Dans l’obscurité de l’espace, éclairée seulement par la lumière des étoiles et d’un Soleil si lointain qu’il s’en distingue à peine, à une distance énorme de la Terre et même de Neptune mais toujours dans notre Système solaire, une masse importante mais non localisée ni identifiée, que l’on a nommée « Planète-9 », intrigue toujours les astronomes par les anomalies bien réelles quoique discrètes qu’elle a créées dans notre système il y a très longtemps. En ce début de l’année 2024 le sujet sinon les caractéristiques complètes de la « masse » concernée, est revenue sur le « devant de la scène » car les astronomes attachés à la résolution de l’énigme, dont surtout Konstantin Batygin et Mike Brown (professeurs au CalTech), ont présenté de nouveaux arguments étayés par des observations et une recherche fort sérieuses.
Ces nouveaux arguments résultent de l’observation des orbites des objets transneptuniens (« TNO ») qui traversent celle de Neptune pour passer par leur propre périhélie.
Dans l’« abstract » d’une des deux études, on peut lire : « Nos résultats révèlent que l’architecture orbitale de ce groupe d’objets (ces TNO particuliers) s’aligne étroitement sur les prédictions du modèle incluant la Planète-9. À l’opposé, le scénario sans Planète-9 est statistiquement rejeté à un niveau de confiance de ∼ 5 σ ». Ceci recouvre le rejet de diverses hypothèses comme celle d’un effet de marée provenant du centre galactique, cet effet ne pouvant être aussi marqué que celui qu’on constate dans les orbites des corps susnommés.
Dans l’autre étude, on peut lire : « Nous excluons l’existence d’une Planète-9 présentant les caractéristiques de celle prédite par notre étude précédente, jusqu’à une magnitude de V = 21,5 dans une bonne partie du ciel » (NB : V est la magnitude visuelle ou absolue ; Neptune est à 8 et Pluton à 13 ; Hubble voit jusqu’à V=31,5 et le JWST jusqu’à 34 ; un objet dont V=21,5 est donc une lumière relativement difficile mais non impossible à détecter). Ceci revient à exclure 78 % des possibilités dans la zone correspondant aux paramètres (cadre) déterminés dans les études précédentes de Batygin et Brown (2016 et 2021). La source principale des informations provient du télescope « Pan-STARRS-1 ». Situé dans les iles Hawaï, ce dernier a pour objet d’effectuer des relevés astrométriques et photométriques en continu et ainsi, en détectant toute différence entre deux relevés, de découvrir tout changement, notamment la présence d’objets non précédemment détectés dans notre Système puisque les objets du Système se déplacent visuellement dans notre ciel à une vitesse plus élevée que les astres plus lointains.
On peut donc dire qu’on a fait des progrès, d’autant que grâce aux précédentes études, on connait indirectement à peu près la masse et l’orbite de la Planète-9. Cette masse se situe entre 5 à 3 masses terrestres (on a exclu maintenant les extrêmes vers 10 ou 1) et l’orbite, très inclinée sur l’écliptique (52°) est très excentrique (en contrepartie des orbites des autres TNO). Elle va sans doute de 200 (périhélie) à 1200 (aphélie) unités astronomiques (UA). La Planète-9 est donc bien « ancrée » dans le « Nuage de Oort interne » ou « Nuage de Hills », cette région lointaine de notre système, située après la Ceinture de Kuiper et le Nuage de Oort (externe). Pour clarifier l’image, les distances au Soleil sont les suivantes : Neptune, 30,1 UA ; Pluton, entre 29,7 et 49,5 UA ; la Ceinture de Kuiper, entre 30 et 55 UA ; Le Nuage de Hills, entre 100 et 3000 UA ; Le Nuage de Oort, à partir de 20.000 UA jusqu’à quelques 100.000 UA (soit un peu plus de 1,5 années-lumière, « AL »). L’étoile la plus proche du Soleil, Proxima du Centaure C se trouve à 4,24 AL. Si la Ceinture de Kuiper est un « simple » tore, le Nuage de Hills est lui un tore qui s’élargit vers une sphère car plus on s’éloigne du Soleil, moins le centre de gravité du système a de force de contrainte sur les masses qui sont sous son emprise. Le Nuage de Oort constitue, lui, une sphère complète qui enveloppe l’ensemble du système.
Si ces précisions de masse et d’orbite concernant la Planète-9 sont bien déduites de la constatation des anomalies causées sur les orbites stabilisées des TNO, on ne peut cependant pas aller beaucoup plus loin car, à la différence du cas de Neptune dont le passage a des effets périodiques sur Uranus, (ce qui a permis à Le Verrier de découvrir Neptune par le calcul), on ne dispose d’aucune information provenant de perturbations périodiques d’un astre voisin de la Planète-9. Son orbite est trop éloignée de celles de Neptune ou de Pluton ou même de celles des planètes-naines de la Ceinture de Kuiper (Sedna a une orbite de 76 à 937 UA mais son aphélie est à l’opposé de celui de la Planète-9). La difficulté est aggravée par le fait que (1) compte tenu de la distance au Soleil la trajectoire de l’orbite de la Planète-9 est très longue et le déplacement de la planète sur cette orbite est très lente (quelques 20.000 ans !) et (2) que sa luminosité est très faible. Il ne peut s’agir que d’une lumière non générée par l’astre mais réfléchie par le Soleil et les étoiles. Or le Soleil n’apparait à cette distance que comme une grosse étoile. Il y a bien en infra-rouge un rayonnement propre à l’astre qui résulte de sa chaleur interne mais la Planète-9 n’étant ni une étoile, ni une naine brune ni même un Jupiter, son rayonnement thermique propre ne peut-être qu’extrêmement faible.
Les chercheurs attendent beaucoup du nouveau télescope Vera Rubin, très puissant et à grand champ, qui captera sa « première lumière » en février 2025. Vera Rubin pourra détecter des objets jusqu’à une magnitude visuelle de V = 24 et, grâce à son champ de vue étendu (3,5°) permettra de disposer en trois jours d’une image du ciel couvrant 18 000 deg² (sur un total de 41253). Ce n’est peut-être pas suffisant mais cela permettra de contraindre encore le champ d’incertitude.
Mais quel est l’intérêt de découvrir cette Planète-9 ?
Compte tenu de sa masse, elle est un composant important de notre système externe et peut donc nous aider à mieux le comprendre ainsi que la relation de notre système avec les autres étoiles. En effet le Soleil n’est sans doute pas un « enfant unique ». Il est né comme beaucoup sinon tous, dans une pouponnière d’étoiles (un « cluster »). Par ailleurs, on pense de plus en plus, c’est à l’origine la théorie d’Alessandro Morbidelli, que la voisine de Saturne (la 5ème géante gazeuse) a été expulsée de son orbite initiale, lors du retour du couple Jupiter-Saturne vers leur région de naissance, après leur Grand Rebroussement (Grand Tack). Ce Rebroussement s’est poursuivi au-delà de cette région initiale et les planètes étaient beaucoup plus massives donc leur influence sur les voisines beaucoup plus forte. Il n’y avait plus de place lors du retour de Saturne et Jupiter pour la 5ème géante entre Saturne et Neptune. La 5ème géante aurait été ainsi chassée extrêmement loin de son lieu d’origine. Ce qui fait penser à la puissance de l’éjection (et à l’existence d’une 5ème gazeuse) c’est qu’il existait une distance suffisante entre Saturne et Uranus avant le Grand Rebroussement pour permettre sa naissance, que Neptune elle-même a été expulsée au-delà d’Uranus et que la rotation d’Uranus a été fortement perturbée (inclinaison sur l’écliptique de 97° et rotation rétrograde). L’identification de cette Planète-9 comme LA 5ème gazeuse serait donc une confirmation de cette hypothèse et de la puissance de l’événement. Enfin, l’inclinaison forte de l’orbite de la Planète-9 sur le plan de l’écliptique (plus de 50°) pourrait être un effet de la proximité d’une étoile sœur du Soleil à une date très proche de la naissance du système (époque où les étoiles sœurs n’avaient pu encore beaucoup s’éloigner l’une de l’autre). Avec la Planete-9 on devrait donc avoir des informations essentielles sur les premiers « moments » de notre système, sur les relations que peuvent entretenir des systèmes aujourd’hui indépendants avec leur fratrie, et sur une planète très peu évoluée depuis l’origine de notre système compte tenu de son éloignement du Soleil et de son isolement (après son éjection du Système interne et ses conséquences immédiates).
Au-delà, il y a la simple curiosité, ensuite l’imagination qui va avec le mystère puis l’attrait de la découverte et la satisfaction d’accroître nos connaissances. Mais auparavant, juste avant le dévoilement, quoi de plus exaltant que de sentir que l’on approche de l’inconnu !
Cette planète pourrait-elle être une nouvelle Terre ? Certes non. Elle est trop massive et autant nous pouvons penser supporter la gravité martienne en nous alourdissant par des vêtements, des chaussures, un équipement de support-vie, autant il nous serait impossible de supporter la gravité d’une planète de masse nettement supérieure à celle de la Terre. On ne peut pas aussi facilement s’alléger que s’alourdir ! Quant à s’extraire du puits de gravité local pour retourner sur la Terre, ce serait une difficulté supplémentaire puisqu’il serait nettement plus profond. Un Starship, même à vide, n’aurait aucune chance. Un autre critère est celui de la nature de la surface de la planète. J’ai dit plus haut qu’elle pourrait être une ancienne planète gazeuse du Système interne. A priori la surface serait donc gazeuse mais rien n’est moins sûr car la violence de l’éjection de l’orbite initiale a pu arracher une bonne partie des couches externes et aux températures extrêmement froides qui constamment l’enveloppent là où elle évolue maintenant, la plupart des gaz restants ont pu se solidifier (cf Pluton). Reste la chaleur interne que conserve et entretient toute planète (chaleur résiduelle de l’énergie cinétique venant de la formation et dégradation constante des matières radioactives). Cette chaleur interne peut maintenir en surface une température qui permette l’existence continue d’une certaine enveloppe gazeuse (qui est alors une « atmosphère » par rapport à une surface solide sous-jacente), alimentée de temps en temps par un dégazage interne résultant du contraste entre intérieur et extérieur.
Quoi qu’il en soit, outre le poids qu’ils devraient supporter et la difficulté qu’il y aurait à s’extraire du puits de gravité, les hommes qui iraient jusque là-bas devraient dépenser une énergie considérable pour survivre compte tenu de l’obscurité constante et du froid (sans doute proche de – 200° C). Ne rêvons donc pas dans cette direction mais espérons de belles missions robotiques d’exploration…avec toutefois d’autres moyens de propulsion que ceux dont nous disposons aujourd’hui. N’oublions pas que Voyager 1 (l’objet créé par l’homme le plus éloigné aujourd’hui de la Terre) se trouve après 47 ans de voyage, à une distance de seulement 163 UA (vu autrement, il parcourt aujourd’hui 3,58 UA par an à la vitesse de 17,6 km/s soit 6,4 km/s de plus que la vitesse de libération de l’emprise terrestre).
Illustration de titre : Orbites des objets de Kuiper les plus massifs et orbite potentielle de la Planète-9. Crédits : Caltech/R.Hurt (IPAC)
Liens :
https://www.youtube.com/watch?v=7SG90VhiYDw
https://www.youtube.com/watch?v=HgKIo4LziP8
https://aps.org/publications/apsnews/202307/pluto.cfm
https://arxiv.org/pdf/2104.05799
https://www.konstantinbatygin.com/planet-nine-and-the-distant-solar-system
https://arxiv.org/abs/2404.11594
file:///E:/Blog%20exploration%20spatiale/Planet%209%20again/paper%202404.11594v1.pdf
https://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-3881/ad24e9/pdf
https://www.space.com/planet-9-cometary-bodies-neptune-solar-system
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8 réponses
Bonjour Pierre Brisson
Tres interessant mais au fait le grand tack est il termine car il doit exister des resonnances dans le systeme solaire actuel?
Bonjour Niogret,
Le Grand Tack proprement dit est terminé car les masses des planètes se sont stabilisées.
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Mais nous ne sommes pas seuls dans l’Univers et un jour ou l’autre une étoile voisine viendra nous frôler d’un peu trop près et bouleverser cet équilibre. Certains passages sont prévus entre 4 et 3 années lumière. Ils ne devraient pas nous perturber car trop lointains. Mais dans 1,35 millions d’années, une naine-orangée ordinaire (0,6 MS), « Gliese 710 » (actuellement encore très loin, à 62 AL), nous apportera une perturbation extrême car elle s’approchera à seulement 0,21 AL du Soleil avec une marge d’incertitude (en plus ou en moins). Elle pénétrera donc profondément à l’intérieur de notre Nuage de Oort. Je vous laisse imaginer les perturbations. Quid si ces perturbations parvenaient à déstabiliser la Planète-9 ou même une des planètes naines de notre Système solaire extérieur?! Pour le moins une pluie d’astroïdes. Nos (très) lointains descendants en feront l’expérience.
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Une autre possibilité est une perturbation entre deux planètes voisines forçant l’une d’elles à modifier sa route vers notre Système. C’est très rare mais ça peut arriver (il y en aura probablement lors de la fusion entre la Voie Lactée et la Galaxie d’Andromède), il pourrait alors y avoir des effets en cascades.
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Bon, l’événement n’est pas pour demain mais il est probable sinon certain. Nous habitons l’Espace. Nous sommes conscients de sa grandeur et de sa beauté mais nous devrions l’être aussi de ses dangers!
Bien que la magnitude visuelle ou apparente de Neptune soit d’environ 8 et puisse même atteindre 7,67 lors d’oppositions favorables, sa magnitude absolue (à ne pas confondre !) est de -6,9, une valeur remarquable ! Pour la Planète Neuf, on suppose une magnitude apparente de 20 à 22, mais si l’objet est plutôt du type mini-neptune plutôt que super-terre, on s’attend à ce qu’il rayonne dans l’infra-rouge avec alors une magnitude de 11, ce qui le rendrait facilement détectable par le télescope JWST qui « voit » entre 0,6 et 28,3 μm. Une autre hypothèse serait que l’objet soit un mini-trou noir primordial, de la taille d’une … balle de tennis, pour une masse allant jusqu’à 8 fois celle de la Terre… Sa détection serait alors bien plus difficile.
Vraiment intéressante la proposition de Christophe de Reyff. Serait-il possible encore qu’il s’agisse d’une « masse sombre »? On lit parfois aussi des textes sur « l’énergie sombre ». Mais il semble que tout reste mystérieux sur ces sujets. Autre possibilité concernant l’habitabilité de ces régions serait que la planète 9 ait des satellites rocheux, peut-être encore indétectables vu la distance et leur petitesse éventuelle.
Pour le moment l’énergie sombre n’est que le nom de ce qu’on ne peut pas expliquer. Après tout, ce pourrait simplement être la déconcentration de l’univers primordial qui affaiblirait la force de cohérence de toute les forces de gravité conjuguées. La matière noire c’est autre chose mais en fait c’est aussi une hypothèse qu’on a jusqu’à présent pas pu prouver (on n’en observe que les effets).
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L’habitabilité d’une lune de la Planète-9 serait problématique. En effet le froid serait terrible, pratiquement aucune chaleur interne du fait d’une masse relativement petite, sans doute proche de -270 degrés C (-233 sur la Lune la nuit, -273,15 pour le zéro absolu).
Vous avez absolument raison sur la température qui doit régner sur d’éventuels satellites de la planète 9 si elle existe. Mais si l’on veut qu’un jour des humains quittent le système solaire, il faudra bien trouver une solution pour leur assurer une température supportable pendant longtemps. On pense vite à la fusion nucléaire mais encore faudrait-il y arriver. On en revient à d’anciennes discussions: le voyage dans l’espace n’est pas un caprice de milliardaire mais une nécessité vitale. La bombe atomique ça chatouille certains ces temps-ci et De Gaulle avait promis aux Russes « nous mourrons ensemble »!
Bonjour
Si vous aimez les nouveautes il y en a trois cette semaine:
1) La startup APPLIED PHYSICS basee aux etats unis dont le dirigeant scientifique se nomme JORD FUCHS de l universite d Alabama publie dans la revue scientifique CLASSICAL AND QUANTUM GRAVITY un article dans lequel il montre que la propulsion par distorsion de l espace temps est possible comme dens Startreck.
2)Les Britanniques testent en ce moment meme la transmission quantique d informations vers leurs navires et leurs avions de guerre ce qui leur permet de s affranchir des brouillages de GPS par exemple:cela rappelle l invention du radar qui les a sauves lors de la bataille d Angleterre.
3) Notre galaxie serait installee dans un enorme trou cosmique de 2 milliards d annees lumiere.
Donc de quoi alimenter les reveries en particulier pour nos futures voyages intersideraux.
2 milliards d annes lumiere de diametre !