Un dépôt récent, de plusieurs milliers de km3 de glace d’eau, a été identifié en dehors des pôles, dans l’Ouest d’Utopia Planitia. C’est ce que conclut un document de recherche publiée il y a peu (29 septembre) par Cassie Stuurman (Institute of Geophysics, University of Texas) et al. dans les Geophysical Research Letters, sur la base de données recueillies par SHARAD, le radar embarqué par Mars Reconnaissance Orbiter qui tourne autour de Mars depuis 2006 et qui sonde son sous-sol immédiat.
Il en ressort que, sur les bords de cette « planitia », à des latitudes moyennes (40° à 50° de latitude Nord) dans les Basses Terre du Nord au contact des Hautes Terres du Sud (au Nord-Est de la région de Nili Fossae), se trouve un énorme inlandsis de glace d’eau, fragmenté, dont le volume est estimé à au moins 8.400 km3 et au plus à 14.300 km3 (le lac de Genève ne fait que 89 km3). Il s’étend sur 375.000 km2 et il a une épaisseur moyenne de 80 à 100 mètres, allant jusqu’à 170 mètres, sous une couche de régolite très fine puisqu’elle ne devrait pas dépasser un à deux mètres. Il ne s’agit pas d’eau pure ; elle est mélangée à de la poussière de laves volcaniques, mais la teneur en eau est élevée (de 50 à 85%). C’est considérable !
L’attention des chercheurs avait été attirée par un relief de mesas (tables surmontant un relief plus ancien), dans un paysage périglaciaire caractéristique comportant notamment des craquelures polygonales, des dépressions festonnées ou des cratères entourés de coulées de boue. Orienté sur cette zone, le radar SHARAD a identifié une diélectricité élevée (moyenne ɛ=2.8 +/- 0.8) du sol dans les mesas, jusqu’à un réflecteur sous-jacent correspondant au socle plus ancien sur lequel elles ont été déposées. La diélectricité est de plus en plus forte en s’enfonçant vers le socle. L’interprétation est que le matériau traversé jusqu’au socle, après une fine couche de poussière, ne peut être que de la glace d’eau (ɛ =3.6) légèrement poreuse, ou un dépôt lithique fortement poreux, ou encore un mélange de glace d’eau, de poussière et d’espaces poreux (ɛ =2). Le plus vraisemblable est que ce soit 30% de matériaux lithiques, 50 à 85 % glace d’eau et 15 à 50 % d’espaces poreux (vides). La glace d’eau étant plus importante vers le fond des mesas (et au contact du socle) et les espaces poreux vides, vers le haut.
La profondeur du réflecteur a été estimée par rapport au socle ancien visible entre les mesas (cf photo ci-dessous). Il est plus clair que les mesas et cratérisé, alors que la surface des mesas ne l’est pratiquement pas ce qui implique qu’elles ont été formées pendant l’Amazonien tardif (de 100.000 à quelques centaines de milliers d’années). A la surface des mesas on constate d’abondants signes de déflations (effondrements) du terrain. C’est l’indication que la glace superficielle a été sublimée plutôt qu’elle n’a coulé (il n’y a pas de traces d’écoulement) et qu’elle était plutôt pure puisqu’il reste peu de débris laissée par la sublimation (on ne peut exclure cependant que ces débris aient été emportés par le vent).
Ces réservoirs de glace d’eau sont, en surface, d’aspect similaire au « Latitude Dependent Mantle » (« LDM ») de glace qui recouvre la planète sur quelques décimètres sous le régolithe à diverses latitudes moyennes. Ils devraient donc remonter à la même époque (autrement ils se seraient totalement sublimés). Ils en diffèrent cependant par leur épaisseur. Les deux doivent avoir été déposés à l’occasion du dernier des changements d’obliquité (inclinaison de l’axe de rotation de la planète sur son plan orbital) qui interviennent, pour Mars, par cycles d’environ 120.000 ans et qui force la fonte des glaces polaires. En effet Mars à la différence de la Terre ne possède pas de gros satellite naturel comme la Lune, suffisant pour la stabiliser. Le phénomène qui résulte de l’influence des autres planètes sur son plan orbital et de la précession causée par le différentiel de force gravitationnelle du soleil s’exerçant sur la planète selon sa latitude, se produit lorsque l’inclinaison dépasse 30° (nous sommes actuellement à 25,1° et l’axe se redresse) ; elle varie de 14,9° à 35,5°. A noter que cette glace d’eau quasi atmosphérique (différente de celle qui reste dans le sous-sol profond) ne disparaît pas pour autant aux périodes « sèches » ; elle change simplement de place (plus ou moins concentrée aux pôles).
Alors, quelle peut être la cause de l’existence de ces mesas épaisses ? On ne la connaît pas encore mais elles doivent résulter d’un concours de circonstances, probablement un événement volcanique important survenu lors d’une obliquité forte. L’atmosphère épaissie par les rejets de gaz aurait facilité les précipitations de pluie ou de neige qui dans cette zone auraient pénétré un amoncellement de cendres fraîches où elles auraient ensuite gelé.
Ce genre de raisonnement est typique de l’étude géologique ou planétologique. On a des faits et on construit des hypothèses (ou, quand on peut, des modélisations) pour les expliquer. Les meilleures explications reçoivent ensuite confirmation par d’autres faits.
Les chercheurs estiment que l’inlandsis pourrait être plus étendu que les 375.000 km2 clairement identifiés car le même type de relief se prolonge sur une surface de quelques 1.000.000 de km2. Mais pour le moment la généralisation ne peut être confirmée puisque SHARAD n’a pas examiné la totalité de la zone et que, d’après les tendances observées, la teneur en eau semble s’appauvrir en allant vers l’Est.
Le radar SHARAD (SHallow RADar) a été fourni à la NASA par l’ASI, l’agence spatiale italienne (comme toujours ces missions sont internationales sous un leadership national) ; les opérations sont conduites par l’Université de La Sapienza, à Rome. Il pénètre les premières centaines de mètres du sol, jusqu’à 1 km (en fonction de la nature du sol).
Plusieurs conséquences sont à tirer de cette découverte :
(1) Les Basses Terres du Nord confirment leur vocation à être le réceptacle principal des eaux martiennes du fait de leur altitude basse (gravité et atmosphère plus épaisse);
(2) Les astronautes n’auront vraiment pas de difficulté à se procurer de l’eau sur Mars ;
(3) l’eau martienne accessible pourra faire l’objet de multiples utilisations, son hydrogène et son oxygène pourront servir, par réaction de Sabatier, à produire du méthane brûlant dans l’oxygène pour propulser les véhicules. L’oxygène pourra aussi servir à réapprovisionner les réserves atmosphériques des bases habitées (même recyclé l’oxygène des bases subira des pertes).
(4) Il peut y avoir un peu d’eau liquide sous la glace, ce qui, comme chacun sait, favorise les échanges biologiques. Cette eau n’a pu être biologiquement active que si le sol était déjà ensemencé par la vie mais au cas où des spores auraient été laissées par la glaciation précédente, elles auraient pu être réactivées (on évalue la capacité de survie des bactéries terrestres sous forme de spores, à plusieurs millions d’années).
Pierre Brisson
Source : Geophysical Research Letters, ‘SHARAD detection and characterization of subsurface ice deposits in Utopia Planitia, Mars” doi:10.1002/2016GL070138, publié le 29 septembre 2016.
Image à la une : exemple de thermokarst (sol riche en glace d’eau desséché en surface) observé au sol de Mars par la caméra HiRISE, à bord de Mars Reconnaissance Orbiter (NASA) . Vous noterez les lignes de dessiccation et l’effondrement du sol là où une grande quantité d’eau souterraine s’est sublimée.
Image ci-dessous : carte de la zone explorée, crédit image NASA/JPL-CalTech/Univ. de Rome/ASI/PSI (22/11/16). Les barres violettes montrent la profondeur des dépôts riches en glace telle qu’observés par SHARAD. Plus la couleur est foncée plus l’épaisseur est importante (variation de 170 à 10 mètres):
Image ci-dessous (crédit image NASA/JPL-CalTech/Univ. de Rome/ASI/PSI):
morphologie des surfaces explorées. On distingue bien le sol ancien (en clair) sur lequel se sont formées les mesas riches en glace (plus foncées):
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