EXPLORATION SPATIALE - LE BLOG DE PIERRE BRISSON

Il est tout à fait improbable que la vie martienne, si elle a existé, ait pu évoluer au-delà des êtres monocellulaires les plus simples, équivalents de nos procaryotes terrestres (bactéries ou archées). L’exploration de Mars à la recherche de traces de l’émergence de la vie n’en reste pas moins, un objectif passionnant et qui mérite que les hommes y consacrent des ressources non négligeables.

Si la vie monocellulaire de type bactérien a dû commencer sur Terre dès la solidification de la croûte terrestre, juste après l’Hadéen, il y a quelques 4 milliards d’années (premiers indices de « mix » d’éléments chimiques et de composition isotopique légère vers 3,8 milliards), la vie métazoaire (vie pluricellulaire organisée) n’a, elle, commencé il n’y a seulement que quelques 600 millions d’années (faune d’Ediacara –« vendobiontes », avant l’explosion cambrienne) et le processus qui a conduit jusque-là a été « semé d’embûches », et d’accidents. Il a fallu notamment que l’oxygène moléculaire, produit en rejet métabolique par les premières formes de vie en surface de la planète (cyanobactéries), ait, il y a plus de 2 milliards d’années, à l’occasion du « Great Oxydation Event » puis du premier épisode « Snowball Earth », commencé à s’accumuler suffisamment dans l’atmosphère pour que les eucaryotes monocellulaires (improbables chimères entre bactérie et archée) puissent l’utiliser pour proliférer malgré les dangers que cet oxydant très puissant leur faisait courir (mais incités à le faire en fonction de son très grand avantage énergétique). Il a fallu ensuite, beaucoup plus tard, il y a 700 à 600 millions d’années, à l’occasion d’un nouveau déséquilibre planétaire (une nouvelle série d’épisodes Snowball Earth) que les niveaux nouvellement atteints par l’oxygène (encore en dessous mais proches des nôtres) permettent à la population de ces eucaryotes de se structurer en êtres pluricellulaires avec spécialisation par organes constitués chacun de nombreux individus identiques ou assurant ensemble une même fonction dans « l’intérêt » commun (métazoaires).

Mais l’oxygène moléculaire, indispensable élixir mortel, n’a pu être produit par les cyanobactéries que par photosynthèse à la surface des océans. Sur Mars, la disparition de l’eau liquide en surface, sauf épisodes cataclysmiques par la suite, s’est produite beaucoup trop tôt (vers -3,6 milliards d’années, époque correspondant à celle de nos premiers fossiles de type procaryotique ne pratiquant pas la photosynthèse) et la surface martienne mal protégée par une atmosphère insuffisamment épaisse et ne contenant pas d’ozone, a été dès cette époque probablement trop hostile à la vie. Ne comptons donc pas sur une vie martienne évoluée au-delà de l’équivalent des bactéries terriennes anoxiques les plus simples. Mais espérons tout de même. Il n’est en effet pas impossible que des molécules organiques présentes dans une région de l’espace proche de la nôtre, n’ait évolué dans le « bioréacteur » planétaire martien jusqu’à aboutir à une forme primitive de vie monocellulaire utilisant les matières et les sources d’énergies puisées dans un environnement aussi riche que le nôtre à l’origine. NB : tous les éléments chimiques dont nous sommes faits sont présents sur Mars (Carbone, Hydrogène, Oxygène, Azote + Phosphore, Calcium + Soufre, Sodium, Potassium, Manganèse, Fer & Chlore).

Sur Terre, il est de plus en plus probable que la vie ait commencé, avant que les cyanobactéries ne prolifèrent à la surface de l’océan, au sein des cheminées géothermales formées au fond d’un océan acide, aux limites des plaques tectoniques, par l’eau basique chargée d’effluents minéraux, chauffée, mais pas trop (aux environs de 60°C) par le magma (fumeurs gris de type « Lost-City » sur des failles parallèles aux résurgences magmatiques mid-océaniques). Sur Mars, quelques endroits (fond de la mer d’Eridania) ont pu connaître les mêmes conditions et le même phénomène a pu se produire. Mais il n’est pas impossible que les mêmes conditions favorables aient existé également dans des environnements de type Yellowstone (eau chaude, percolant par des failles d’un sol riche en minéraux alcalins à la rencontre de fluides acides descendant de la surface et riches en soufre et en gaz carbonique, avec un différentiel de pH important). C’est donc à ce niveau très primitif, avant photosynthèse, qu’il faut considérer la possibilité de vie sur Mars. Le processus aurait pu ensuite se développer et se prolonger dans l’environnement du sous-sol, stable, chaud (après les couches des premiers mètres constituées de pergélisol) et protégé des radiations, mais modérément et lentement compte tenu des conditions environnementales (notamment absence d’oxygène et aussi difficulté des contacts entre individus ou populations). C’est la thèse développée par l’astrophysicien Joseph Michalski dans un document scientifique publié en janvier 2018 (voir ci-dessous). Cerise sur le gâteau, le domaine habitable en sous-sol de Mars est beaucoup plus important que sur Terre en raison de la faible masse de la planète (1/10ème de celle de la Terre), donc de la gravité plus faible, ce qui induit une zone de porosité potentielle des roches beaucoup plus profonde (plus du double que sur Terre, jusqu’à 10 km). En fait la limite d’habitabilité est plutôt imposée avant que cette profondeur soit atteinte, par la montée de la température au fur et à mesure que l’on s’éloigne du sol, 120°C étant considéré comme un maximum supportable (3 km sur Terre, 6 km sur Mars).

Mais, comme le souligne Joseph Michalski, l’intérêt de Mars n’est pas seulement d’offrir la possibilité d’observer une forme de vie ailleurs que sur Terre, elle est aussi d’offrir la possibilité d’observer le cheminement de l’évolution pré-biotique jusqu’à la vie. Sur Terre, seulement 0,001 % de la surface est suffisamment ancienne pour porter des traces de l’époque où il a dû se dérouler car le reste est totalement inaccessible ou, surtout, profondément transformé par la tectonique des plaques dont le rouleau compresseur fonctionne depuis plus de 2 milliards d’années. Sur Mars, les surfaces non transformées plus anciennes que 3,5 milliards d’années représentent plus de la moitié de la totalité et le sous-sol immédiat non transformé par les épanchements de lave de l’Hespérien et de l’Amazonien, est encore plus important.

Vous voyez l’enjeu ? Aller sur Mars n’est pas seulement « aller se balader » dans un endroit exotique, c’est aussi chercher les sources de la vie, que l’on ne peut espérer trouver, dans un futur proche, nulle part ailleurs. Quel homme resterait insensible à cet argument qui nous interpelle sous diverses formes depuis que nous sommes conscients ?!

Références :

“The Martian subsurface as a potential window into the origin of Life” par Joseph Michalski et al. in Nature Geoscience, janvier 2018; doi.org/10.1038/s41561-017-0015-2;

“Oxygen” (the molecule that made the world) par Nick Lane, Oxford Landmark Science, 2002;

“A new history of Life” par Joe Kirschvink et Peter Ward, Bloomsbury Press, 2015;

et toujours:

« L’unique Terre habitée? » Par André Maeder, éditions Favre, 2012.

Image à la Une : bactérie  observée dans le lac Whillans (en Antarctique occidentale, sous 700 mètres d’épaisseur de glace). On ne sait pas de quel type serait la vie martienne et quelle forme elle pourrait revêtir. Mais ce serait probablement un être de type procaryote (quasi certainement phylogénétiquement différent des procaryotes terrestres) et, selon nos critères, de « style de vie » extrêmophile  chemoautotrophe (qui puise son énergie et ses matières constitutives dans les éléments inorganiques qui l’entourent). Il devrait être très petit s’il vit dans les pores du sous-sol et de toute manière, pour être efficace. On estime qu’un être vivant ne peut avoir une taille inférieure à 100 nanomètres pour comprendre les constituants minimum nécessaires à la vie. Une bactérie ou une archée terrestre typique ont une taille d’environ 1 micron. Plus la taille est petite, meilleur est le rapport surface volume, ce qui est recherché par cette forme de vie car les procaryotes fonctionnent avant tout au travers de leur membrane externe.

Image ci-dessous : schéma d’une bactérie. Bien qu’il s’agisse de la forme de vie (connue) la plus simple, on peut néanmoins constater son extrême complexité (même si les premières bactéries ont été un peu plus simples, elles ont dû, pour fonctionner, posséder les mêmes organes).

2 Responses

  1. La NASA a prévu l’envoi d’un nouveau Rover sur Mars en 2020 avec l’objectif d’y pratiquer des forages sur un site prometteur (le cratère Jezero). Il faut néanmoins savoir que sur Terre, aucun forage n’a permis de mettre en évidence une quelconque présence de vie. Toutes formes de vie microbienne sur Terre se trouve dans un milieu aqueux depuis les océans primitifs voilà environ 4 milliards d’années, à l’abri des UV et bénéficiant d’un transport idéal.
    La Terre est un paradis pour biologistes qui y trouvent les formes de vie à toutes les étapes de leur évolution et des conditions extrêmes et qu’il faut absolument préserver de la férocité humaine . Ceci est infiniment plus important que des missions martiennes stériles et n’offrant aucun intérêt à court terme sinon de tester quelques nouvelles technologies qui restent pour l’instant assez primitives .

    1. Mais non Monsieur Giot, vous avez tout faux. Sur Terre on trouve des microbes dans le sous-sol, partout, que ce soit celui du fond des océans ou dans les mines les plus profondes.
      Vous ne comprenez pas que l’observation d’une éventuelle progression vers la vie des molécules organiques martiennes pourrait nous apporter énormément de connaissances et de compréhension du phénomène de la vie sur Terre?
      Ce qui serait passionnant de trouver sur Mars ce sont des traces de l’évolution vers la vie correspondant à ce qui s’est passé sur Terre il y 3,4 à 4,0 milliards d’années. C’est ce qui nous manque le plus car sur Terre la tectonique des plaques et l’érosion a presque tout effacé. Ce n’est pas le cas sur Mars.

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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