (pour « Kilowatt Reactor Using Stirling TechnologY ») pour la production d’énergie en surface planétaire, laissant de côté (pour le moment ?) le sous-projet concernant la propulsion interplanétaire. KRUSTY a ensuite (à partir de 2015) passé avec succès d’autres tests, sans matière radioactive mais avec un cœur métallique non radioactif chauffé, puis avec de l’uranium appauvri (Novembre 2017). Une réunion tenue le 18 janvier 2018 a fait le point pour la suite. Ce sera le test à froid des composants du réacteur avec son cœur d’uranium enrichi (235U) en place. Enfin la démonstration « grandeur réelle » (avec réaction lancée) aura lieu fin mars 2018. Le TLR (Technology Readyness Level) visé est supérieur à 5 (sur 9). L’affaire devient sérieuse !

A noter que l’utilisation des matières radioactives dans l’exploration spatiale n’a cependant pas cessé durant ces dernières décennies (27 missions, de Viking dans les années 1970 à Curiosity aujourd’hui, y ont eu recours) mais qu’elle l’a toujours été selon le processus du « générateur » RTG, plus simple que le « réacteur » et utilisant une source radioactive extrêmement instable (d’où son intérêt mais aussi sa dangerosité), le plutonium 238, « 238Pu », (demi-vie de 87,7 ans et masse critique de 10 kg seulement). Mais cette source se fait rare car on le produit très lentement (actuellement 400 g par an pour un stock mondial de 18 kg) et qu’on hésite beaucoup à le faire par crainte de dissémination dans l’atmosphère en cas d’échec du lancement. Enfin, l’efficacité du générateur est faible. Ainsi, dans le cas de Curiosity, la chaleur générée par ses 4,8 kg d’oxyde de 238Pu est de 2 kWt mais la puissance électrique récupérée n’est que de 110 We (celle d’une bonne lampe électrique domestique !). Aucun système basé sur le principe du RTG n’a donné de puissance supérieur à 290 We et c’est bien là le problème car une mission habitée sur Mars requerra évidemment beaucoup plus. On estime le besoin à quelques 40 kWe pour une base abritant 4 personnes actives*. Pour mémoire la « génération » d’électricité par le RTG consiste à transformer en cette forme d’énergie la chaleur provenant de la dégradation spontanée et continue de la matière radioactive; la chaleur est captée par des thermocouples fixés sur le cœur du réacteur, la source froide étant constituée par l’environnement extérieur renforcé par des radiateurs évacuant la chaleur dans l’atmosphère et (dans le cas de Curiosity ou d’autres sondes spatiales) de capteurs branchés à une tuyauterie allant réchauffer divers centres stratégiques de l’équipement.

*Etant donné qu’une maison en Europe occidentale équipée en « tout électrique » fonctionne avec des puissances de l’ordre de 15 kWe, on peut s’étonner de cette puissance modique visée. On suppose que les équipements prévus et leur utilisation seront extrêmement bien gérés compte tenu du besoin constant d’y recourir et des conditions environnementales extrêmement dures.

Le réacteur nucléaire repose sur un tout autre principe. Il s’agit de déclencher une réaction de fission par impacts de neutrons, cette réaction produisant de la chaleur, à partir d’un matériau certes radioactif mais pas nécessairement aussi instable que le 238Pu et qui peut (doit donc !) être contrôlée ou pilotée à l’intérieur d’une structure sophistiquée comprenant une source radioactive (le cœur), un réflecteur de neutrons, un déclencheur/interrupteur, un bouclier, une liaison avec un générateur d’électricité et un radiateur. On a choisi pour cœur de Kilopower, de l’Uranium 235 (235U), élément habituel des réacteurs nucléaires, dont la « demi-vie » est très longue (700 millions d’années) mais qui a un « excès de masse » important (favorable à la fission). Sa réaction de fission peut être spontanée mais seulement si la quantité de matière atteint son niveau de « masse critique » (48 kg) ; autrement elle doit être provoquée, ce que précisément l’on veut pour KRUSTY afin de mieux le maîtriser. Ce cœur sera un cylindre d’un alliage de 235U et de molybdène (7%). Puisqu’il ne comportera au maximum que 43 kg d’235U (en dessous de la masse critique), il sera relativement peu actif tant que la réaction de fission ne sera pas initiée (c’est un « détail » important pour la traversée de l’atmosphère). Mais cette quantité de matière radioactive sera suffisante pour fournir, compte tenu de la présence du réflecteur, une puissance thermique de 40 kWt et in fine (après transmission de la chaleur – entre 800 et 650°C – aux convertisseurs Stirling et utilisation de ces convertisseurs) une puissance électrique de 10 kWe. L’alliage avec le Molybdene est choisi pour ses qualités stabilisatrices ; il élimine les problèmes de changement de phase, de température de fusion trop basse, et améliore la résistance au fluage à haute température. Le réflecteur sera comme souvent, en oxyde de béryllium. Il a la fonction très importante de permettre d’abaisser la masse critique et donc de permettre la réaction de fission (sans lui rien ne peut se passer). On peut ne le mettre en position qu’après l’arrivée sur le sol de Mars et il est de plus modulaire (disques) ce qui fait qu’il peut être plus ou moins actif. Le dispositif est complété par un déclencheur, comme souvent une barrette de carbure de bore, élément absorbeur de neutrons, située au centre du cœur au départ mais que l’on peut bouger pour désinhiber la réaction ou au contraire l’interrompre.

Le réacteur ainsi complété va alimenter en chaleur via des tubulures contenant du sodium à l’état gazeux, un certain nombre de convertisseurs en électricité de type Stirling (extrémité chaude et extrémité froide avec circulation d’un piston en fonction du chauffage puis du refroidissement d’un gaz) équipés d’un radiateur (renforçant la source froide) s’ouvrant en ombrelle de 20 m2, au-dessus des convertisseurs. Il est bien sûr protégé par un bouclier antiradiations (en tungstène et hydrure de lithium).

Image ci-dessus : magnifique parapluie ouvert de KRUSTY, crédit NASA, hauteur 3.00 m

Le système effectue une conversion de chaleur en électricité beaucoup plus efficace que le RTG (de l’ordre de 10 fois plus de puissance électrique pour la même masse). La masse du réacteur produisant 40 kWt (toute une gamme allant de 4 à 40 est prévue) sera, pour le réacteur y compris le cœur, le réflecteur et les tubes au sodium, 235 kg ; la masse du bouclier, 547 kg, la masse du reste (convertisseurs Stirling et radiateur), 763 kg. Au total pour le système entier on devrait avoir une masse de 1544 kg ce qui donne pour l’ensemble une puissance spécifique de 6,5 W/kg*. Pour comparaison la masse du RTG de Curiosity est de 45 kg (mais ne donne une puissance électrique que de 0,1 kW). Pour atteindre les 40 kWe estimés nécessaire à la première base martienne, on aura donc besoin de 4 unités KRUSTY de 10 kWe. C’est effectivement la quantité que l’on peut envisager exporter sans problème de la Terre dans « nos » fusées de type Falcon Heavy (ou mieux BFR).

*c’est le meilleur rapport que l’on puisse obtenir. Le KRUSTY de 1 kWe de puissance ne pouvant avoir une puissance spécifique que de 2,5 W/kg et le KRUSTY de plus de 10 kWe impliquant une masse critique de 235U trop importante.

Il n’a pas été facile de mettre au point ce petit réacteur car jusqu’à présent on n’avait envisagé que de gros formats (minimum 40 kWe de puissance) qui supposaient des technologies différentes (et plus de risques). Une des idées nouvelles est le système de transmission de la chaleur du réacteur aux convertisseurs à l’aide de tube de sodium (et non pas d’eau, par exemple) passant à l’intérieur même du cœur. La géométrie du système est également très intéressante car elle permet un haut coefficient de réactivité de température négative qui favorise l’auto-régulation (la réaction en chaîne diminue lorsque la température monte). En résumé l’ensemble des dispositions prises permet de réduire considérablement le risque de radiations lors du lancement tout en permettant une excellente puissance spécifique sur place.

Mais pourquoi s’intéresser à l’énergie nucléaire plutôt qu’à d’autres sources d’énergie ?

L’avantage est évidemment que le réacteur peut fonctionner jour et nuit alors que le Soleil ne donne de l’énergie que durant le jour, et en l’absence de tempête de poussière. La durée de vie de plus de 10 ans permet d’envisager une utilisation sereine pendant plusieurs séjours sur Mars (rappelons qu’il sera d’environ 18 mois en raison de l’évolution des positions respectives des planètes). La masse également est nettement plus faible que celle des panneaux solaires capables de mettre à disposition la même puissance électrique (d’autant qu’avec le temps les panneaux peuvent se couvrir de poussière). Ceci dit, par prudence et pour disposer d’un maximum de flexibilité, une base martienne jouera probablement sur toute la gamme des sources d’énergie possibles dont le solaire sous ses divers aspects (des progrès dans le taux de conversion de la lumière en électricité sont toujours possibles), le chimique méthane/oxygène, permettant notamment la pile à combustible au méthanol, et si possible le géothermique. La suite de Kilopower devrait être un « Megapower » fournissant une puissance de 2 MWe. Il reste à étudier mais on entrevoit que le « Mega-Krusty » qui devrait en résulter, permettrait la viabilisation et le fonctionnement d’une colonie importante.

Comme souvent les avancées technologiques se nourrissent l’une l’autre. Grâce aux fusées Falcon Heavy puis BFR (propulsion chimique) et à la volonté d’Elon Musk, on pourra aller sur Mars, et grâce à KRUSTY puis à MegaPower on pourra y vivre et y produire et transformer. Il faut bien voir que cette amélioration des possibilités de générer de l’électricité en surface ouvre de vraies perspectives d’installation humaine sur Mars. Les seuls « bémols » sont que pendant longtemps il faudra encore importer les réacteurs de la Terre…et surtout que, vis-à-vis des préjugés, il faudra oser le principe même du nucléaire.

Image à la Une : Environnement énergétique d’une future base martienne, composé de plusieurs unités de KRUSTY.

Image ci-dessous : Schéma KRUSTY, « en toute simplicité » (crédit NASA):

Liens :

“NASA’s Kilopower Reactor Development and the Path to Higher Power Missions” par Marc A. Gibson, ingénieur en chef de la NASA pour le projet Kilopower, et al. 04 février 2018

“Kilopower, NASA’s Small Fission Power System for Science and Human Exploration” par Marc Gibson,  Propulsion and Energy Forum, Cleveland, Juillet 2014 DOI: 10.2514/6.2014-3458.

https://beyondnerva.wordpress.com/2017/11/19/krusty-first-of-a-new-breed-of-reactors-kilopower-part-ii/

Blog “Beyond Nerva” 19 Nov. 2017.

20 Responses

  1. Comme je l’ai déjà mentionné précédemment, je suis heureux de voir enfin repris le développement de réacteurs nucléaires pour les applications spatiales. Je regrette seulement qu’on se limite pour l’instant à des réacteurs de surface, sans relancer le projet NERVA de réacteurs de propulsion. Ce type de réacteurs présente en effet des caractéristiques très supérieurs à la propulsion chimique pour des mission habitées vers Mars par exemple (voir commentaires précédents).
    Cela dit, on on peut pas dire que l’arrêt momentané des développements visant à mettre ce type d’énergie au service des application spatiales soit dû à « une prise de conscience de la dangerosité de ce type d’installations après l’accident de Three Mile (et non « Miles ») Island le 28.3.1979, … puisque le projet NERVA a été arrêté en 1972 déjà et que, par ailleurs, on a continué à envoyé des générateurs isotopiques dans l’espace, qui présentent plus de risque de contamination en cas d’accident du lanceur que des réacteurs n’ayant pas encore fonctionné.
    Il faut remarquer aussi que la conception des réacteurs à usages spatiaux est TRES différente de celle des réacteurs de centrales nucléo-életcriques. Le combustible n’est pas le même (enrichissement de 95% pour KRUSTY, contre 3-4% dans les centrales nucléaires), le réflecteur et le caloporteur sont différents (respectivement, béryllium pour KRUSTY, eau pour les centrales, et sodium contre eau), le système de contrôle est également autre, etc.
    Quelques petites remarques:
    1/ Le coeur d’un réacteur n’est pas généralement qualifié de « source radioactive » (même si les produits de fission génèrent effectivement de la radioactivité), mais plutôt de source de chaleur.
    2/ On parle normalement de « moteur (év. « générateur ») Stirling » et pas de « convertisseur Stirling ».
    3/ Je ne comprends pas les 15 W de puissance annoncé pour une maison « tout électrique »; on admet généralement dans ce cas une consommation moyenne de l’ordre de 20’000 kWh/an (chauffage et eau chaude, maison de 150 m2), ce qui donnerait une puissance moyenne de l’ordre de 2,3 kW (2300 W).

    1. Le sujet est effectivement comme je l’ai écrit la production d’énergie en surface planétaire pas la propulsion. On peut regretter la crainte que suscite l’utilisation de la propulsion nucleaire dans l’atmosphère terrestre mais c’est un fait. On en reparlera.
      La prise de conscience du grand public Américain de la dangerosité du nucléaire civil s’est certes faite en plusieurs phases mais je pense que la perte de contrôle de la réaction en chaîne de la centrale de Three Miles Island à été l’événement déterminant car il mettait en évidence que précisément le contrôle d’un réacteur nucléaire n’est pas chose facile. Je pense d’ailleurs que ce sont les termes « reacteur », « réaction en chaîne » qui sont les plus redoutés suite à cet épisode (puis ensuite celui de Tchernobyl) et qui expliquerait que l’envoi dans l’espace en passant par l’atmosphère terrestre de « matière » radioactive comme le plutonium soit moins « redouté » que celui de « reacteur » mais je peux me tromper.
      Certes le terme usuel d’un coeur de réacteur nucléaire peut être plutôt « source de chaleur » mais comme la chaleur provient de la fission nucléaire je ne vois pas pourquoi on n’emploierait pas le terme de « coeur radioactif ». Jusqu’à présent c’est bien la radioactivité du matériau utilisé pour le coeur qui posait problème et c’est pour cela que je l’ai préféré.
      J’ai choisi l’emploi du terme convertisseur plutôt que moteur pour les « moteurs Stirling » pour bien montrer aux personnes qui ne connaissent pas le sujet qu’il s’agit de convertir une forme d’énergie en une autre (on trouve d’ailleurs ce terme de « convertisseur » dans la documentation).
      OK pour la puissance électrique d’un foyer équipé en tout électrique. C’est une erreur de frappe. Je voulais dire 15 kW et non 15 W. J’ai corrigé.

      1. Il n’a jamais été, et ne sera probablement jamais, question d’utiliser la propulsion nucléaire dans l’atmosphère terrestre (voir mes précédents commentaires à ce sujet). Par contre, je continue à penser que ce pourrait être une option intéressante à envisager pour se poser et repartir de corps célestes avérés “stériles“. Avec l’avantage que le réacteur nucléaire pourrait servir aussi bien pour la propulsion que pour l’alimentation en énergie des équipements et de l’instrumentation dans toutes les phases de la mission, y compris pendant le séjour “au sol“.
        Par ailleurs, il est complètement faux de prétendre qu’il y aurait eu “perte de contrôle de la réaction en chaîne“ dans l’un quelconque des accidents de centrales nucléaires, que ce soit Three Mile Island, Tchernobyl ou Fukushima (auxquels on pourrait ajouter Lucens d’ailleurs !). Contrairement à ce que beaucoup de gens (qui ne comprennent pas bien le fonctionnement d’une centrale nucléaire) croient, aucun de ces accidents n’a conduit à une “divergence explosive“ des réactions de fission. Le contrôle de celles-ci n’a à aucun moment été mis en défaut et elles ont été arrêtées sans problème dès le début des incidents initiaux. Tous ces accidents sont des accidents de perte du caloporteur (LOCA, pour “Loss of Coolant Accident“ en anglais) conduisant à la fonte d’une partie du combustible du fait que la chaleur dégagée par la radioactivité des produits de fission – dégagement qui se poursuit encore longtemps après l’arrêt des réactions de fission – ne pouvait plus être correctement évacuée.
        Ce n’est pas non plus “la radioactivité du matériau utilisé pour le cœur“ qui pose problème (là encore, il y a visiblement une mauvaise compréhension de la physique nucléaire). L’uranium est certes radioactif, mais très faiblement en raison de sa très longue période, mais c’est la radioactivité des produits de fission, autrement plus importante, qui pose problème. Or ceux-ci n’apparaissent que quand le réacteur a fonctionné. Raison pour laquelle faire traverser l’atmosphère à un réacteur qui n’a pas encore généré ces produits est en fait nettement moins dangereux que le faire pour un RTG au plutonium qui est un élément hautement toxique !
        Pour en revenir à la question initiale, le développement des réacteurs NERVA a été interrompu en 1972. Cette date ne vous évoque rien ? Oui, bien sûr, c’est aussi l’année de la fin du programme Apollo et par là-même des grandes ambitions de la NASA en matière de missions spatiales habitées lointaines. Il n’y avait dès lors plus de motivation pour continuer à investir dans un programme complexe et coûteux qui n’avait plus d’objectif clairement assigné. La “course à la Lune“ avait été gagnée et l’URSS n’avait plus de programme pouvant défier les USA dans le domaine spatial. Là est la vraie raison et non la crainte inspirée par le nucléaire, qui n’aurait pas arrêté les responsables du programme spatial US, à preuve la poursuite des lancements de générateurs isotopiques, présentant pourtant plus de risques objectifs.

        1. Encore une fois, le sujet que je traite dans cet article n’est pas celui de la propulsion, c’est celui de la production d’énergie en surface planétaire compte tenu des avancées de la recherche pour la réalisation d’un petit réacteur nucléaire qui comporte beaucoup d’avancées technologiques comme vous l’avez vous-même souligné.
          Concernant la « perte de contrôle » que j’ai mentionnée, je reconnais bien volontiers que, stricto sensu, il n’y a pas eu perte de contrôle de la réaction en chaîne. Cela n’empêche que le métal radioactif qui était en plein processus d’échauffement par suite de cette réaction en chaîne n’a pu être refroidi. On est donc bien dans une situation de pertes de contrôle du processus.
          Je sais bien que l’Uranium 235 n’est pas fortement radioactif, je le mentionne d’ailleurs dans mon article et j’insiste pour dire que le danger (c’est à dire le début de la réaction en chaîne) n’apparaît que lorsqu’on met autour du cœur le réflecteur de neutrons (et qu’on enlève la barrette de bore).
          Ceci dit, pour terminer, je ne suis certes pas un spécialiste de physique nucléaire mais je m’y intéresse suffisamment pour comprendre ses possibilités et ses faiblesses, c’est à dire pour pouvoir parler, je pense suffisamment clairement, des avantages de ces nouveaux petits réacteurs pour la vie d’un équipage humain en surface de Mars.

  2. Comme je l’ai déjà mentionné précédemment, je suis heureux de voir enfin repris le développement de réacteurs nucléaires pour les applications spatiales. Je regrette seulement qu’on se limite pour l’instant à des réacteurs de surface, sans relancer le projet NERVA de réacteurs de propulsion. Ce type de réacteurs présente en effet des caractéristiques très supérieurs à la propulsion chimique pour des mission habitées vers Mars par exemple (voir commentaires précédents).
    Cela dit, on on peut pas dire que l’arrêt momentané des développements visant à mettre ce type d’énergie au service des application spatiales soit dû à « une prise de conscience de la dangerosité de ce type d’installations après l’accident de Three Mile (et non « Miles ») Island le 28.3.1979, … puisque le projet NERVA a été arrêté en 1972 déjà et que, par ailleurs, on a continué à envoyé des générateurs isotopiques dans l’espace, qui présentent plus de risque de contamination en cas d’accident du lanceur que des réacteurs n’ayant pas encore fonctionné.
    Il faut remarquer aussi que la conception des réacteurs à usages spatiaux est TRES différente de celle des réacteurs de centrales nucléo-életcriques. Le combustible n’est pas le même (enrichissement de 95% pour KRUSTY, contre 3-4% dans les centrales nucléaires), le réflecteur et le caloporteur sont différents (respectivement, béryllium pour KRUSTY, eau pour les centrales, et sodium contre eau), le système de contrôle est également autre, etc.
    Quelques petites remarques:
    1/ Le coeur d’un réacteur n’est pas généralement qualifié de « source radioactive » (même si les produits de fission génèrent effectivement de la radioactivité), mais plutôt de source de chaleur.
    2/ On parle normalement de « moteur (év. « générateur ») Stirling » et pas de « convertisseur Stirling ».
    3/ Je ne comprends pas les 15 W de puissance annoncé pour une maison « tout électrique »; on admet généralement dans ce cas une consommation moyenne de l’ordre de 20’000 kWh/an (chauffage et eau chaude, maison de 150 m2), ce qui donnerait une puissance moyenne de l’ordre de 2,3 kW (2300 W).

    1. Le sujet est effectivement comme je l’ai écrit la production d’énergie en surface planétaire pas la propulsion. On peut regretter la crainte que suscite l’utilisation de la propulsion nucleaire dans l’atmosphère terrestre mais c’est un fait. On en reparlera.
      La prise de conscience du grand public Américain de la dangerosité du nucléaire civil s’est certes faite en plusieurs phases mais je pense que la perte de contrôle de la réaction en chaîne de la centrale de Three Miles Island à été l’événement déterminant car il mettait en évidence que précisément le contrôle d’un réacteur nucléaire n’est pas chose facile. Je pense d’ailleurs que ce sont les termes « reacteur », « réaction en chaîne » qui sont les plus redoutés suite à cet épisode (puis ensuite celui de Tchernobyl) et qui expliquerait que l’envoi dans l’espace en passant par l’atmosphère terrestre de « matière » radioactive comme le plutonium soit moins « redouté » que celui de « reacteur » mais je peux me tromper.
      Certes le terme usuel d’un coeur de réacteur nucléaire peut être plutôt « source de chaleur » mais comme la chaleur provient de la fission nucléaire je ne vois pas pourquoi on n’emploierait pas le terme de « coeur radioactif ». Jusqu’à présent c’est bien la radioactivité du matériau utilisé pour le coeur qui posait problème et c’est pour cela que je l’ai préféré.
      J’ai choisi l’emploi du terme convertisseur plutôt que moteur pour les « moteurs Stirling » pour bien montrer aux personnes qui ne connaissent pas le sujet qu’il s’agit de convertir une forme d’énergie en une autre (on trouve d’ailleurs ce terme de « convertisseur » dans la documentation).
      OK pour la puissance électrique d’un foyer équipé en tout électrique. C’est une erreur de frappe. Je voulais dire 15 kW et non 15 W. J’ai corrigé.

      1. Il n’a jamais été, et ne sera probablement jamais, question d’utiliser la propulsion nucléaire dans l’atmosphère terrestre (voir mes précédents commentaires à ce sujet). Par contre, je continue à penser que ce pourrait être une option intéressante à envisager pour se poser et repartir de corps célestes avérés “stériles“. Avec l’avantage que le réacteur nucléaire pourrait servir aussi bien pour la propulsion que pour l’alimentation en énergie des équipements et de l’instrumentation dans toutes les phases de la mission, y compris pendant le séjour “au sol“.
        Par ailleurs, il est complètement faux de prétendre qu’il y aurait eu “perte de contrôle de la réaction en chaîne“ dans l’un quelconque des accidents de centrales nucléaires, que ce soit Three Mile Island, Tchernobyl ou Fukushima (auxquels on pourrait ajouter Lucens d’ailleurs !). Contrairement à ce que beaucoup de gens (qui ne comprennent pas bien le fonctionnement d’une centrale nucléaire) croient, aucun de ces accidents n’a conduit à une “divergence explosive“ des réactions de fission. Le contrôle de celles-ci n’a à aucun moment été mis en défaut et elles ont été arrêtées sans problème dès le début des incidents initiaux. Tous ces accidents sont des accidents de perte du caloporteur (LOCA, pour “Loss of Coolant Accident“ en anglais) conduisant à la fonte d’une partie du combustible du fait que la chaleur dégagée par la radioactivité des produits de fission – dégagement qui se poursuit encore longtemps après l’arrêt des réactions de fission – ne pouvait plus être correctement évacuée.
        Ce n’est pas non plus “la radioactivité du matériau utilisé pour le cœur“ qui pose problème (là encore, il y a visiblement une mauvaise compréhension de la physique nucléaire). L’uranium est certes radioactif, mais très faiblement en raison de sa très longue période, mais c’est la radioactivité des produits de fission, autrement plus importante, qui pose problème. Or ceux-ci n’apparaissent que quand le réacteur a fonctionné. Raison pour laquelle faire traverser l’atmosphère à un réacteur qui n’a pas encore généré ces produits est en fait nettement moins dangereux que le faire pour un RTG au plutonium qui est un élément hautement toxique !
        Pour en revenir à la question initiale, le développement des réacteurs NERVA a été interrompu en 1972. Cette date ne vous évoque rien ? Oui, bien sûr, c’est aussi l’année de la fin du programme Apollo et par là-même des grandes ambitions de la NASA en matière de missions spatiales habitées lointaines. Il n’y avait dès lors plus de motivation pour continuer à investir dans un programme complexe et coûteux qui n’avait plus d’objectif clairement assigné. La “course à la Lune“ avait été gagnée et l’URSS n’avait plus de programme pouvant défier les USA dans le domaine spatial. Là est la vraie raison et non la crainte inspirée par le nucléaire, qui n’aurait pas arrêté les responsables du programme spatial US, à preuve la poursuite des lancements de générateurs isotopiques, présentant pourtant plus de risques objectifs.

  3. Bien qu’on puisse comprendre l’intérêt des sources radioactives pour l’alimentation électrique de missions lointaines et de faibles puissances , le projet Krusty (1-10 KW, 10 ans) ne me paraît pas adéquat pour les futures stations permanentes habitées sur Mars qui consommeront beaucoup plus (> 50 KW) et bien au-delà de 10 ans.
    L’équipement électrique devra être opérationnel avant l’arrivée des futurs astronautes, ce qui implique non seulement l’envoi de plusieurs unités Krusty plusieurs années avant le départ des humains, mais un ravitaillement continu de telles unités, alors que des panneaux solaires permettraient de fonctionner beaucoup plus longtemps et ne nécessitant que le remplacement des cellules défectueuses.
    On peut seulement imaginer de telles sources nucléaires pour les équipements de communications exigeant une alimentation continue en complément de panneaux solaires pour assurer la redondance d’approvisionnement en énergie.

    1. Monsieur Giot, je réponds à votre premier commentaire. Je crois que vous soulevez un faux problème.
      La puissance relativement faible de KRUSTY (prenons la version 10 kW) est plutôt un avantage par rapport à un réacteur plus puissant car la modularité est un argument pour l’adaptation plus souple aux besoins et fournit une redondance de sécurité.
      Dans KRUSTY, la possibilité de mettre en position ou non le réflecteur de neutrons, permet de différer le déclenchement de la réaction en chaîne, d’autant plus que le cœur nucléaire n’aura pas la masse critique (et qu’il contiendra une barrette de bore).
      On peut très bien envoyer quatre réacteurs KRUSTY en même temps que les premiers astronautes et les mettre en service lors de leur arrivée sur Mars. On peut aussi envoyer un générateur électrique de type RTG lors de la fenêtre de tirs précédant l’arrivée de l’homme (26 mois avant) et se servir de l’électricité produite pour alimenter le fonctionnement d’un réacteur de Sabatier et de ses pompes afin d’obtenir les ergols nécessaires à l’alimentation de l’ERV pour le retour sur Terre en fin de mission habitée de 18 mois sur Mars (si on estime que l’activation autonome du KRUSTY est trop complexe pour être faite sans l’homme).

  4. Pour l’instant, on ne perçoit que les aspects techniques d’un voyage sur Mars, mais quand des hommes et des femmes auront passé des années à collecter des cailloux et creuser des trous , ils finiront par mourir d’ennui. Aucune technique n’existe pour résoudre les conflits humains qui ne manqueront de survenir et l’intérêt pour cette destination faiblira, on y laissera des robots qui auront appris les gestes .
    Au final, quand la conclusion s’imposera que Mars restera stérile à jamais, il y a peu de chance qu’une colonisation s’installera de manière définitive sans cordon ombilical nécessaire avec la Terre.
    On peut estimer que des humains séjourneront sur Mars entre 2030 et 2060 puis se passionneront pour d’autres aventures, avant que des fusées ne permettent d’y aller en quelques jours ( ou semaines).

    1. Vous me semblez traiter les problèmes techniques avec beaucoup de désinvolture, Monsieur Giot. Certes l’homme se passionnera toujours pour « d’autres aventures » et je souhaite moi-même que Mars ne soit qu’une étape sur le chemin des étoiles, mais je suis certain au contraire de vous-même que l’aventure martienne n’épuisera pas ses attraits pour beaucoup de nos contemporains et ceux qui les suivront, avant longtemps. L’attrait ce peut être de faire face à des défis technologiques et les surmonter. L’attrait c’est aussi concevoir et créer dans un environnement nouveau. L’attrait c’est la beauté. Par exemple il y aura des serres sur Mars (imaginez leurs taches vertes dans un paysage ocre et la satisfaction de les avoir créées). Dans cet esprit c’est aussi les paysages, la contemplation, que l’on soit immobile ou mobile. Je viens de changer le bandeau-titre de mon blog; ne trouvez vous pas que la vue des montagnes martiennes formées par le mur du cratère Gale dans le lointain est belle? Beaucoup de ceux qui ont déjà eu le bonheur de les admirer grâce à la NASA, le pensent aussi. Mars n’est certes pas pour les tièdes mais beaucoup d’hommes s’épanouissent dans les déserts (pensez au Hoggar). Et puis je ne comprends pas qu’un homme puisse s’ennuyer, surtout s’il est libre. La vie est tellement merveilleuse et nous offre tant de possibilités!

  5. Pour l’instant, on ne perçoit que les aspects techniques d’un voyage sur Mars, mais quand des hommes et des femmes auront passé des années à collecter des cailloux et creuser des trous , ils finiront par mourir d’ennui. Aucune technique n’existe pour résoudre les conflits humains qui ne manqueront de survenir et l’intérêt pour cette destination faiblira, on y laissera des robots qui auront appris les gestes .
    Au final, quand la conclusion s’imposera que Mars restera stérile à jamais, il y a peu de chance qu’une colonisation s’installera de manière définitive sans cordon ombilical nécessaire avec la Terre.
    On peut estimer que des humains séjourneront sur Mars entre 2030 et 2060 puis se passionneront pour d’autres aventures, avant que des fusées ne permettent d’y aller en quelques jours ( ou semaines).

  6. Bonsoir Pierre,
    Excellent article, j’avais déjà glané pas mal d’infos à propos de ce petit réacteur mais il est plaisant de les trouver réunies dans le même article et en français de surcroit.
    Je m’interroge cependant au sujet de la durée de fonctionnement. Est-ce bien 10 kWe durant 10 ans et dans ce cas, est-ce qu’une mise en veille complète allonge d’autant la durée ?
    Dans tous les cas, cette source d’énergie va révolutionner notre manière de concevoir les prochaines missions humaines et robotiques. On peut imaginer un rover lent et lourd qui transporte le réacteur et sert de base mobile, accompagné de petits rovers rapides et agiles qui se rechargent régulièrement sur la base.

    1. Merci Xavier!
      Oui je crois que ce petit réacteur apporte une vraie révolution.
      Quant à la durée je ne sais que dire. Si l’on arrête la réaction entretenue du matériau radioactif, sans doute pourrait-elle reprendre et pour la même durée que si elle n’avait pas été interrompue (donc plus longue par rapport à la première activation). Mais ceci n’est qu’une réponse logique.

  7. Bonsoir Pierre,
    Excellent article, j’avais déjà glané pas mal d’infos à propos de ce petit réacteur mais il est plaisant de les trouver réunies dans le même article et en français de surcroit.
    Je m’interroge cependant au sujet de la durée de fonctionnement. Est-ce bien 10 kWe durant 10 ans et dans ce cas, est-ce qu’une mise en veille complète allonge d’autant la durée ?
    Dans tous les cas, cette source d’énergie va révolutionner notre manière de concevoir les prochaines missions humaines et robotiques. On peut imaginer un rover lent et lourd qui transporte le réacteur et sert de base mobile, accompagné de petits rovers rapides et agiles qui se rechargent régulièrement sur la base.

    1. Merci Xavier!
      Oui je crois que ce petit réacteur apporte une vraie révolution.
      Quant à la durée je ne sais que dire. Si l’on arrête la réaction entretenue du matériau radioactif, sans doute pourrait-elle reprendre et pour la même durée que si elle n’avait pas été interrompue (donc plus longue par rapport à la première activation). Mais ceci n’est qu’une réponse logique.

      1. Concerant la question de Xavier Philippon, j’ai reçu une réaction à ce commentaire de p.A Haldi qui dit (après d’autres considérations non proprement utiles au débat) que « Comme pour tout combustible, si on interrompt les réactions, évidemment le combustible ne “s’use” plus (c’est la même chose avec une réaction de combustion de charbon p.ex.) et la date à laquelle le combustible sera épuisé sera repoussée (mais la “durée de fonctionnement” restera, elle, évidemment la même) ».

  8. Par contre, si Mark Watney avait eu un Krusty à sa disposition, il aurait fait son trajet en rover en une dizaine de jours seulement. Le film aurait grandement perdu de son intérêt 😉

  9. Par contre, si Mark Watney avait eu un Krusty à sa disposition, il aurait fait son trajet en rover en une dizaine de jours seulement. Le film aurait grandement perdu de son intérêt 😉

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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