Trace Gas Orbiter (« TGO »), la sonde que l’ESA s’apprête à lancer ce 14 mars pour atteindre la planète rouge en octobre prochain, est la seconde grosse mission de la NASA vers Mars après MarsExpress qui a été placée en orbite en décembre 2003 et qui continue à nous fournir régulièrement ses observations précieuses. Avec MAVEN, la sonde de la NASA évoluant depuis fin 2014 dans l’environnement martien, on cherche à comprendre l’échappement de l’atmosphère. Avec TGO on va rechercher une « trace d’activité » sur Mars, ce qu’on n’a pas vraiment fait depuis les sondes Viking dans les années 70. L’expression « recherche d’activité » est une expression prudente pour indiquer que l’on va chercher à savoir s’il y a aujourd’hui une vie sur Mars ou à défaut une simple activité interne de la planète ayant une expression atmosphérique, chimique ou volcanique. Il s’agit en effet d’analyser les gaz à l’état de traces dans l’atmosphère (moins de 1% en volume) qui pourraient être cette expression.
On sait maintenant grâce à Curiosity, que Mars a été habitable mais on ne sait absolument pas si une activité biologique existe même si certains indices, faibles, peuvent être interprétés en ce sens. Il est possible soit que les conditions n’aient jamais été remplies sur Mars pour permettre l’éclosion de la vie, soit que les conditions aient existé au début de l’histoire de Mars mais qu’elles n’ont pas eu le temps d’aboutir à la vie, soit que les conditions aient existé, que la vie soit apparue et qu’elle n’ait pas résisté aux conditions extrêmement hostiles ayant prévalu en surface pendant la plus grande partie des 3,8 milliards d’années suivant la période la plus favorable à son éclosion, soit enfin que la vie ait émergé mais que, étant donné les conditions de surface, elle se soit abritée dans le sous-sol de la planète où elle se trouve encore aujourd’hui dans un état extrêmement peu actif.
Je privilégierais moi-même cette dernière hypothèse. En effet le moins que l’on puisse dire c’est que les rejets métaboliques d’une telle vie supposée, ne sont pas spectaculaires. La vie est un processus de transformation de la matière et l’on voit assez mal quelles transformations seraient induites aujourd’hui par sa version martienne. Pour aller plus loin nous avons bien besoin des deux missions ExoMars dont TGO est l’un des deux instruments clés, le second étant le rover Pasteur qui sera lancé en 2018, muni d’un dispositif de forage qui va pouvoir aller examiner le sol à une profondeur de deux mètres c’est-à-dire sous la couche de sol irrémédiablement irradiée par les ondes et particules solaires et galactiques depuis des milliards d’années.
Pour commencer cette recherche, TGO va être positionné sur une orbite située à 400 km d’altitude (plus bas que l’ISS par rapport à la Terre) et va observer l’atmosphère avec ses spectromètres (« NOMAD » pour Nadir and Occultation for Mars Discovery). Parmi les gaz étudiés, il y a surtout le méthane dont l’origine sur Terre est à 90 % biologique mais qui à hauteur de 10% ne l’est pas ! Par ailleurs, le méthane se dissout assez rapidement (quelques centaines d’années) et il témoigne ainsi d’une activité récente. C’est donc un gaz passionnant et on a besoin d’y voir plus clair en ce qui le concerne car l’histoire de son observation est pour le moins déroutante.
On l’a décelé à partir de la Terre en 2003 puis de l’orbiteur Mars Global Surveyor de la NASA, entre 1999 et 2004. Très curieusement il présentait une évolution saisonnière, apparaissant avec la chaleur et disparaissant avec le froid ; rien à voir avec les 300 ans de sa durée de vie supposée ! Lorsque les mesures ont repris, au sol, avec l’instrument SAM de Curiosity (en fait son laser « TLS »), le méthane avait disparu. Plus rien ! On disait que les quantités étaient en dessous du seuil de sensibilité du TLS, alors qu’il était encore plus sensible que les précédents instruments utilisés. Puis, nouveau coup de théâtre, le même appareil détecte des émissions très brèves (et très petites, jusqu’à 11 ppbv). Alors que se passe-t-il ? Il se pourrait que des molécules de méthane piégées dans de la glace d’eau (des « clathrates ») du sous-sol immédiat, se trouvent libérées par la chaleur. Mais quelle est leur origine ? Si elles étaient liées à de l’olivine, elles pourraient résulter d’un processus naturel connu, celui de la serpentinisation. Sinon, serait-ce un processus biologique ?
TGO va nous permettre d’avancer car il va pouvoir non seulement détecter ces gaz très ténus mais aussi, grâce à CaSSIS, un instrument mis au point en Suisse*, repérer l’origine géologique de l’émission et le site de son absorption (disparition). CaSSIS sera complété par FREND, un instrument russe qui dressera la carte de l’hydrogène dans le sous-sol immédiat (jusqu’à un mètre de profondeur) qui en est un complément essentiel.
Nous attendons donc beaucoup de ces instruments mais nous devons aussi compter d’abord, « tout bêtement », sur le succès du lancement de TGO. Malheureusement, pour des raisons d’économies, l’ESA a choisi de lancer l’orbiteur avec une fusée russe, Proton, dont les deux derniers lancements (notamment Phobos Grunt fin 2011) ont lamentablement échoué lors de l’injection en orbite transplanétaire. La deuxième partie du mois de mars sera donc critique (il s’écoulera quelques jours entre la mise sur orbite terrestre et cette « injection »)!
*CaSSIS est l’acronyme de « Colour And Stereo Surface Imaging System » dont le responsable scientifique est le professeur Nick Thomas de l’Université de Berne. Les algorithmes de traitement des images et la calibration de l’instrument sont sous la responsabilité de eSpace, Space Engineering Center de l’EPFL, .
eSpace a organisé un événement, ouvert au public (16 mars, 18h00 à 19h30), à l’occasion du lancement de la mission. J’ai été invité par le Dr. Anton Ivanov, chercheur enseignant à eSpace et co-investigateur de CaSSIS, à y donner une conférence. Je parlerai sur le thème « The Search for Life on Mars, Context and Recent News » (en Anglais).
Image à la Une, vue d’artiste (crédit NASA) de la sonde TGO à l’approche de Mars. L’orbiteur est un gros engin de 3,2m x2m x2 m ; avec les panneaux solaires déployés il a une envergure de 17 mètres. Il a une masse de 3732 kg dont 112 kg d’instruments scientifiques. C’est un peu plus que la masse des instruments embarqués sur Curiosity (75 kg).
Lien: Article très complet d’Olivier Dessibourg dans le journal Le Temps, publié sur internet le Vendredi 11 Mars et sur papier le Samedi 12 mars: « L’Europe relance l’enquête de la vie sur Mars »