EXPLORATION SPATIALE - LE BLOG DE PIERRE BRISSON

Après être passé à l’« opposition » du Soleil, le 27 juillet, c’est-à-dire avoir intersecté sur son orbite une ligne prolongeant l’axe Soleil – Terre à l’« opposé » du Soleil, la planète Mars sera le 31 juillet au plus près de la Terre, à 57.614.515 km, du moins pour ce qui est de la révolution synodique dans laquelle nous nous trouvons. Ce ne sera cependant pas le minimum possible puisqu’il est de 54.546.844 km (différence entre aphélie terrestre et périhélie martien). Cet événement que nous allons vivre n’en est pas moins rare. Le passage récent le plus proche, on pourrait dire d’une « rareté intermédiaire », à 55.758.118 km, a eu lieu le 26 août 2003. Nous n’avions pas été aussi proches de Mars depuis 59.619 ans et nous ne le serons plus avant le 28 août 2287 (55.688.405 km). Mais lors du prochain « rendez-vous » synodique, le 13 Oct. 2020, la distance sera de 62,1 millions de km (le maximum étant la différence entre l’aphélie martien et le périhélie terrestre soit 99.630.843 km).

La raison de ces différences c’est que Mars parcourt une orbite beaucoup plus longue que celle de la Terre (normal puisqu’elle est plus éloignée du Soleil) et qu’elle le fait à des vitesses nettement différentes selon qu’elle s’approche ou s’éloigne du Soleil (max. 26,499 km/s et min 21,972 km/s) parce que son orbite est très excentrique (0,09341233). Autrement dit Mars est au plus près du Soleil (périhélie) à 206.644.545 et au plus loin (aphélie) à 249.228.730 km alors que la Terre a une orbite beaucoup plus circulaire (excentricité 0,01671022), avec des extrêmes de 149.597.887,5 km et 152.097.701 km. La vitesse de la Terre est plus grande (normal puisqu’elle est plus proche du Soleil) et avec des variations moindres en raison de cette faible excentricité (30,287 km/s et 29,291 km/s aux extrêmes).

NB: Sur le long terme il y a évolution. Les planètes appartiennent à un système et sont soumises à l’influence des autres composants de ce système, notamment celle des planètes géantes. Le grand axe de l’ellipse de l’orbite de Mars fait « le tour du cadran » en 135.000 ans et au cours de cette période, la forme de l’ellipse se déforme, l’excentricité se réduisant puis ré-augmentant, mais la longueur du trajet parcouru et la vitesse moyenne (24,077 km/s pour Mars) à laquelle elle l’est, restent les mêmes.

Le résultat de ces différences c’est que les planètes en parcourant leur orbite, « se rejoignent » en opposition après des durées différentes de leur propre année. L’année martienne est de 686,96 jours mais sa période synodale (le temps qui sépare deux positions identiques de Mars dans notre ciel terrestre), est de 779,96 jours, soit deux ans et 50 jours (presque 26 mois) car la planète est plus lente que la Terre. Nous la retrouvons donc à la fin de cette période synodale, un peu plus loin sur notre orbite que ne donnerait un déplacement de Mars à notre propre vitesse, soit la distance parcourue entre 779,96 et 686,96 jours à la vitesse de Mars. Et cette distance est variable puisque la « rencontre » va se faire à un endroit de l’orbite de Mars où cette dernière est en phase de ralentissement ou d’accélération. A cette « complication » il faut ajouter celle, plus légère, de la vitesse différente de la Terre et de sa distance différente (compte tenu de son excentricité, certes faible mais réelle). Pour faire « le tour du cadran » (aller de la position où les deux planètes sont au plus près, à celle où elles sont au plus loin puis au plus près), il faut environ 15 ans (de 15 à 17 ans) mais le retour n’assure pas la situation optimale. Le passage au plus près peut se faire alors que les planètes ne sont pas sur leur orbite à l’aphélie pour la Terre et au périhélie pour Mars, d’où les espaces de temps très longs entre rencontres optimales mentionnés dans le premier paragraphe.

Le résultat c’est aussi que, après avoir « dépassé » Mars sur sa voie quasiment parallèle, la Terre la laisse derrière elle et s’en éloigne de plus en plus. Le point symétrique de l’opposition, c’est la « conjonction » c’est-à-dire la position où Mars et la Terre se trouve sur une même ligne avec le Soleil mais avec le Soleil au milieu (le terme remonte à l’ancienne astronomie où l’on n’avait aucune notion de la distance des astres et où l’on pouvait penser que la planète rejoignait le Soleil et c’est bien ce qui se passe visuellement). Cette situation se retrouve au milieu de chaque période synodique ; il faut donc également 779,96 jours pour se retrouver d’une conjonction à la suivante. La particularité remarquable de cette situation pour l’époque astronautique dans laquelle nous entrons, c’est que pendant une quinzaine de jours les communications entre les planètes par ondes électromagnétiques sont impossibles du fait de l’obstacle que constitue le Soleil (elles ne le traversent évidemment pas !)*. L’autre particularité c’est qu’à ce moment là les deux planètes sont le plus éloignées qu’il est possible qu’elles soient au cours d’un cycle synodique (401.326.431 millions de km lorsque la Terre est à son périhélie alors que Mars est à son aphélie, actuellement, et seulement 201.144.731 millions lorsqu’elles seront toutes deux à leur périhélie de part et d’autre du Soleil).

*un jour sans doute, on positionnera des satellites « troyens » sur l’orbite de Mars d’une part ou de la Terre d’autre part, pour servir de relais…ce qui permettra les communications entre les deux planètes mais rallongera un peu la durée nécessaire aux échanges alors que cette durée est déjà maximum (22 minutes dans un seul sens).

Alors pour aller sur Mars, quelle distance faut-il parcourir ? Certains se contenteraient bien de 55 millions de km mais…c’est tout simplement impossible, sauf pour la lumière (qui n’a pas de masse) et la distance de conjonction (401 millions de km maximum aujourd’hui) ne sera même pas suffisante comme je vous le dirai plus tard. Mais considérons d’abord les 55 millions de km. Il faut bien voir que lorsque l’on quitte la Terre on est animé par la vitesse…de la Terre (quelques 30 km/s) et qu’on se déplace sur son orbite. Avec nos moyens technologiques (propulsion chimique), on peut espérer au mieux acquérir une vitesse supplémentaire initiale de quelques 3,5 km/s, après libération de l’attraction terrestre, vitesse qui nous permet de nous en éloigner tangentiellement et qui, de plus, se réduira petit à petit. Il nous faut d’abord sortir de la « sphère de Hill » de la Terre (le volume où l’attraction terrestre bien que faible reste dominante sur tout troisième corps, par rapport à celle du Soleil, de telle sorte qu’une satellisation autour de la Terre y est toujours possible) et on en sort (dans l’hypothèse des 3,5 km/s) avec une vitesse de l’ordre de 2,5 km/s. Ensuite on va aller doucement vers Mars en perdant sous l’influence gravitationnelle solaire, de plus en plus de vitesse. On arrive ainsi, péniblement, à proximité de Mars à une vitesse proche de celle-ci (une vingtaine de km/s).

Pour se déplacer dans l’espace, tout petits et faibles que nous sommes, il nous faut donc faire comme au judo, utiliser la force des « adversaires » (ces forces qui frontalement nous dominent) et d’abord profiter de la vitesse de la Terre et ensuite de la capture par la gravité martienne. Car il faut aussi ne pas aller trop vite en arrivant dans l’environnement de Mars, sinon il faudrait freiner donc dépenser de l’énergie, donc gaspiller de la masse et du volume. En arrivant plus ou moins à la vitesse de Mars, nous allons naturellement « tomber » sur Mars et ne devrons utiliser notre énergie que pour freiner notre chute, d’autant qu’à vitesse réduite on pourra bénéficier du freinage « naturel » et gratuit offert par son atmosphère (en le modulant en fonction de l’angle de pénétration choisi).

Alors, si on ne peut pas espérer se limiter aux 55 millions de km (et quelques!) de l’opposition, arrivera-t-on au voisinage de Mars à son point de conjonction par rapport à notre position de départ (départ tangentiel, arrivée tangentielle), après n’avoir parcouru au pire que 401 millions de km ? Certainement pas. Il faudra compter au moins une centaine de millions de km de plus car le Soleil est là et sa masse courbe les trajectoires du fait de la gravité qu’elle génère. On est obligé de subir cette contrainte en parcourant non pas une ligne droite mais un arc d’ellipse, plus ou moins long en fonction de la position respective de Mars par rapport à son périhélie et son aphélie…et par rapport à notre date de départ.

Il faut en effet penser à la date. Quand on part de la Terre vers Mars ou de Mars vers la Terre, il faut s’assurer que non seulement on rejoindra l’orbite de la planète de destination mais que la planète sera bien là quand on y arrivera et cette date essentielle, on la retrouve tous les 26 mois (encore la période synodale). On parle de « fenêtre de lancement » et inutile de rêver à des dates en dehors de ces fenêtres, les couts énergétiques et donc de masses utiles transportées, deviennent très vite tout à fait exorbitants et rédhibitoires. On ne peut pas « courir » après Mars ou la Terre en accélérant si nous l’avons « ratée » ; nous n’avons pas et n’aurons jamais la puissance nécessaire.

Jouer avec cette mécanique dont les paramètres variables sont très nombreux est une science, celle de l’astronautique, et elle est encore plus complexe à maîtriser que la science de la navigation car elle fait intervenir la dimension du Temps et celle de l’énergie disponible au départ, dans des conditions extérieures particulièrement hostiles. Aucune faute ne peut être pardonnée*.

*il y a bien, dans certains cas, possibilité d’une trajectoire dite « de libre retour » mais celle-ci n’est possible qu’à une certaine vitesse d’arrivée à hauteur de l’orbite de Mars donc d’une certaine vitesse impulsée au départ de la Terre (propulsion chimique)…C’est un autre sujet!

Image à la Une: trajectoire apparente de Mars dans le ciel de la Terre au cours de la période. Vous remarquerez la boucle de cette trajectoire. Elle est due à ce que la Terre se déplace plus vite que Mars dans le système solaire. Ici nous la rattrapons et la dépassons (elle est devant nous jusqu’à la boucle et nous la laissons derrière nous après).

NB: pour référence notre distance à Jupiter varie de 588,52 à 968,72 millions de km et notre distance à Vénus de 40,66 à 261,04 millions de km.

lecture: un exemple d’étude de trajectoires, « Interplanetary Mission Design Handbook (NASA 1998) : Earth-to-Mars Mission Opportunities and Mars-to-Earth Return Opportunities 2009–2024 »:

http://www.ltas-vis.ulg.ac.be/cmsms/uploads/File/InterplanetaryMissionDesignHandbook.pdf

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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