En dehors du recyclage des matières organiques solides, le projet MELiSSA est également pertinent pour l’eau et l’atmosphère. Tout comme les premiers, ces deux fluides doivent être recyclés après utilisation dans la boucle de vie et, pour le moment, c’est ce qui « marche » le mieux. Pour leur traitement, on n’a pas besoin de les mélanger avec les déchets, mais on devra récupérer l’eau et les gaz de ces déchets. Dans un vaisseau spatial, il y aura donc deux sources approvisionnement. Sur Mars il y en aura trois car Mars possède de l’eau et une atmosphère (CO2 + azote) qu’il conviendra d’utiliser. Dans tous les cas, outre le recyclage des composants chimiques, il faudra veiller à la « pureté » bactériologique du produit final.
Le spectre de l’eau usée est donc très large. Il comprend des eaux noires et des eaux grises. En surface planétaire une fraction des eaux grises pourra être réutilisée en tant que telles mais pendant le voyage et en fonction de sa durée, tout devra pouvoir être récupéré en eau « propre », pour des raisons sanitaires et pour des raisons d’économie de masse. Pour le traitement on utilise dans la Station Spatiale la technique de « VCD » (pour « Vapor Compression Distillation » ou « distillation par compression de vapeur ») qui présente apparemment quelques difficultés techniques (liées à l’apesanteur ?). Dans MELiSSA on utilise, d’après l’expérience acquise dans la station Concordia en Antarctique, la technique WTUB (Water Treatment Unit Breadboard) qui permet de récupérer 90% du condensat des eaux grises. Elle consiste à combiner la nitrification de l’ammoniac de l’urine par des bactéries spécialisées, avec un dispositif de membranes qui récupèrent l’eau de l’urine nitrifiée mélangée aux eaux grises. On procède ensuite à la distillation de l’eau grise et on obtient d’une part de l’eau pure et d’autre part un fertilisant de bonne qualité.
Mais la nitrification n’est pas si facile car le débit d’urine fraîche doit être en harmonie avec les capacités de traitement des bactéries. Un débit trop élevé apporte un excès d’ammoniac libre qui gêne le « travail » des bactéries nitrifiantes et un débit trop faible introduit un excès de bactéries oxydant l’ammoniac, qui produit trop de nitrites pour les bactéries qui peuvent les oxyder. Les nitrites en s’accumulant épuisent les bactéries susceptibles de les traiter, les bactéries oxydantes de l’ammoniac deviennent tolérantes à l’acidité ce qui fait chuter le pH du liquide et libère divers gaz non souhaités (et qu’il faudrait retraiter !): acide nitreux, oxyde nitrique et oxyde nitreux (anesthésiant et hallucinogène). Il faut donc réguler l’entrée d’urine fraîche dans le système de manière à garder le pH dans une bande étroite, entre 6.3 et 6.35 (sur une échelle 1 à 14). Si le débit d’urine est trop bas (comme indiqué par le taux de pH) il faut arrêter son entrée et empêcher l’oxydation (arrêter l’aération)…Tout ce développement pour montrer que rien n’est simple et que les dérèglements des systèmes de recyclage peuvent avoir de graves conséquences dans un environnement très exigu et avec une « population » forcément réduite dont les rejets métaboliques ne peuvent être lissés par le nombre.
Pour ce qui est de l’atmosphère, on a choisi la régénération du CO2 en O2 par photosynthèse, ce qui est naturel puisque c’est ce qui fonctionne naturellement sur Terre. Elle sera opérée par des micro-algues (bactéries, unicellulaires), spirulines et/ou chlorelles, installées dans des photo-bioréacteurs (savamment conçus pour que la lumière soit diffusée sur un maximum de biomasse). Elles absorberont le gaz carbonique et rejetteront un solde positif important d’oxygène (et seront ultérieurement consommables). Là aussi, la qualité bactériologique doit être constamment contrôlée et pilotée. Plus un déséquilibre sera perçu tôt, plus il sera facile et moins il sera coûteux de le corriger.
Une première retombée de la recherche MELiSSA, a été la mise au point en commun avec BioMérieux d’un appareil de contrôle de qualité bactériologique de l’air, MiDASS (pour Microbial Detection in Air system for Space) qui a l’avantage de pouvoir être commercialisé et donc d’apporter des ressources à MELiSSA. J’en parlerai dans un autre billet.
Comme pour le traitement des déchets organiques solides, on ne devrait pas atteindre rapidement un recyclage total de l’eau et de l’atmosphère mais les pourcentages pour l’atmosphère et les eaux grises sont déjà très élevés (dans les 93% pour l’eau et 75% pour l’oxygène). Chaque progrès effectué donne une plus grande sécurité et permet d’envisager de réduire la masse qu’il sera indispensable de prendre avec soi dans le vaisseau spatial (compte tenu des quantités non recyclables, des risques de défaillance des systèmes de traitement naturels et des produits chimiques nécessaires à un traitement alternatif, non « naturel »). Encore une fois ce qui compte c’est la durée de fiabilité d’une installation de traitement et la capacité d’emport dans les fusées que nous savons construire aujourd’hui. On ne peut ainsi envisager que d’aller sur la Lune et sur Mars. Sur Mars, compte tenu de la durée du voyage et du séjour en surface planétaire, il faudra compter avec l’utilisation des ressources locales.
A suivre! (« MELiSSA » 4/7)
Si vous êtes intéressé par le sujet, vous pouvez consulter les travaux des personnes suivantes :
Dr. Kai Udert (ETHZ / EAWAG). See : www.vuna.ch or www.autarky.ch
Prof. Siegfried Vlaeminck (Uni. Anvers), pour WTUB.
Prof. Jack Legrand (Uni. Nantes) pour l’ingénierie de la photobioréaction.
Liens :
Image à la Une: Les interactions « naturelles » que s’efforce de reproduire la boucle MELiSSA. Crédit ESA / MELiSSA