EXPLORATION SPATIALE - LE BLOG DE PIERRE BRISSON

Les demi-cylindres de CHIME ne sont pas les seuls outils capables de nous permettre d’observer les sursauts radio rapides (« FRB ») provenant du fond de l’espace. Le DSA (Deep Synoptic* Array) est un programme d’observations en ondes radio lancé par la NSF (la National Science Foundation, américaine) en septembre 2018 et qui est réalisé par le CalTech (California Institute of Technology)**. CHIME et le DSA n’ont pas tout à fait les mêmes objectifs et ne reposent pas sur les mêmes concepts. Nous verrons avec le temps quel est le meilleur système. Le résultat sera donné par le nombre d’identifications effectuées et la qualité des informations reçues pour la compréhension du phénomène. On peut s’attendre de toute façon à une complémentarité.

*Pour la compréhension du terme « DSA », je reprends la définition de « synoptique » donnée sur Wikipedia: Un synoptique désigne une présentation, en général graphique, qui permet de saisir d’un simple coup d’œil un ensemble d’informations liées ou un système complexe. L’adjectif synoptique évoque l’idée de « voir en un même ensemble ».

**NB : Je n’oublie pas le projet SKA (Square Kilometer Array) dont je parlerai une autre fois (le début de construction de sa phase 1 est prévu pour 2020, celle de sa phase 2, pour 2030).

Le DSA se déroulera en trois phases. DSA-10 est un « pathfinder », un précurseur. Il sera suivi de DSA-110, un développement, en cours (2019/2020), et de DSA-2000, un aboutissement lointain. NB : Les nombres indiquent les antennes impliquées dans les phases successives. DSA-10 devait montrer qu’il pouvait, à l’aveugle, détecter des FRB ultra-brillants, jusqu’à 51 Jy/ms (le « jansky », « Jy », est l’unité de densité de flux radiatif, la milliseconde, « ms », est l’unité de temps utilisée pour mesurer la durée des FRB) et les localiser avec une précision inférieur à +/- 2,5 secondes d’arc ; il devait indiquer aussi ce que devraient être les équipements à utiliser pour les phases suivantes. Mission remplie!

Les réflecteurs paraboliques des antennes DSA ont 4,5 mètres de diamètre, ce qui dans l’esprit des concepteurs correspondait à une bonne probabilité de collecte de FRB compte tenu (1) de la distribution des densités de flux radiatif attendus, 51 Jy/ms correspondant à deux des FRB les plus puissants déjà observés et (2) de leur fonctionnement en interférométrie, ce qui permet une meilleure résolution et une bonne couverture simultanée de la voûte céleste. Ce dernier point est très important puisqu’il s’agit de capter des événements furtifs, les FRB ne durant que quelques millisecondes et la plupart d’entre eux ne se répétant pas du tout, les autres de façon erratique. Les fréquences choisies vont de 1280 MHz à 1530 MHz (bande passante de 250 MHz), ce qui est peut-être un peu étroit mais tient compte de l’environnement radio du site (les parasites terrestres – « le bruit » – sur ces longueurs d’ondes, sont nombreux !). Heureusement les antennes permettant cette couverture sont assez standards et disponibles (du moins pour le début du programme). Elles sont également montées sur des infrastructures existantes, sur le site très bien équipé de l’OVRO (Owens Valley Radio Observatory) du CalTech (Owens Valley se trouve en Californie, pas très loin de la Death Valley…un endroit « tranquille »!). Le travail de préparation du cadre de fonctionnement est donc simplifié. Cela explique la rapidité avec laquelle DSA-10 est devenu opérationnel et cela a représenté aussi une économie importante (pour la première phase mais aussi pour la suite). Mais bien entendu un tel dispositif ne comprend pas que des antennes. Elles alimentent des instruments de traitement, un corrélateur très puissant, un stockage d’alerte et un système de transmission des données qui lui sont spécifiques. Pour le suivi, la coopération de la communauté astronomique mondiale est évidemment souhaitée et assurée (encore une fois, l’identification de la source est très difficile compte tenu de la brièveté du signal) et toute alerte reçue à l’OVRO est retransmise en urgence via le système de communication « VOEvent » à tous les observatoires susceptibles de l’utiliser. Ce système spécifique à la communauté des astronomes et astrophysiciens, adopté en 2006 par l’IVOA (International Virtual Observatory Alliance) utilise un langage informatique standard (« XML » pour « Extensible Markup Language ») de telle sorte que le message soit immédiatement transmissible par internet et compréhensible aussi bien par la machine que par l’homme. Il répond aussi précisément et brièvement que possible aux questions “who are the authors /what has been observed / how the event has been observed /where-when it has been observed /why the authors think it is of interest”. On voit donc que le DSA s’intègre parfaitement à l’arborescence de la recherche astronomique mondiale en profitant de la technologie actuelle sous ses différents aspects et capacités.

Le « pathfinder » a tout de suite permis de tester positivement la pertinence du projet DSA puisque le 23 mai il a identifié son premier FRB, le « FRB190523 », puis localisé sa source, une galaxie massive, visible dans un redshift (décalage vers le rouge dû à la vitesse d’éloignement résultant de l’expansion de l’Univers) de 0,66 et donc à une distance de quelques 8 milliards d’années-lumière (la vérification de la localisation a été faite visuellement par l’instrument LRIS du télescope Keck 1 joint par VOEevent). La suite (phase « 110 ») est déjà en cours de développement (comme dit ci-dessus, années 2019/2020). Pour ce faire, CalTech continuera à utiliser les installations d’OVRO. Les antennes de cette phase seront un peu plus grandes (4,75 m de diamètre). Une fois réalisée, la DSA-110 offrira une surface de collecte égale à un télescope virtuel de 2,25 km de diamètre. Les équipements d’alimentation aussi bien que de traitement seront améliorés. On s’attend, en trois ans, à ce qu’il identifie plus de 300 FRB (100 par an) localisés avec la même précision (< 3 arc-secondes).

Pour simplifier on peut dire que CHIME a été conçu pour cartographier l’hydrogène de l’espace profond alors que DSA a été conçu pour traquer les FRB. Mais de par sa configuration, CHIME peut aussi percevoir des FRB et cela complétera sa mission portant sur l’hydrogène. Autrement dit CHIME privilégie l’ampleur de la surface couverte d’un seul coup, à la précision, et DSA privilégie la précision, à la surface couverte immédiatement, chaque système s’efforçant de pallier sa « faiblesse ». Maintenant que nous avons pris conscience du phénomène FRB, nous trouvons les moyens de mieux les connaître. L’astronomie basée sur ces phénomènes est bien partie et on en entendra beaucoup parler.

Illustration de titre : quelques-unes des antennes de DSA-10 sur le site de l’OVRO, photo crédit CalTech.

image ci-dessous: signal d’un FRB perçu par le DSA-10. Dans l’image de droite on voit très bien le « sursaut » radio. L’axe des abscisses indique le temps en millisecondes et l’événement s’est « étalé » sur deux millisecondes. L’axe des ordonnées est en jansky et l’on voit clairement que l’intensité de flux radiatifs du FRB a été de l’ordre de trois fois l’intensité des autres radiations reçues pendant la période considérée. Crédit : Caltech / OVRO / V.Ravi.

Liens :

https://www.nsf.gov/awardsearch/showAward?AWD_ID=1836018

https://authors.library.caltech.edu/96602/2/1907.01542.pdf

http://www.astro.caltech.edu/~vikram/bne_talks/ravi.pdf

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur:

Index L’appel de Mars 19 09 10

3 Responses

  1. merci pour votre article forçant le respect envers les scientifiques; dommage que leur attitude face à la vie n’influence pas nos décideurs politiques englués dans leurs égos respectifs, qui nous préparent inlassablement un vraisemblable suicide de l’humanité !

  2. Passionnant !
    Il s’agit bien sûr de 51 Jy ms et non pas Jy/ms. Le jansky valant 10^-26 W /Hz/m^2 et étant une densité de flux, donc une puissance, il faut multiplier celle-ci par une durée pour avoir une énergie. C’est comme les kWh qu’on voit trop souvent écrits kW/h. Rien à voir avec les km/h !

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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