Le 5 janvier la Presse a informé le monde entier d’un nouveau moyen sélectionné par la NASA (NIAC/STMD) comme susceptible d’explorer Mars à partir de son atmosphère. Le concept MAGGIE est une sorte d’avion puisque c’est un « plus lourd que l’air » et que son principe est de se maintenir en altitude grâce à sa vitesse de déplacement horizontal. Mais sa capacité de vol dans l’atmosphère extrêmement ténue de la planète rouge, est tout à fait exceptionnelle. Cette capacité repose sur une innovation très originale, le « CoFlow Jet » du Dr Gecheng Zha de l’Université de Miami et de son équipe. Cette innovation doit permettre de densifier fortement l’air traversé par l’aile, pour augmenter sa portance tout en n’augmentant pas la trainée qui reste extrêmement faible du fait de la ténuité de l’atmosphère.
Rappelons d’abord les caractéristiques de l’atmosphère martienne. La pression au sol à l’altitude moyenne (que l’on appelle le « datum » et qui est analogue à notre niveau de la mer) est de 610 pascals (0,6% bar) et elle varie beaucoup en fonction de l’altitude : 0,03% bar au sommet du mont Olympus (21 km au-dessus du datum) ; 1,2% bar au fond du bassin d’Hellas qui est l’altitude de surface la plus faible (9 km en-dessous du datum). Heureusement, pour la portance, cette atmosphère est composée à 95% de gaz carbonique (CO2) et la masse molaire du CO2 est de 44 g/mol (contre 29 g/mol pour l’atmosphère terrestre). Cela veut dire qu’à pression égale l’atmosphère martienne va donner plus de résistance au mouvement que l’air terrestre. Cela a un aspect négatif, la vitesse du son est plus basse et le bout de pales des hélices l’atteignent plus vite (avec risque de déchirement du fait des différences de vibration), mais aussi un aspect positif, la portance est plus élevée pour une même pression.
Pour disposer du maximum de portance en palliant la faible densité de l’atmosphère tout en conservant une vitesse de rotation en bout de pales inférieure à celle du son, MAGGIE propose six dispositifs. Voyons d’abord les hélices.
Il s’agit de couple d’hélices contrarotatives (comme en utilise l’hélicoptère Ingenuity), chacune à plus de deux pales (six en l’occurrence). Le principe de la double rotation est d’accélérer le flux d’air avec la première hélice vers la seconde ce qui densifie le flux pour la seconde, tout en donnant une meilleure stabilité du fait du mouvement contraire de l’une des hélices du couple par rapport à l’autre. L’intérêt d’un grand nombre de pales est de densifier la surface de la vrille que crée l’hélice en pénétrant dans l’air. Cela améliore son appui sur l’air ou, comme on dit, sa portance.
Plus la surface de vrille est importante, meilleur est l’appui. Or le diamètre de la vrille est limité par la longueur de pales des hélices. Et comme, la teneur de l’atmosphère martienne en gaz carbonique abaisse la vitesse du son, on est forcé de réduire la longueur des pales de telle sorte que leur extrémité n’atteigne pas cette vitesse, avec une marge (+/- 10%) car la vitesse du son varie en fonction des conditions environnementales (notamment la température).
Pour compenser la limitation de la longueur des pales, tout en donnant une portance maximum, les hélices sont multipliées. Dans le cas de MAGGIE, 28 (vingt-huit !), soit 14 couples d’hélices.
Pour améliorer encore la portance, les 14 couples sont répartis sur deux ailes, 6 couples sur l’aile avant et 8 couples sur l’aile arrière. La répartition sur deux ailes va maximiser l’effet de densification puisque l’air expulsé par le couple de l’aile avant va arriver en flux entrant dans le couple de l’aile arrière. C’est l’aile arrière qui va porter le plus d’hélices pour qu’une partie du flux échappant par dispersion aux six hélices centrales de l’aile avant puissent être utilisée aux deux extrémités de l’aile arrière.
Voyons maintenant les ailes.
C’est à l’intérieur de chacune des ailes que se trouve le générateur de « CoFlow Jet ». Il y en a un pour chaque couple d’hélices. Dans ce concept, une petite quantité d’air est aspirée dans le profil de l’aile au niveau du bord de fuite, pressurisée par un microcompresseur à l’intérieur du profil et injectée tangentiellement dans l’écoulement au-dessus du profil, près du bord d’attaque. Cet air restera contenu par les panneaux solaires qui recouvrent la surface supérieure de l’aile. On gagne ainsi encore en densité de flux sur l’aile et en vitesse, et on compense ainsi le faible nombre de Reynolds (fluidité de l’écoulement de l’air) de l’environnement immédiat. Rappelons que plus le nombre de Reynolds est bas, plus les performances aérodynamiques des sections de profils aérodynamiques diminuent. C’est un facteur de maniabilité absolument capital sur Mars.
Illustration : générateur de CoFlow Jet
Avec le CoFlow Jet la portance aérodynamique en croisière pourrait être élevée à 3.5 (contre 0.3 à 0.5 pour les avions de ligne). Le coefficient de portance très élevé et le rapport entre les coefficients de portance et de traînée en croisière (qui est de 9) sont rendus possibles par le CoFlow Jet qui surmonte l’effet du faible nombre de Reynolds sur Mars.
Un autre avantage du couplage contrarotatif des hélices est qu’on peut l’utiliser comme les hélices d’un hélicoptère multi-rotors pour l’ascension à la verticale. Le besoin sur Mars est essentiel car (1) il n’existe pas de piste d’atterrissage et en construire sera long et couteux ; (2) compte tenu de la ténuité de l’atmosphère, la vitesse de décollage serait très élevée et donc la longueur de piste, très longue. Selon le concept « VTOL », l’aile sera donc profilée en conséquence avec une possibilité de pliage formant un angle à 90% pour décollage et atterrissage vertical. Plutôt que d’incliner les rotors, on profite de l’angle de l’aile qui offre une résistance au flux d’air renforcé par le CoFlow Jet, ce qui provoque l’ascension.
Pour ne pas perdre de place et ne pas augmenter la masse, la surface supérieure des ailes est, comme dit plus haut, constituée de panneaux solaires. Ces panneaux solaires ont deux objets : (1) permettre la charge des batteries embarquées ; (2) fournir une énergie complémentaire en vol.
L’énergie, stockée en batteries, est utilisée pour faire tourner les hélices et les rotors du CoFlow Jet, et alimenter les divers appareils embarqués (commandes, communication, observation). On espère ainsi une autonomie de 179 km par vol (beaucoup plus que les 700 mètres et 3 minutes de vol d’Ingénuity). La recharge complète des batteries prendra 7,9 sols. Ce qui permettrait 16048 km d’exploration au cours de l’année martienne, à une altitude moyenne de 1000 mètres au-dessus d’une surface à l’altitude du datum (les performances seront meilleures dans les régions de surface les plus basses).
Le concept MAGGIE a été sélectionné par la NASA en janvier 24 (sur candidatures reçues en 2023), il a reçu de ce fait une petite subvention (100.000 dollars) et l’étude de faisabilité va être poursuivie dans le cadre de la phase 1 des projets NIAC (9 mois avec supervision NASA). L’objet est de pousser l’étude de faisabilité et de faire progresser le niveau de réalisme technologique (TRL, Technology Readyness Level). Il sera possible ensuite, selon les résultats, de passer à une phase 2 puis à une phase 3.
Quand on parle ici de « NASA » il s’agit plus précisément du programme NIAC (NASA Innovative Advanced Concepts) dirigé par une équipe dédiée dépendant du Space Technology Mission Directorate (STMD) de la NASA. Cette année 2024, treize propositions ont été retenues pour entrer en processus de phase 1, dont celle de MAGGIE. Il s’agit selon les termes choisis pour présenter le programme, de « nourrir des idées visionnaires susceptibles de transformer les futures missions de la NASA en créant des percées – des concepts aérospatiaux radicalement meilleurs ou entièrement nouveaux – tout en impliquant les innovateurs et les entrepreneurs américains en tant que partenaires dans l’aventure. Le programme NIAC recherche des innovations provenant de sources diverses et non traditionnelles et les projets NIAC étudient des concepts innovants, techniquement crédibles et avancés qui pourraient un jour changer le cours des choses dans l’aérospatiale. »
On reparlera certainement de MAGGIE, ne serait-ce qu’à la fin de sa phase 1 pour savoir si l’étude complémentaire a été satisfaisante et permet de regarder plus avant (phase 2 de deux ans puis phase 3 de deux ans supplémentaires pour les projets ayant le plus de potentiel et de probabilité d’être exploités par le marché).
Pour les personnes qui connaissent la Mars Society Suisse, ce projet fait bien évidemment penser à SolarStratos l’avion stratosphérique de notre membre et ami Roland Loos (CEO de l’entreprise) et au pilote Raphaël Domjan que tous les Suisses connaissent pour son aventure précédente (tour du monde !) à bord du catamaran MS PlanetSolar fonctionnant exclusivement à l’énergie solaire. Suivez l’avancée du projet SolarStratos sur le site dont vous trouverez le lien ci-dessous. La problématique du SolarStratos est assez proche de celle de MAGGIE car il s’agit de faire voler un avion dans une atmosphère aussi raréfiée, la stratosphère terrestre (une trentaine de km d’altitude) en utilisant l’énergie du Soleil pour la propulsion. La différence majeure est que dans le cas de SolarStratos il faut traverser l’atmosphère avant d’arriver dans la stratosphère. Il y a donc inhomogénéité du milieu ce qui ne facilite pas les choses. Ceci dit, le CoFlow Jet pourrait être un équipement intéressant pour la portance et la manœuvrabilité de l’avion suisse dans la stratosphère. Ne vous inquiétez pas Roland Loos est parfaitement informé et nul doute qu’il fera le nécessaire si le CoFlow Jet passe ses phases 1, 2 et 3 ! Mais la propulsion par énergie solaire dans la stratosphère n’est pas le seul sujet sur lequel Roland Loos a travaillé. Ceux qui ont participé à la Convention des Mars Society Européennes de 2018 à La Chaux de Fonds (EMC18) se souviendront qu’il y a fait une présentation de ce même projet, l’avion solaire, avec un décollage vertical. Nous en avions parlé ensemble et cela nous semblait absolument indispensable.
Par ailleurs, le dirigeable pour lequel nous supervisons avec Claude Nicollier, un travail d’étudiants de niveau master à l’EPFL pour la 4ème année consécutive, reste un projet valable. Par rapport à l’avion MAGGIE le dirigeable présente l’avantage de l’autonomie de vol et de la lenteur. L’autonomie se mesurera en jours car elle ne dépendra en fait que de la durée de conservation par l’enveloppe du volume d’hydrogène (fuites inévitables!). Et la lenteur permettra un examen plus long donc plus approfondi des divers points d’intérêt observés. La manœuvrabilité sera sans doute moins bonne que celle de MAGGIE car la vitesse sera beaucoup moindre et il faudra lutter contre le vent…à moins que l’on parvienne à créer un hybride MAGGIE/dirigeable qui volerait moins vite qu’un avion et plus vite qu’un dirigeable de telle sorte qu’il puisse utiliser un CoFlow Jet ? C’est une autre histoire !
Illustration de titre : MAGGIE au décollage ou à l’atterrissage. Crédit CoFlow Jet.
Liens :
https://www.nasa.gov/general/mars-aerial-and-ground-global-intelligent-explorer/
https://aviationweek.com/aerospace/emerging-technologies/week-technology-jan-8-12-2024
https://www.nasa.gov/general/niac-2024-selections/
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8 Responses
Bonjour Pierre Brisson
je n etais pas au courant de cela! mais c est tres interressant; d autant que l on pourrait peut etre en tirer profit pour les avions a helices terrestres en permettant de diminuer la longueur des ailes et ainsi la trainee?
Et au fait qu a donne la presentation de l utilisation de dirigeables sur MARS?
Bonjour Niogret,
Bien sûr le CoFlow Jet pourrait aussi équiper les avions terrestres.
En fait l’inventeur voudrait beaucoup développer les avions à décollage vertical pour desservir toutes sortes d’endroits sans aéroport.
De toute façon une invention comme cela est porteuse de beaucoup de progrès et d’économie.
Merci pour le dirigeable. Il vole toujours dans nos esprit. Un de ces jours je rêve de l’essayer sur Mars!
Mais a t on prevu aussi des vehicules roulants? car si plusieurs starship se posent a quelques kms les uns des autres il faudra que les astronautes puissent se deplacer !
Oui Niogret. Il y aura des rovers, pressurisés ou non. Ce seront des équipements de base.
Bonjour Pierre Brisson
On vient d informer les amateurs qu il existe un vaste ocean gele en profondeur sur la zone equatoriale sur Mars mais l on ne nous dit pas a quelle profondeur.
Je vous donne la meilleure source ci-dessous.
Il ne s’agit pas d’un « océan gelé » mais d’une banquise qui résulte d’un changement d’inclinaison de l’axe de rotation de la planète.
Le site (Medusa fossae) et le phénomène sont connus depuis longtemps mais on a fait de nouvelles recherches qui donnent plus de précisions. Je traiterai le sujet après lecture de l’article scientifique.
une petite dose d humour ! il faut aussi prevoir des bateaux!
On pourrait toujours, en modèle réduit en surface d’un réservoir d’eau dans une base viabilisée, comme décoration ou pour faire comprendre aux enfants martiens ce que c’est de « flotter dans l’eau ».