La vie sur Terre a commencé un jour puisque nous sommes ici. Le problème que l’on se pose est toujours « quand » et « comment » pour tenter d’en déduire s’il s’agit d’un processus reproductible « ailleurs » dans l’univers. Et lorsque l’on croit trouver des signes encore plus anciens que ceux déjà identifiés, l’information fait le tour de la planète à la vitesse de la lumière.
Il est bien établi par l’analyse isotopique des éléments radioactifs contenus dans certains zircons, que la Terre s’est formée il y a 4,567 milliards d’années. Avec cette méthode l’environnement immédiat des microorganismes fossilisés « putatifs » (essentiellement tubes de 16 à 30 µm de diamètre et de 80 à 400 µm de longueur) trouvés récemment dans la « Ceinture de roches vertes de Nuvvuagittuq », sur la cote québécoise de la Baie d’Hudson, au sein de l’ensemble géologique très ancien du Bouclier-canadien, a été daté entre 3,77 et 4,28 milliards d’années. C’est un saut considérable par rapport à l’âge des micro-fossiles les plus anciens déjà confirmés, datés de 3,5 milliards d’années et même par rapport à l’âge des indices chimiques isotopiques les plus anciens, datés de 3,7 milliards (Isua, Groenland) ou 3,83 milliards (Akilia, Groenland), sur la nature biologique desquels on s’interroge encore car ils ne sont associés à aucun biomorphe et qu’ils pourraient avoir une origine non biologique.
A Nuvvuagittuk, on se trouve en présence d’une roche sédimentaire ferrugineuse de type jaspe, probablement formée dans un environnement d’évents hydrothermaux d’un plancher océanique (depuis longtemps émergé). Les microfossiles sont inclus dans des couches de quartz et de magnétite à l’intérieur de ce jaspe. Ils se présentent comme des tubes, des boutons (« knobs »), des rosettes ou des filaments d’hématite (éventuellement inclus dans les tubes), les tubes étant curieusement semblables aux micro-organismes respirant le fer qui prolifèrent autour des cheminées hydrothermales contemporaines. Les rapports entre ces différents phénomènes ne sont pas clairs. Leur carbone est, sur le plan isotopique, compatible avec un carbone d’êtres vivants (surabondance de l’isotope 12C par rapport à l’isotope 13C). Les chercheurs ont exclu une formation a-biogénique et interprètent les tubes comme des fourreaux de bactéries (l’équivalent d’une coquille), les boutons étant similaires à des fossiles de bactéries, les rosettes et les filaments étant plutôt des rejets métaboliques.
Les microfossiles de cette ancienneté sont extrêmement rares et difficiles à trouver car les roches qui les contiennent ont presque totalement disparu de la surface de la Terre du fait de l’érosion, du volcanisme ou de la tectonique des plaques (absorption dans le manteau de la planète). Les seuls sites primordiaux (« hadéens ») connus sont de petites régions de l’Ouest Australiens, du Groenland et du Bouclier-Canadien. Par ailleurs, le passage du temps a conduit à une évolution chimique profonde des éléments constitutifs, ce qui ne facilite pas l’identification.
Comme il est exclu que ces êtres vivants aient été des eucaryotes (cellules à noyaux ayant la possibilité de s’associer en organismes multicellulaires, apparus vers -2 milliards), les tubes que l’on voit sont peut-être des appendices servant à la protection et à la capture de la nourriture des bactéries. Cela est très surprenant et pose problème car la structure de ces êtres vivants apparaît déjà très complexe alors que l’on croyait jusqu’à présent qu’il avait fallu une longue période prébiotique pour arriver à la vie la plus simple. En fait, la logique aurait voulu que l’on découvre des bactéries de type coccoïde (sphériques), beaucoup plus petites (de l’ordre d’un seul micron) ressemblant à celles datées de 3,5 milliards d’années précédemment identifiées (voir image ci-dessous).
Gardons donc encore quelques réserves sur cette découverte.
D’autre part, ne nous hâtons pas de conclure que la vie est un processus qui se développe automatiquement sur une planète rocheuse dans la « zone habitable » de son étoile. C’est un pas qu’il est impossible de franchir aujourd’hui car des spécificités propres à la Terre, notamment son enveloppe océanique, peuvent avoir joué (et l’on sait que « normalement », compte tenu de son emplacement dans le système solaire sous la limite des glaces, la planète devrait être sèche).
Dans ce contexte l’exploration de Mars est encore plus intéressante, étant entendu qu’elle peut fournir des éléments de comparaison que ne peuvent permettre aucune des autres planètes aujourd’hui accessibles, compte tenu de son histoire géologique primitive très semblable à la nôtre (avec notamment la présence d’eau liquide). On pouvait en effet douter que dans le cas de Mars, le temps ait été suffisant pour conduire un processus prébiotique jusqu’à la vie, puisque les conditions environnementales de la planète se sont très sérieusement détériorées vers -3,5 milliards d’années, précisément l’époque considérée précédemment comme celle de l’apparition de la vie sur Terre. Si l’on peut maintenant faire remonter la vie à 3,77 milliards d’années (ou plus), la période de temps disponible (par analogie) pour l’émergence du processus sur Mars est nettement plus longue.
Du point de vue de la recherche des fossiles les plus anciens, un avantage de Mars, est la faiblesse de l’érosion depuis ces 3,5 milliards d’années et l’absence de tectonique des plaques. Il en résulte que la surface couverte par les roches antérieures est considérable (des dizaines de millions de km2, surtout dans l’hémisphère Sud mais aussi dans les plus anciens cratères partout en surface). Les radiations ont certes pu faire évoluer chimiquement les éventuels fossiles en surface mais il devrait en rester des biomorphes comme ceux trouvés à Nuvvuagittuk. Par ailleurs, on peut toujours espérer trouver une accumulation de minéraux qui n’ont pu être assemblés que par une activité biochimique. Enfin, si on ne trouve rien en surface, on va bientôt pouvoir explorer le sous-sol immédiat jusqu’à moins deux mètres avec le robot Pasteur de la mission ExoMars de l’ESA qui doit être lancé en 2020. Atteindre cette profondeur signifiera avoir accès à une couche de terrain peu irradié et éventuellement humide où la vie a pu se maintenir.
Maintenant, si on ne trouve toujours rien, cet échec lui-même aura une signification intéressante pour caractériser les conditions essentielles à l’émergence de la vie.
Référence : « evidence for early life in Earth’s oldest hydrothermal vent precipitates » par Matthew S. Dodd et al. in Nature, Vol. 543, 2 mars 207, doi:10.1038/nature21377.
Image à la Une: document ci-dessus, figure 2 (reconstruction en profondeur de l’image des tubes de Nuvvuagittuq). NB: le diamètre des tubes est de 16 à 30 micromètres.
Image ci-dessous : Microstructures datées -3,4 Gy, associées à des cristaux de pyrite trouvées dans les grès de Strelley Pool (Australie Occidentale). Source : “Microfossils of sulfur-metabolizing cells in 3.4-billion-year-old rocks of Western Australia”, article publié dans “Nature Geoscience” le 21/08/2011 par David Wacey et al. DOI: 10.1038/NGEO1238.
2 Responses
Concernant le caractère « automatique » de l’apparition de la vie sur une planète rocheuse située dans la « zone habitable » de son étoile, il est vrai qu’il faut rester très prudent. Nous ne connaissons pas précisément l’ensemble des conditions qui ont permis le développement de la vie sur Terre. Pour ne prendre qu’un exemple, il semble que notre Lune (un satellite naturel exceptionnellement gros par rapport à la taille de la planète autour de laquelle il tourne) ait joué un rôle non négligeable, en stabilisant d’une part l’axe de rotation de la Terre et en permettant d’autre part grâce aux marées que des zones rocheuses soient périodiquement découvertes, puis recouvertes d’eau de mer, ce qui aurait pu être un facteur propice à l’apparition de la vie. Et il y a certainement encore bien d’autres paramètres très spécifiques à la Terre qui ont joué un rôle dans ce processus. Existent-ils ailleurs (ou d’autres jouant un rôle similaire)? Difficile de trancher dans l’état actuel de nos connaissances.
J’ai prévu d’aborder le sujet des circonstances « extraordinaires » qui ont abouti à la vie dans mon article de la semaine prochaine.
On peut compléter votre remarque en disant qu’il y a quelques 4 milliards d’années la Lune était beaucoup plus proche de la Terre, que les jours terrestres étaient beaucoup plus courts (c’est la Lune qui a freiné la rotation de la Terre) et qu’il y avait très peu de terres émergées. L’effet des marées sur ces terres devaient donc être extrêmement fortes. Par ailleurs la stabilisation par la présence de la Lune de l’axe de rotation de la Terre a évité les changements d’obliquité qui ont conduit sur Mars à des périodes de glaciation aux latitudes moyennes. On ne sait pas quelle influence sur la vie ces périodes de glaciation ont pu avoir mais elles ont été forcément perturbatrices (à supposer bien entendu que le processus de vie a été amorcé sur Mars).