Les premiers hommes ne seront pas nombreux sur Mars compte tenu des difficultés du transport depuis la Terre et du support-vie complexe mais nécessaire. Le succès de la réussite de l’implantation humaine sur Mars résultera donc de la volonté (« dedication ») de chaque résident de faire vivre la Colonie. Cela ne pourra venir que de la compétence et du travail de chacun ; de la complémentarité de tous ; dans un cadre où la collaboration sera essentielle mais aussi où les libertés d’expression et d’initiative après concertation, devront être favorisées, précisément pour que la richesse des capacités de chacun soit valorisée au maximum. C’est un peu le problème qui se pose dans les entreprises terrestres mais sur Mars il se posera de façon particulière à cause des contraintes environnementales et de la distance à la Terre. Ce sont ces contraintes seules qui limiteront les libertés.

Les principes

Pour que « ça marche », il faudra, au niveau des individus vivant ensemble en société, un comportement particulièrement « responsable ». Chacun devra tolérer l’autre, éviter les affrontements « épidermiques », résoudre les différents par la discussion, ne pas s’imposer mais savoir aider sans contraindre, exposer ses idées et accepter d’en discuter, écouter celles des autres sans les rejeter a priori si elles sont argumentées. Accepter un point de vue non seulement en fonction des capacités théoriques démontrées dans le passé et confirmées par un diplôme (reconnaissance des autres), mais aussi en fonction de la logique et du bon sens. La réalité, éventuellement exprimées par des tests, devra dominer les conclusions (et les décisions devront être prises dans un délai raisonnable).

Additionnellement, le principe de fonctionnement de l’administration de la Colonie sera la subsidiarité. Tout ce qui peut être fait par les sociétés privées, le sera (subsidiarité), après appel d’offres et mise en concurrence car c’est « le meilleur moyen d’obtenir le meilleur ». Les seules limitations seront celles de la disponibilité d’énergie (sans quoi rien n’est possible), de la sécurité physique (sans quoi tout peut échouer), du niveau élevé de l’hygiène collective et individuelle (les conséquences de la diffusion des infections dans un petit espace peuvent être très lourdes), de la préservation des sites de recherche planétologique (l’homme ne doit pas aller sur une autre planète pour la saccager). Dans ces domaines, des règles très strictes s’appliqueront et les personnes responsables des départements opérationnels en charge de chacune des activités considérées comme vitales, auront un droit de véto sur toute action ou initiative qu’ils considéreraient périlleuse (après présentation des arguments et discussion éventuelle, bien entendu).

Au niveau des institutions, il faudra éviter le pouvoir absolu d’un seul (risque de congestion des flux d’informations et de leur traitement, et d’abus de pouvoir). Dans toute la mesure du possible, les décisions devront être collégiales avec un avantage donné aux personnes reconnues précédemment comme compétentes. Un secrétariat tiendra un registre des décisions et des éléments sur lesquelles elles seront fondées pour permettre de suivre une ligne de conduite, si elle ne doit pas être modifiée d’un commun accord. Par ailleurs, la Colonie résultera d’investissements, probablement à la fois publics et privés. Les investisseurs (réunis dans une « Compagnie des Nouvelles Indes » ?) auront donc « leur mot à dire » car ils devront obtenir un retour sur investissement, sans quoi il n’y aurait pas de pérennité possible pour la Colonie. Les investisseurs seront donc partie prenante de toute décision de développement, engageant des ressources communes ou visant à leur rentabilisation.

Les institutions

Pour structurer ces principes j’avais prévu dans mon livre (Franchir sur Mars les Portes de l’Espace) une organisation comme présentée dans l’illustration de titre (présentée aussi à la convention internationale de la Mars Society US en 2019). En application de ce qui est énoncé ci-dessus, tout le monde a droit à la parole mais la sécurité ne doit jamais être ignorée dans la décision, compte tenu des conséquences toujours dramatique qu’un manquement dans ce domaine pourrait avoir. Dans le fonctionnement au jour le jour, pour être réaliste et ne pas disperser les énergies ni surtout perdre du temps, les résidents sur Mars seront représentés par des personnes qu’ils auront élues. Dans cet esprit la « formule magique » suisse (conseil de direction avec nombre impair de membres et pluralité d’opinions et/ou de compétences) est le modèle qui me semble le mieux adapté. Elle sera concrétisée dans un « Colony Directory » de 7 personnes, qui sera, sur place, l’organe de direction de la Colonie.

Pour mieux comprendre mon schéma, voici quelques explications : La « Mars Colony Operating Company » (« MCOC », autre nom possible de « ma » Compagnie des Nouvelles Indes) est la société (partenariat public/privé) qui gère la Colonie. Elle est l’émanation de ses actionnaires (publics et privés). Le Colony Directory, déjà mentionné, est composé des représentants de la MCOC (qui aura la majorité décisionnelle puisqu’elle aura tout payé/investi au départ) et des représentants élus de tous les résidents sur Mars réunis au sein d’un « CEC » (voir ci-dessous). Ces résidents sont aussi bien les employés qui font fonctionner la Colonie que les hôtes payants puisque leur séjour est de longue durée et qu’ils l’ont payé, ce qui leur donne un « droit de regard ». Ils constituent en quelque sorte, « le Peuple ». Au sein du personnel, on distingue le personnel opérationnel fonctionnel (POF), le personnel opérationnel vital (POV). Les POV seront par exemple les personnes chargées de la maintenance du système MELiSSA, ou encore celles en charge des contrôles bactériologiques, c’est-à-dire en charge d’un service dont la défaillance signifierait la mort de tous les résidents. Les hôtes payants, peuvent être classés en scientifiques, entrepreneurs-indépendants et touristes. Le personnel opérationnel se consacrant à la recherche (POR) est, en principe, dans cette catégorie (son financement provenant des Universités, Grandes écoles, Centres de recherche, Académies…).

Le « Conseil Exécutif de la Colonie » (CEC) regroupera d’une part des représentants nommés de chacun des départements opérationnels (OD) de la MCOC, et d’autre part des représentants élus des hôtes payants réunis au sein d’un « Conseil Représentatif des Résidents Martiens » (CRRM) quand ils seront trop nombreux pour agir directement au niveau du CEC. Le CEC élira les représentants du « Peuple » qui siégeront au Directoire de la Colonie. Bien entendu toutes ces fonctions seront exercées par les résidents sur le mode du volontariat bénévole, n’impliqueront aucune rémunération (sauf remboursement de frais éventuels), et les mandats seront révocables.

Les ODV auront par principe un droit de veto dans leur domaine de compétence, de même que les personnes au sein des ODR spécialistes des questions de biologie, de support-vie ou d’énergie et qui auront été agréés par la Compagnie avant leur départ pour pouvoir exercer ce droit. Cependant, le Directoire de la Colonie (par délégation de la MCOC en cas d’urgence) aura un droit de veto plus élevé que les autres, s’il estime (avec arguments) que la décision est préjudiciable aux intérêts économiques de la Société ou aux grands objectifs de développement de la Colonie (objectifs clairement définis à l’avance).

Enfin, comme il est inévitable qu’il y ait des conflits, un Tribunal de Résolution des Conflits entre les résidents et entre les résidents et le Directoire de la Colonie, sera mis en place, avec une représentation égale de spécialistes de la résolution des conflits nommés directement par la MCOC d’une part, et de représentants du CRRM ou directement par les résidents avant que le seuil justifiant la création de ce conseil soit atteint (les litiges internes à la Société seront résolus selon les règles internes de la Société).

Conclusion

Comme certains lecteurs vont me l’écrire, « nous n’y sommes pas encore ». Certes, mais il est quand même permis de penser déjà à cette situation complexe. C’est dans un contexte similaire que se trouvaient les Egyptiens vers 3500 avant notre ère en raison de l’obligation qu’ils avaient de gérer l’eau, rare, du Nil pour irriguer leurs terres. Demain sur Mars, l’eau du Nil ce sera l’énergie, et le Désert d’Egypte, l’aridité martienne. Dans ce cadre une direction autoritaire donne de bons résultats comme l’a démontré l’histoire de l’Egypte. Cependant depuis le début de notre Histoire en général, l’expérience a montré que la Liberté était un facteur de prospérité et de puissance encore plus grand ; voyez au 19ème siècle, les Etats-Unis par rapport à la Russie ou l’Angleterre par rapport à la France (sauf dans les périodes libérales : pendant le règne de Louis-Philippe, celui de Napoléon III et la 3ème République). C’est la liberté avec un état le plus léger possible, qui permet les initiatives les plus audacieuses, les prises de risques (la possibilité de perdre ou de gagner), la richesse pour certains, le progrès et le moins de pauvreté possible pour tous. Les futurs Martiens auront tout intérêt à miser sur elle. J’imagine la devise locale : « La liberté autant que possible, l’autorité aussi peu possible ».

xxxx

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 25 02 07

Et, si vous aimez ce blog, abonnez-vous !

Mon livre, Franchir sur Mars les portes de l’Espace, est disponible chez amazon.fr, chez payot.ch sur le site fnac.com, chez Google books (en e-book), sur le site de mon éditeur, le Lys Bleu éditions.

Vous pouvez aussi le commander chez votre libraire. Si vous rencontrez un problème, n’hésitez pas à m’en faire part (voir plus bas).

Si vous souhaitez passer par Amazon et que vous résidiez en Suisse, attention ! Il est préférable d’aller sur le site « Amazon.fr » plutôt que sur celui d’« Amazon.de » auquel vous conduira automatiquement votre recherche. Si vous passez par « .de », vérifier bien les délais de livraison pour qu’ils ne soient pas plus longs que ceux d’Amazon.fr.

Sur les mêmes sites, Amazon.fr ou Amazon.de, vous pouvez aussi obtenir le livre en format Kindle, avec disponibilité immédiate (et c’est moins cher !).

Sur le site de la Fnac vous pouvez le commander chez fnac.com mais pas encore chez fnac.ch.

Si vous allez chez votre libraire et qu’il n’a pas le livre en rayons, demandez-lui de le rechercher sur le site Dilicom et indiquez-lui que le distributeur du Lys Bleu est la société Sodis.

5 réponses

  1. Les « vertus » attendues des futurs membres d’une colonie martienne listées dans l’article de ce jour me semblent en effet indispensables pour la survie de ladite colonie dans l’environnement plus qu’exigeant et périlleux qui est celui de la planète rouge. J’y ajouterai le concept de « solidarité » (qui va plus loin que la simple « complémentarité »), qui implique de ne laisser aucun membre de la colonie seul face à d’éventuelles difficultés, le problème de l’un étant le problème de tous dans ce contexte. Puisque la Suisse est citée en exemple, je pense dans cet ordre d’idée qu’une future colonie martienne pourrait aussi faire sienne la devise de notre pays (qui est également celle des Trois Mousquetaires, qui étaient quatre 🙂 ), devise inscrite sous la coupole du Palais fédéral: « Unus pro omnibus, omnes pro uno »!
    En ce qui concerne le nom de la société en charge de la gestion de la colonie, je préfère en effet « MCOC » à « Compagnie des Nouvelles Indes » qui rappelle un passé colonial et impérialiste dont il n’y a pas forcément à se féliciter. Sans compter que l’on ne voit pas bien ce que les « Indes » viennent faire dans le contexte martien, et le malentendu possible avec les Amériques, confondues au départ avec l’Inde d’où le nom (« Nouvelles Indes » précisément) que leur a donné Christoph Colomb, qui n’en était pas à une erreur près!

  2. Bonjour a tous
    Pour ma part je ne maitrise pas du tout cet aspect de la « gouvernance » de la colonie Martienne…je trouve que cela pose des problemes.

  3. Et bien je pense que pour les premieres missions Martiennes il y aura un commandant de bord nomme et assermente par le pays conduisant cette mission et aide par un second. Les regles a respecter seront fixees avant meme le depart des missions et s appliqueront d un bout a l autre de la mission.
    Et pour la « colonisation  » un systeme comme vous proposez peut etre envisageable…sachant que ces colonies finiront par devenir autonomes avec le temps …et prendront vraisemblablement leur independance.

  4. Je pense que, pour les « lois » sur Mars, il y aura dès le début un tâtonnement qui prendra en compte la plus ou moins grande facilité à s’adapter à un milieu pas assez connu (contrairement à la terre?) et les réactions humaines aux problèmes encore tout nouveaux. Difficile d’établir de façon totale ces règles à l’avance même si on peut s’inspirer de ce qui se passe à bord de l’ISS. C’est une bonne idée de comparer la situation des martionautes à celle des anciens Egyptiens (manque d’eau, énergie rare, exiguïté des surfaces cultivables…). Mais, pour les premiers arrivants, dans les premiers temps, on peut aussi se référer à la situation des navigateurs au temps de la marine à voile: subsister avec ce qu’on a apporté, discipline sans faille, solidarité, esprit de débrouillardise. Les réponses trouvées sur terre et le matériel envoyé pour pallier les difficultés imprévues ne pourront arriver qu’après un délai pendant lequel il faudra survivre. Et pour les périodes suivantes, il y aura peut-être des soubresauts dus aux peurs individuelles de mourir lors d’activités indispensables mais risquées, aux échecs à graves conséquences… Mais oui, il faut un « gouvernement » dans tous les sens du terme (hiérarchie acceptée par tous, règles vitales). On ne peut peut-être pas exclure l’autorité d’un gouverneur unique s’il est ouvert aux besoins de la collectivité, extrêmement compétent et ayant déjà fait ses preuves sur terre.

    1. Ce qui me semble certain, c’est qu’il faudra un entrainement sérieux sur Terre pour que les relations entre les personnes une fois sur place, se passent le mieux possible. Il faudra que ces personnes sachent accepter « l’autre » mais en même temps soient capables de présenter leurs points de vue en les argumentant. En fin de compte, il faudra qu’elles acceptent d’avoir (éventuellement) tort.
      Le problème de l’autorité dans un milieu isolé est extrêmement délicat. C’est pour cela que je préfère la concertation et la pluralité. Même si les premières équipes ne comprennent qu’une douzaine de personnes, il faudra cette pluralité (un triumvirat peut-être).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

Abonnez-vous à ce blog par e-mail.

Saisissez votre adresse e-mail pour vous abonner à ce blog et recevoir une notification de chaque nouvel article par e-mail.

Rejoignez les 95 autres abonnés