Le 15 septembre 2017, à 13h55, notre heure en Suisse (11h55 TU), la sonde Cassini s’est abimée dans les nuages de Saturne après avoir étudié la planète géante et ses satellites pendant 13 ans (et 20 ans après avoir quitté la Terre). C’est une destruction volontaire, la sonde n’ayant plus assez de propergol pour manœuvrer et ses pilotes ayant décidé d’éviter qu’elle ne s’écrase « n’importe où » (c’est-à-dire sur la surface d’une des lunes qu’elle aurait risqué de contaminer avec nos microbes terriens). Une des plus belles pages de l’exploration de notre système solaire vient d’être tournée.
La dernière photo est banale et décevante car elle ne dévoile aucun détail, peut-être parce que prise à plus de 630.000 km (un peu moins de deux fois la distance Terre/Lune), elle était trop lointaine. Nous n’aurons pas d’image de la rentrée dans les nuages car dans les dernières heures l’antenne ne pouvait plus être pointée vers la Terre compte tenu des frottements atmosphériques, de plus le temps nécessaire à la collecte de l’information et à sa transmission juste avant que l’antenne ne puisse plus servir, n’était pas suffisant (il n’y avait pas de transmission instantanée possible compte tenu d’une puissance informatique trop faible). L’on ne sait donc toujours pas à quoi ressemble ce monde quand on s’en approche à le toucher (façon de parler puisque ce qu’on voit est l’extérieur d’une couche de nuages de 200 km d’épaisseur). On ne sait donc pas non plus à quelle altitude au-dessus de cette couche de nuages, la sonde s’est désintégrée avant de se consumer. C’est bien dommage et cela donne envie de revenir, n’est-ce-pas !?
Ceci dit nous commençons à bien connaître le système et la planète en particulier, comme le montre le diagramme de sa structure ci-après (crédit: Wikimedia Common) et il reste énormément de données recueillies, notamment les dernières (dans les données il n’y a pas que des images !), à rassembler, à confronter et sur lesquelles réfléchir. Quelle différence entre avant et après cette mission ! On parlera encore longtemps de Cassini et de son abondante documentation.
Ce que l’on sait c’est que Saturne, l’une de nos géantes gazeuses comme Jupiter, Uranus et Neptune, est constituée essentiellement d’hydrogène et d’hélium mais qu’elle a quand même un noyau rocheux qui a une masse de 9 à 22 fois la Terre (beaucoup par rapport à nous, peu en proportion de la masse totale qui fait 95 fois la Terre). Bien entendu, compte tenu de la compression gravitationnelle, l’hydrogène et l’hélium deviennent de plus en plus denses au fur et à mesure qu’on s’approche du noyau (jusqu’au métal !). Les différentes couches de sa structure interne lui permettent, par effet dynamo, de générer une puissante magnétosphère (comme Jupiter ou la Terre).
Mais le plus intéressant, à mon avis, dans le système de Saturne ce sont ses satellites. Encelade petite boule de 500 km de diamètre possède, grâce aux forces de marée générées par Saturne toute proche (170.000 km!), un océan global sous sa croûte de glace. On a d’abord vu à contre-jour des geysers s’en échapper et on a vérifié ensuite qu’il s’agissait bien d’eau, salée (avec peut-être un peu d’ammoniac). Plus important encore, Titan, le plus gros satellite du système solaire avec ses 5150 km de diamètre (plus que la Lune, 3474 km, mais moins que Mars, 6778 km), possède une atmosphère épaisse (1,47 bar en surface, donc plus que celle de la Terre) et outre l’azote (95 à 98,4%), très riche en méthane (1,6 à 5%) et en molécules organiques diverses. Les températures très froides en surface, en moyenne -180°C (Titan est très loin du Soleil) et la pression au sol du fait de la masse du satellite, permettent à ces hydrocarbures d’être liquides, d’où les grands lacs de méthane en surface, surtout près du pôle Nord, et apparemment largement intermittents en fonction des saisons (sur une année de trente ans, du fait de l’inclinaison de 28% de l’axe de rotation de la planète). Cette richesse de l’atmosphère a sans doute permis des liaisons entre atomes et molécules et, malgré le froid, permis une évolution vers une complexification importante de ces molécules. On ne trouvera pas la vie sur Titan mais un développement important de la chimie pré-biotique.
La sonde Huygens, de l’ESA, détachée de Cassini à son arrivée dans le système de Saturne en décembre 2004, a pris quelques photos de la planète, en altitude puis au sol, mais elle n’est pas restée longtemps opérationnelle en raison de la rigueur des conditions environnementales (02h20 de descente dans l’atmosphère et 05h30 au sol). On devrait y retourner avec les équipements adéquats. On pourrait naviguer sur une des mers de méthane ou déployer un dirigeable (la portance serait facile compte tenu de la forte densité de l’atmosphère). Imaginez les paysages fantastiques de montagnes de glace d’eau dominant une mer lisse d’un noir intense sous la lumière orangée diffuse des hydrocarbures en suspension!
Cinq missions dans le système de Saturne sont en préparation à la NASA. Elles sont évidemment robotiques car Saturne est très éloignée (1,43 milliards de km du Soleil) et qu’il faut 6 à 7 ans de voyage pour l’atteindre (en fonction de la position respective des planètes). Elles se situent dans le cadre du programme « New Frontiers » qui est conçu pour des projets simples, rapides et peu coûteux (maximum un milliard de dollars, ce qui est peu par rapport à un budget annuel d’une vingtaine de milliards de la NASA, surtout que les dépenses seront étalées dans le temps). L’ESA serait associée à certaines d’entre elles.
NB: les autres projets concernent la collecte d’échantillons au pôle Sud de la Lune, l’étude de la surface de Vénus, l’exploration des satellites troyens de Jupiter, la collecte d’échantillons sur une comète.
Le choix du lauréat (un seul!) doit être fait en 2019 pour lancement en 2025 : (1) la mission « SPRITE » (Saturn PRobe Interior and aTmosphere Explorer) plongerait une sonde dans l’atmosphère de Saturne pour l’analyser pendant 90 minutes (temps de résistance maximum à l’écrasement), qui pour ce faire, serait équipée d’une coque très résistante (que n’avait pas Cassini); (2) la mission « ELF » (Enceladus Life Finder), un orbiteur, effectuerait 10 survols rapprochés d’Encelade en traversant à chaque passage le nuage de matière éjectée par les geysers de son pôle Sud; (3) la mission « Titan Dragonfly », serait un drone hélicoptère qui exploiterait la bonne portance de l’atmosphère de Titan pour faire plusieurs sauts qui lui permettraient d’analyser le sol et l’atmosphère (l’énergie serait fournie par un générateur électrique nucléaire, « RTG »); (4) la mission « Oceanus », un orbiteur, étudierait la formation des molécules organiques complexes dans la haute atmosphère, et la croûte de Titan (épaisseurs et failles) pour connaître les relations entre l’eau liquide du sous-sol et la surface (un « océan » pourrait se trouver sous la croûte de glace qui recouvre le satellite). (5) la mission ELSAH (Enceladus Life Signatures and Habitability) peut-être la même que « Explorer of Enceladus and Titan » (E2T) est encore mal connue (de moi-même, en tout cas!);
Les missions habitées ce sera pour (beaucoup) plus tard en raison de la durée du voyage et des conditions de séjour très dures. Elles réclameraient beaucoup d’énergie une fois sur place car la lumière naturelle est très faible puisque l’irradiance solaire au niveau de Saturne et Titan n’est que de 14 Watt/m2 (contre 1400 au niveau de la Terre et de 490 à 750 au niveau de Mars) et que cette lumière est encore atténuée par une atmosphère épaisse et riche en particules. Il y fait aussi très froid. On pourrait théoriquement y installer des éoliennes mais cela suppose un transport de masse que pour le moment on est bien incapable de réaliser. Il faudrait aussi trouver une huile (ou équivalent? boue locale?) qui ne gèle pas à -180°C et mettre au point un dispositif qui puisse débarrasser les pâles et le mécanisme des hydrocarbures qui pleuvent en surface !
Image à la Une: Dernière photo reçue de Cassini. Elle date de 21h59 le 14 septembre. La distance à Saturne est d’environ 634.000 km (moins de deux fois la distance Terre/Lune). Crédit : NASA/JPL-Caltech/Space Science Institute.
Ci-dessous: Saturne dans toute sa splendeur, crédit NASA:
4 Responses
Et dire que le budget de la défense US atteint 700’000’000’000 $. Avec une telle somme (ou même seulement une partie) que pourrait-on explorer dans l’espace ? Et sans avoir d’ennemi à détruire en face de nous !
Certes! Malheureusement certaines dépenses militaires ne sont pas inutiles. Je pense à celles que les États-Unis effectuent pour lutter contre Daech au Moyen-Orient ou à celles qu’ils devraient mettre en oeuvre pour riposter contre la Corée du Nord si Kim-Jung-Un attaquait la Corée du Sud ou le Japon. On peut rêver de conquête spatiale mais on se doit d’être réalistes quant aux menaces réelles sur Terre aujourd’hui. Si elles se concretisaient (extension de Daech ou guerre nucléaire déclenchée par Kim J.U.), elles pourraient constituer une catastrophe qui rendrait la conquête spatiale impossible. Les dépenses militaires ne sont pas toujours justifiées mais on ne peut y renoncer totalement et en effectuer seulement « un peu » n’a pas beaucoup de sens si on veut être opérationnel, crédible et donc dissuasif. Par ailleurs la NASA à utilisé souvent pour son exploration spatiale, des lanceurs conçus par les militaires.
Petites précisions concernant la questions de l’énergie solaire disponible (irradiance) au niveau de l’orbite des planètes concernées (donc hors atténuations dues à l’atmosphère de celles-ci). Pour la Terre, cette grandeur varie entre 1316 (W/m2) à l’aphélie (point de l’orbite le plus éloigné du Soleil) et 1407 (W/m2) au périhélie (point de l’orbite le plus proche du soleil) ; la moyenne mesurée étant de 1368 +/- 1 (W/m2). Les valeurs correspondantes pour Mars et Saturne sont respectivement : 490 (W/m2) – 713 (W/m2) et 13,5 (W/m2) – 16,7 (W/m2) (moyenne : env. 15 W/m2).
La comparaison de l’énergie solaire disponible dans la «banlieue» de Saturne avec celle que l’on peut récolter en orbite terrestre montre à quel point la figure du vaisseau de transport interplanétaire de Space X à proximité de Saturne et de ses anneaux, présentée l’automne dernier par Elon Musk, avec des panneaux solaires identiques à ceux utilisés en orbite terrestre ou martienne ne correspondait à aucune «réalité énergétique» !
A propos de Cassini et d’un autre thème évoqué précédemment sur ce blog (la science-fiction), il est frappant de constater à quel point même les meilleurs auteurs de science-fiction n’ont pas su anticiper quel serait le véritable développement de l’astronautique habitée. Avec le plongeon final de Cassini dans l’atmosphère de Saturne, on salue ces jours-ci avec raison le magnifique succès d’une sonde de l’ordre de 2000 kg, lancée 20 ans auparavant vers sa lointaine cible (par un lanceur «Titan» d’ailleurs, qui est également le nom du plus grand satellite de Saturne, ironie de l’histoire). Mais Kubrick et Arthur C. Clarke avaient imaginé qu’en 2001 déjà des hommes voyageraient vers Jupiter (sans compter l’existence d’une station spatiale de grande taille, d’une base permanente sur la Lune, etc.). Et ils pensaient à l’époque, fin des années 60, être réalistes. Le moins que l’on puisse dire est que l’exploration spatiale humaine n’a de loin pas suivi le développement rapide qui semblait devoir être le sien après les succès du programme Apollo en particulier. A ma connaissance, aucun auteur de science-fiction n’a d’ailleurs imaginé que près d’un demi-siècle après avoir «conquis» la Lune, on en serait toujours en matière d’astronautique habitée à tourner uniquement en orbite basse autour de notre bonne vieille planète, en n’ayant même pas encore d’agenda précis pour un envoi d’astronautes sur Mars, et on ne parle même pas de destinations plus lointaines ! Cela montre qu’il faut toujours rester très prudent, et modeste, en matière d’anticipation, particulièrement dans un domaine aussi complexe que l’exploration spatiale habitée.