Le 7 octobre, la mission HERA de l’ESA a quitté la Terre pour rejoindre, dans exactement deux ans, en Octobre 2026, le système de l’astéroïde « Didymos » et plus particulièrement son satellite « Dimorphos ». L’objet est de faire un constat approfondi des effets qu’a eu l’impacteur DART de la NASA lorsque, guidé jusqu’au sol par les images de son capteur DRACO, il s’est écrasé sur Dimorphos le 27 septembre 2022. Il en va de la sécurité de la Terre ; n’oublions pas que, toujours, « le ciel peut nous tomber sur la tête » (sous forme d’astéroïde, bien sûr).

Les partenaires de la mission proviennent de presque tous les pays d’Europe (ESA). Le chef de filat en est assuré par OHB (Allemagne), les participations vont de l’Italie, à l’Espagne en passant par la Belgique, la France, la Suisse, la Roumanie, la Tchéquie, l’Irlande, la Lettonie, la Pologne, la Hongrie, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg. L’ensemble a été réalisé pour la « modique » somme de 350 millions d’Euros (pour référence, la mission Rosetta + Philae a coûté un milliard).

On connait déjà un peu les effets de l’impact de DART car ils ont été observés tout de suite après l’impact avec « LICIA » (« Light Italian CubeSat for Imaging of Asteroids »), un cubesat de 6 unités de l’Italian Space Agency, embarqué sur DART (et libéré bien sûr avant l’impact) précisément pour cet objet. Ensuite les télescopes spatiaux Hubble et JWST ont pris la relève, et plus longuement (un mois) l’instrument « MUSE » (« Multi Unit Spectroscopic Explorer »), équipant, sur Terre, le télescope VLT de l’ESO dans le cadre de la « coopération AIDA » (« Asteroid Impact and Deflection Assessment »). Dès le début de l’observation, LICIA a constaté un dégagement de poussière beaucoup plus important que prévu, montrant la faible solidarité des roches composant Dimorphos. Au cours de sa période d’observation MUSE a constaté le développement de plusieurs structures : des touffes, des spirales et une queue de poussière d’une dizaine de milliers de km. Elle a identifié dans cette poussière près de 40 gros rochers. Sur le plan cinétique, la période orbitale de Didimos a été réduite de 33 minutes (soit 5%) au lieu des 72 secondes prévues. On explique la différence en disant que la force de l’impact a été accentuée par l’expulsion de poussière et de roches (effet de réaction).

La précision de l’image était « moyenne ». La définition donnée par LICIA n’était que de 2 mètres par pixel et MUSE pas plus que Hubble ou le JWST n’avaient la puissance suffisante pour distinguer beaucoup plus que l’existence de Dimorphos et sa taille par rapport à celle de Didymos (le premier orbite le second à 1190 mètres seulement et la luminosité des deux est faible). L’ensemble des données reçues était déjà instructif mais évidemment HERA (qui était prévue dès l’origine pour compléter la mission DART) va pouvoir nous en dire beaucoup plus puisqu’elle a à son bord des instruments plus puissants et variés et qu’elle intervient une fois la situation stabilisée.

L’objet de la mission DART était de voir comment on pourrait dévier un astéroïde de masse non négligeable (en l’occurence 4,841 milliards de kg), qui serait sur une trajectoire d’impact avec la Terre. Dimorphos avait été choisi comme cible parce qu’il était « tenu » par la gravité de Didymos beaucoup plus gros (diamètre 780 m contre 208 m) et qu’en touchant Dimorphos on ne risquait pas de dévier le couple vers la Terre. Le risque n’aurait pas été nul car ce couple est un des astéroïdes « géocroiseurs » (qui croisent l’orbite terrestre). Son orbite, très elliptique, le porte à un apohélie, de 2,27 UA du Soleil (celui de Mars est à 1,66 UA) contre un périhélie de 1,0133 UA du Soleil, tandis que la Terre évolue de 0,983 à 1,017 UA. On voit tout de suite le danger et l’intérêt de cette distance à la Terre. C’est pour cela que la mission HERA fait partie du programme de « défense planétaire » de l’ESA.

On verra en 2026 les détails. Ce qu’on peut dire aujourd’hui c’est que, outre la mise en évidence de la faible solidarité des roches du sol et du sous-sol immédiat de Dimorphos, l’impact a bel et bien ralenti la vitesse de Dimorphos sur son orbite autour de Didymos. Il a donc été démontré sur un astéroïde relativement petit et avec une masse relativement faible (550 kg), qu’un impact à une vitesse atteignable par un engin spatial (6,58 km/s) avait un effet positif.

Bien sûr il faudra adapter les données recueillies au cas d’une masse différente, d’une vitesse différente et d’une force d’attraction différente. Mais Didymos étant un astéroïde de nature assez commune, l’enseignement sera de grande valeur car ces données donneront des rapports transposables et on pourra reproduire ce « freinage », c’est-à-dire cette « déflection », en cas de besoin. N’oublions pas que la vitesse de déplacement d’un astéroïde « change tout » puisque tous les corps sont en mouvement dans l’espace et aussi parce qu’une vitesse plus faible signifie une orbite différente (il y a d’autres méthodes envisagées mais celle-ci serait la plus simple et la moins hasardeuse).

HERA est composé d’un « propulsion module », d’un « core module » porteur des instruments et de deux « ailes » de trois panneaux solaires déployables*, de 5 mètres chacune (au total 14 m2), qui lui donnent l’énergie nécessaire au fonctionnement des appareils et à la transmission des données (puisque la distance de Didymos au Soleil permet d’utiliser cette source). L’ensemble est bien entendu complété d’une antenne (à grand gain) de 1,3 mètres de diamètre fournie par HPS, société germano-roumaine, pour transmettre les données à la Terre.

*Les cellules sont allemandes (Azur Space) et les panneaux sont suisses (Beyond Gravity)...les cellules ont été placées par l’italien Leonardo.

La masse sèche est de 696 kg (dont 59,3 kg de charge utile) et les ergols (hydrazine, peroxyde d’azote) de 531 kg (pour les corrections de trajectoire, changements d’attitude). Les dimensions de l’ensemble (quasi cube), avec panneaux solaires déployés fait 2,153 sur 11,446 (2,014 non déployés) sur 2,162 mètres.

HERA a été lancée par un Falcon-9 de SpaceX (« Who else » could do it ?). Encore une fois un lancement sans faute qui illustre la suprématie de SpaceX dans le domaine des lanceurs. La sonde, ses deux cubesats et son module de service, ont été libérés, sans faute, sur leur trajectoire, les panneaux solaires déployés. Pour le moment tout va bien !

La sonde et ses annexes sont maintenant engagées dans un périple très intéressant du point de vue de la trajectoire. Il s’agit en effet non seulement de s’ajuster à l’orbite de l’astéroïde, mais à la présence de cet astéroïde sur son orbite, et à sa vitesse (l’astéroïde se déplace à 23,24 km/s), sans pouvoir, jusqu’au dernier moment, pouvoir utiliser la force gravitationnelle très faible de l’astéroïde. Pour arriver à la bonne vitesse, au bon moment, HERA va devoir utiliser l’assistance gravitationnelle de Mars (en Mars 25)*. En février 26, HERA parviendra à hauteur de Didymos (ou plus précisément elle se fera rattraper par lui), à une vitesse acceptable. Cette rencontre se fera à l’apohélie, là où la vitesse de Didymos est la plus faible. Elles vogueront de concert jusqu’en octobre 26 où le rapprochement final des deux corps aura lieu et la période d’observation commencera (elle durera 6 mois).

*ce qui lui permettra incidemment d’avoir une vue rapprochée (1000 km) de la lune martienne Deimos.

Compte tenu de la distance à la Terre et du décalage temporel qui en résulte, le problème se pose de la commande des instruments embarqués, lorsque nécessaire (pendant la période d’observation des astéroïdes). Pour y faire face, l’ESA a doté HERA d’un système de navigation autonome innovant (« GNC » de la société « GMV », Espagne) reposant sur la visualisation des corps et de leur surface. Cela lui donnera une très large autonomie compensant l’impossibilité de commande en direct.

Les instruments embarqués sont nombreux. Leur énumération décrit parfaitement la mission :

(1) Asteroid Framing Camera, « AFC » (Jenopik, Allemagne).

(2) Thermal Infrared Imager, « TIRI » – (JAXA, Japon). L’objet par le biais des différences d’inertie thermiques, est de déduire les propriétés physiques du sol et des roches. Une TIRI équipait déjà la mission Hayabusa2.

(3) Startrackers – (Sodern, France) pour la navigation dans l’Espace.

(4) HyperScout – (cosine Remote Sensing, Pays-bas), une caméra hyperspectrale utilisant l’infra-rouge proche, pour connaître la composition minérale des astéroïdes.

(5) Deep Space Deployers, « DSD », (ISISpace des Pays Bas et Kuva Space de Finlande) comme support-vie des deux cubesats et pour leur liaison avec HERA (voir ci-dessous).

(6) Laser Rangefinder – (Jenopik, Allemagne, avec le concours d’Efacec au Portugal et d’Eventech en Lettonie) pour mesurer à tout moment, dès 20 km et jusqu’à 10 mètres, la distance à un mètre près des astéroïdes DiDymos et Dimorphos.

(7) Spacecraft Monitoring Camera, « SMC » (TSD-Space et Optec SpA, Italie), pour voir l’« Asteroid Deck » (la surface où les instruments affleurent et la base d’où vont être largués les deux cubesats. Le SMC sera en particulier utilisé pour inspecter les cubesats avant leur lancement et observer leur déploiement.

(8) Inter-satellite links – (Tekever, Portugal) pour la communication avec les cubesats.

(9) Low Gain Antenna – Backup pour les communications avec la Terre.

La sonde HERA proprement dite, sera complétée par deux cubesats (comme indiqué ci-dessus) : « Milani » (consortium Italien/Tchèque/Finois) et « Juventas » (consortium Danois et Roumain). Les cubesats travailleront en coordination avec les appareils de la sonde elle-même.

Milani effectuera des mesures spectrales détaillées de la surface des deux astéroïdes : décomposition en différentes longueurs d’ondes ; réflexion de la lumière solaire ; observation de la poussière éjectée par l’impact, afin de détecter des substances volatiles telles que l’eau, de caractériser les composés organiques légers et de surveiller toute contamination moléculaire du CubeSat.

Juventas effectuera un sondage radar à basse fréquence de l’astéroïde jusqu’à son centre (puissance de pénétration de 100 mètres pour un diamètre de 160 mètres) en profondeur. On saura ainsi quel a été l’effet de la gravité sur les roches du centre s’il y a un noyau et si oui, quel est sa densité. L’examen se terminera par une tentative d’atterrissage (on sait, en particulier depuis Philae, combien cette manœuvre est délicate compte tenu de la faiblesse de la gravité). Si l’atterrissage réussit l’appareil continuera ses observations au sol.

Voici donc une très belle mission, dont nul ne pourra contester l’utilité et qui manifeste la réalité de l’ESA dans ce qu’elle a plus beau, une coopération des états européens dans l’intérêt de notre planète toute entière, avec une démonstration de ses capacités technologiques « dernier cri ». Dommage qu’on n’ait toujours pas de lanceur réutilisable !

Illustration de titre : image ESA de Dimorphos après l’impact. On remarque le panache de poussière et de rochers (plus près de la surface) et, en-dessous, le cratère causé par l’impact de DART, d’où provient l’émission.

https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/La_mission_de_defense_planetaire_Hera_est_en_route_vers_un_asteroide_devie

https://www.spacereference.org/asteroid/65803-didymos-1996-gt

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hera_(mission_spatiale)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Double_Asteroid_Redirection_Test

https://www.esa.int/Space_Safety/Hera

https://www.esa.int/Space_Safety/Hera/Deep_space_CubeSats

https://www.eucass.eu/doi/EUCASS2019-0039.pdf

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8 réponses

  1. Vous écrivez : « l’impact a bel et bien ralenti la vitesse de Dimorphos sur son orbite autour de Didymos ». Que voilà un constat surprenant ! On sait que le rayon orbital de Dimorphos est passé de 1206 m à 1144 m, soit une « chute » de 62 m. Or plus un satellite est proche de sa planète, ici Dimorphos de Didymos, plus sa vitesse orbitale augmente et donc sa période de révolution diminue. Et, comme on le sait, cela est indépendant de la masse du satellite (même si dans le cas de Dimorphos il a perdu de la matière suite à l’impact), mais ne dépend que de la masse de la planète.
    On lit aussi que cette période est passée de 11 h 55 min à 11 h 22 min, soit un raccourcissement de près de 33 minutes. Par contre l’excentricité de l’orbite est passée de presque 0 à 0,0247. Sur une orbite circulaire la vitesse orbitale est constante. Sur une orbite elliptique, elle varie, étant maximale au périaste et minimale à l’apoastre. La notion de « vitesse moyenne » est identique à la vitesse orbitale pour une orbite circulaire, mais elle est pondérée pour une orbite elliptique, d’où l’apparence d’une vitesse moyenne plus faible. Le paradoxe est ainsi levé.

    1. j ai suivi cela en direct …il y a un homme qui a fait un commentaire lors de la descente de starship: « a ce train la il ne va rester qu un boulon a la fin!

  2. Il semble qu’il reste pourtant tout de même une contradiction, malgré la prise en compte de l’excentricité de la nouvelle orbite qui, tout calcul fait, n’apporte qu’une très faible correction à la vitesse orbitale moyenne.
    En effet, un lecteur ami me fait remarquer que la 3e loi de Kepler (T^2 / a^3 = 4 pi^2 / (G(M+m)) = constante), qui doit aussi s’appliquer à Dimorphos autour de Didymos aussi bien après le choc qu’avant, ne donne pas un résultat cohérent avec les rayons orbitaux et les périodes orbitales mentionnés ci-dessus. Vérifications faites ici :
    https://www.nasa.gov/missions/dart/nasa-study-asteroids-orbit-shape-changed-after-dart-impact/
    le rayon avant le choc était de 1189 m pour une période de 11 h 55 min et 18 s, et, plusieurs semaines après le choc, de 1152 m pour 11 h 22 min et 3 s. La « chute » a donc été de seulement 37 m pour une diminution de la durée de la période orbitale de 33 min et 15 s. Ces valeurs sont maintenant compatibles entre elles et correspondraient à une masse totale du système Didymos-Dimorphos, (M + m), de 5,3 à 5,4 10^11 kg, donnant la constante ci-dessus valant 1,095…. s^2/m^3. Il se peut que cette constant ait légèrement changé après le choc puisque Dimorphos a perdu des morceaux, entraînant une faible diminution de sa masse (m = 4,84 10^9 kg), qui reste inférieure à 1% de celle de Didymos (M = 5,27 10^11 kg).
    Sans tenir compte de l’excentricité de l’orbite elliptique après le choc, avec les nouvelles valeurs ci-dessus, la vitesse orbitale aurait donc bien dû augmenter, passant de 174,07 mm/s à 176,87 mm/s, soit +2,80 mm/s de plus. En tenant compte d’une excentricité de 0,0247, la correction est minime et la vitesse orbitale moyenne serait de 176,84 mm/s, soit +2,77 mm/s de plus. Cette valeur positive semble ainsi contredire le ralentissement annoncé qui serait de -2,70 +/- 0,10 mm/s.
    Quelqu’un des lecteurs de M. Brisson aurait-il une explication ?

  3. Bonsoir,

    A propos de la tentative délicate d’atterrissage de Juventas, il est évoqué le précédent de Psyché (qui atteindra son objectif en 2026), sans doute par confusion avec la réussite partielle de Philae-[Rosetta] accomplie en 2014 (ou le posé improvisé de NEAR Shoemaker sur Eros en 2001) ?

    1. Vous avez tout à fait raison. On peut dire que c’est une « erreur de frappe ». J’ai d’ailleurs plus haut dans le même texte, fait référence à Philae. Je corrige et vous remercie.

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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