Toutes ces étoiles que vous voyez la nuit ne présentent que l’apparence de la simplicité et de la ressemblance. Les « étoiles-massives » sont, à côté des diverses « naines » déjà évoquées ainsi que des étoiles à neutrons ou des quasars, des entités à part. Leur différence ne vient, certes, que de leur masse et de la force de gravité qui s’y applique mais cela « change tout ».
Puisqu’au « début », pendant la plus grande partie des « âges sombres », l’Univers n’était que gaz mais de densité variable selon les dernières fluctuations du fond-diffus-cosmologique (« CMB »), il n’y avait dans l’Espace en expansion, ni étoiles, ni galaxies mais des nuages. La matière « solide » (non gazeuse) telle que nous la connaissons, ne commença à exister que lorsque les premiers d’entre eux commencèrent à s’effondrer sur eux-mêmes du fait de la force de gravité consubstantielle à toute masse…Et il en est toujours ainsi, même si la nature des étoiles a changé puisque leurs composants chimiques ne sont pas aujourd’hui tout à fait les mêmes qu’au début (elles produisent et intègrent de plus en plus d’éléments lourds). Les étoiles naissent toujours dans les nuages. Il suffit que ces derniers soient suffisamment volumineux et denses et qu’une perturbation quelconque vienne les déstabiliser. Il n’en manque pas dans l’Univers ! Mais tout ne se passe pas « n’importe comment ». La physique a ses lois ; elles se constatent et leurs applications se répètent indéfiniment avec la même logique.
Le processus d’instabilité gravitationnelle, dite « instabilité de Jeans », qui conduit à l’effondrement puis à la constitution d’un disque d’accrétion et enfin à un astre, a été décrit et expliqué par le physicien britannique du même nom en 1902. Il s’initie lorsque l’attraction gravitationnelle causée par une surdensité devient supérieure aux forces de pression qui ont tendance à s’opposer à cette surdensité. Il existe une masse critique (« masse de Jeans ») ou une dimension critique (« longueur de Jeans ») qui lorsqu’elles sont franchies, déclenchent un effet cumulatif et une accélération.
Une fois que le processus d’effondrement a commencé, un autre processus intervient pour conduire jusqu’à l’allumage de l’étoile, c’est celui de la conversion de l’énergie gravitationnelle en énergie thermique, jusqu’à initier la fusion « thermonucléaire » de l’hydrogène. Il faut un certain temps, dit « temps d’accrétion », qui augmente avec la masse, pour que la contraction produise tous ses effets (se termine) et un autre « certain temps » dit « temps de Kelvin-Helmholtz* », qui diminue avec la masse (plus elle est importante, plus l’effondrement et l’échauffement sont rapides), pour que l’énergie gravitationnelle de la contraction soit convertie en énergie thermique. Ces deux « certains temps » sont donc différents en fonction de la masse de l’étoile. Lorsque la masse est inférieure à 8 masses solaires, l’accrétion se termine avant le démarrage de la fusion. Au-delà, la fusion commence avant que l’accrétion se termine. On a donc un seuil (7 à 8 masses solaires) qui sépare les étoiles-naines de type solaire et les étoiles-massives.
*NB : Kelvin est le bien connu Lord Kelvin (mort en 1907), physicien britannique à l’origine de l’échelle de température thermodynamique partant du zéro absolu. Helmholz (mort en 1894) est le physicien prussien Hermann von Helmholz, notamment célèbre et honoré pour avoir associé les perceptions aux grandeurs physiques.
La fusion déclenche un mécanisme d’expulsion de la matière. En effet elle génère des radiations (qu’on peut se représenter comme une sorte de « vent ») qui gênent plutôt qu’elles n’empêchent (jusqu’à un certain point) la continuation de l’accrétion. On le constate dans les étoiles massives en formation qui n’ont plus autour d’elles un disque d’accrétion mais un tore (qui n’est plus plat mais cylindrique) ou même une coquille. Ce qui se passe c’est que la fusion une fois initiée projette un rayonnement d’UV qui détruit en partie les poussières non encore accrétées et se transforme du fait qu’il est freiné, en infrarouge qui bloque temporairement ou définitivement la suite de l’accrétion au centre (mais non l’accrétion autour de nodules, à l’intérieur du disque, du tore ou de la coquille). Le volume de ce qui reste de poussière et de gaz détermine l’importance du tore ou de la coquille qui sont soit à peu près digérés en fonction de leur volume, de leur densité, de leur composition physique et chimique, soit dominent le rayonnement selon les mêmes critères, et s’effondre à nouveau sur l’étoile naissante (beaucoup plus rare) pour la faire encore grossir. Le résultat est que l’accrétion au centre, contrariée, se poursuit quand même jusqu’à un maximum de masse. Les plus massives des étoiles-massives ne dépassent ainsi presque jamais une centaine de masses solaires* et apparemment l’accrétion par effondrement d’un nuage de gaz n’aboutit jamais directement à un trou noir (sans doute les matières accumulées au centre ne sont-elles pas assez « lourdes » et compactes et doivent-elles être auparavant compressées au centre d’une étoile). Au-delà de la constitution de l’étoile, il ne faut pas oublier que toute la matière qu’elle n’a pas absorbée mais qui a été centralisée dans son disque d’accrétion, va être utilisée à sa périphérie. Une part va donner des planètes mais très souvent une plus grosse part va donner au moins une autre étoile (les étoiles binaires sont très fréquentes dans l’Univers).
*théoriquement 150 mais il y a, comme toujours, des exceptions…avec le doute venant de ce qu’on puisse observer en fait des étoiles doubles.
La contrepartie de la masse, c’est la densité et la violence des réactions de fusion dans le cœur de l’étoile. Les étoiles massives ont de ce fait une vie courte et d’autant plus courte qu’elles sont plus massives. L’intérêt pour nous, êtres aujourd’hui vivants, puisque c’est de notre propre matière qu’il s’agit, c’est que la puissance de la fusion leur permet de transformer les éléments bien au-delà du carbone (« lourdeur » des éléments auxquels sont limitées les étoiles de moins de 8 masses solaires) et qu’elles enrichissent l’espace dans les « métaux » (tous les éléments au-delà du lithium) les plus lourds (fer et au-delà). L’apothéose de ces étoiles massives est un véritable feu d’artifice puisque lorsqu’elles ont constitué suffisamment de fer en leur cœur, elles implosent puis explosent (rebond de l’onde de choc) en supernova, au niveau des couches externes par rapport à leur noyau. Le souffle de la supernova va à son tour provoquer des perturbations dans les éventuels nuages de gaz proches, et ainsi de suite !
Il y a moins d’étoiles massives que d’étoiles naines, du fait précisément du démarrage de la fusion avant la fin de l’accrétion et de la gêne à la continuation de l’accrétion que cela constitue. Mais tout de même, le phénomène n’est pas exceptionnel. Nous en avons une dans notre entourage contemporain, la supergéante-rouge Bételgeuse. Elle est située à quelques 640 années-lumière (distance difficile à évaluer précisément), dans la constellation d’Orion (distance à comparer aux 100.000 années-lumière du diamètre de notre galaxie). 15 fois plus massive que le Soleil, elle pourrait exploser à tout moment alors qu’elle n’est âgée que d’une dizaine de millions d’années (notre Soleil âgé de 4,6 milliards d’années à une espérance de vie de 10 milliards d’années). Déjà boursouflée par l’âge (relativement à sa catégorie), son rayon la porterait dans notre système solaire tout près de Jupiter, au-delà de la Ceinture-d’astéroïdes. Si elle explosait ou plutôt quand elle explosera (puisque c’est une certitude), le danger sera pour nous très atténué par la distance. L’explosion s’accompagnera d’un cocktail très varié de radiations dures (« rayons cosmiques ») et moins dures (simples ondes lumineuses) mais heureusement trop éloignées pour mettre en danger la vie sur Terre. Il faudrait que l’astre se trouve à une cinquantaine d’années-lumière pour qu’il le fasse, ce n’est pas le cas de Bételgeuse et il n’y a pas de « candidat » à l’explosion à cette distance. Nous en subirons peut-être quand même quelques nuisances (la quantité et la force des radiations cosmiques pourraient perturber nos télécommunications, la couche d’ozone et donc sans doute un peu le climat). Ce sera un événement rare. Comme en témoigne les traces laissées (abondance de fer isotope 60 – fe60 – produit lors de ces événements) il y a eu seulement une vingtaine de supernovæ à moins de 1000 années-lumière de la Terre dans les 10 derniers millions d’années et nous ne nous sommes différencié des grands singes qu’il n’y a un peu plus de 7 millions d’années. La dernière observation en direct d’une supernova survenue dans notre galaxie, l’a été en 1604 (« SN1604 »), notamment par Kepler. Ce sera aussi un spectacle magnifique car la luminosité de l’astre atteindra celui du premier ou du dernier quartier de Lune (une « demi-lune ») et excédera celui de Vénus pendant plusieurs semaines (localement, à 640 années-lumière d’ici, sa luminosité sera celle de 10 milliards de soleils). A noter que SN1604 était beaucoup plus lointaine (sans doute environ 20.000 années-lumière) et qu’il y aura donc forcément avec elle une différence importante de luminosité. Actuellement Bételgeuse a un comportement bizarre. C’est l’une des étoiles les plus lumineuses dans le ciel mais récemment, en quelques semaines, son éclat est passé de la 9ème à la 20ème place (magnitude apparente -0,6 à 1,55 le 19 février). Il est normal que cet éclat fluctue car Bételgeuse est une « étoile variable » mais la baisse de luminosité constatée aujourd’hui ne l’a jamais été auparavant. Son éclat est-il atténué par le passage d’un nuage de poussière entre nous ou bien le « grand jour » est-il arrivé et cette baisse de luminosité est-elle celle de la contraction avant l’explosion ? Si c’était le cas, un flux de neutrinos et d’antineutrinos en seraient l’annonciateur quelques minutes avant que nous la voyons de nos yeux (NB : si elle se manifestait demain, elle se serait quand même produite en l’an de grâce 1380 compte tenu de la distance et de la finitude de la vitesse de la lumière !)…mais nous pouvons aussi bien attendre encore 10.000 ou même 100.000 ans, quelques-unes de nos minutes à l’échelle du temps de l’Univers !
Illustration de titre : Bételgeuse en janvier 2019 et en décembre 2019, le changement dans la luminosité et la forme sont évidents. Images de l’instrument SPHERE équipant le Very Large Telescope de l’ESO (Chili). Bételgeuse est une des rares étoiles dont l’image a pu être « résolue ». crédit ESO/Miguel Montargès et al. Miguel Montargès, chercheur à KU Leuven (Belgique) est un des spécialistes mondial actuel de l’étoile.
illustration ci-dessous: taille de Bételgeuse relativement aux astres de notre système solaire, vue d’artiste; crédit ESO/L. Calçada.
Liens:
https://www.pourlascience.fr/sd/astronomie/lenigmatique-formation-des-etoiles-massives-3523.php
limite de Jeans: https://fr.wikipedia.org/wiki/Instabilité_gravitationnelle
temps de Kelvin-Helmholz : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mécanisme_de_Kelvin-Helmholtz
https://trustmyscience.com/supernovas-proches-terre-risques/
https://www.youtube.com/watch?v=-p9tya1SqsY&feature=push-fr&attr_tag=Og4ITIeo945p3HBl%3A6
https://reves-d-espace.com/baisse-luminosite-betelgeuse-entretien-avec-miguel-montarges/
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3 Responses
Il y a 33 ans précisément en ces jours, le 23/24 février 1987, que la supernova SN1987A est apparue. Elle se trouvait à 157 à 168’000 années-lumière d’ici dans le Grand Nuage de Magellan. Mais le signal lumineux a été précédé d’une brève bouffée de neutrinos durant quelques secondes, environ 3 heures avant l’apparition visible du phénomène. Ce sera aussi le bref signal annonciateur de la supernova que sera un jour Bételgeuse. Comme elle ne se trouve qu’a 680 années-lumière, le flux de neutrinos sera beaucoup plus intense et on pourra en détecter plus que les 25 candidats enregistrés en 1987 ! En effet la majeure partie des quelque 10^55 protons qui la constituent se fusionneront avec autant d’électrons donnant autant de neutrons et de neutrinos. Ces derniers nous arriveront quasiment à la vitesse de la lumière, mais avant les photons issus de la réaction, ceux-ci devant se frayer un chemin dans la matière résiduelle avant de se libérer dans l’espace. Le neutrino est une particule étrange, d’une masse infime mais non nulle (elle serait sinon une particule dite de Majorana, c’est à dire la particule et son antiparticule sont une seule et même particule, comme le photon), ayant aussi un partenaire sous forme d’antineutrino, voyageant tous deux quasiment à la vitesse de la lumière, existant en probablement 3 familles, ayant la particularité de se convertir l’une en l’autre de façon cyclique, et pourvue aussi d’une hélicité, une chiralité, gauche pour le neutrino et droite pour son antiparticule, l’antineutrino ; de plus, fait inattendu, cette propriété n’est pas absolue, mais dépend de la vitesse de l’observateur qui, s’il peut la dépasser, voit exactement une hélicité opposée. Toute une astronomie du neutrino est encore à faire qui nous permettra aussi de « voir » encore plus loin que le fond CMB.
Merci cher Monsieur pour ce commentaire comme toujours pertinent et complémentaire.
Concernant la « capture » des neutrinos, je profite de l’occasion pour mentionner l’article que j’avais consacré à ce sujet le 10 novembre 2018.
L’observatoire IceCube dans l’Antarctique est une avancée importante vers cette nouvelle astronomie, évidemment passionnante puisque si nous parvenons à la maîtriser suffisamment, elle nous permettra d’accéder à l’Univers avant le CMB.
Merci, cher Monsieur !
Je viens de relire votre intéressant article très exhaustif sur les détecteurs de neutrinos et, par la même occasion, mon commentaire qui s’achevait par la citation d’un article d’Yves Sagnier qui garde encore toute son actualité sur le paradoxe des neutrinos : http://ysagnier.free.fr/science/helicite.htm.
Reprenant un point de mon commentaire ci-dessus, je dois corriger d’un facteur mille le nombre de fusions « proton + électron —> neutron + neutrino » à 10^58 lors de l’explosion d’une supernova, donnant une émission quasi instantanée d’autant de neutrinos qui emportent 99% de l’énergie de l’explosion. Avec ce chiffre on calcule que la Terre a reçu de la SN1987A un flux de l’ordre de 10^14 neutrinos par mètre carré, dont on a pu en détecter environ 25, la bouffée ayant duré tout juste 13 secondes. Pour l’étoile candidate Bételgeuse, qui est 262 fois plus proche de nous, le flux attendu sera 69’000 fois plus élevé, soit de l’ordre de 10^19 neutrinos par mètre carré. Nos futurs détecteurs (qui seront aussi certainement plus efficaces) en détecteront alors un nombre bien plus élevé, permettant alors d’obtenir un spectre d’énergie, ce qu’il n’est pas possible de faire avec seulement 25 événements. La durée de la bouffée permet aussi de se faire une idée du diamètre du cœur qui explose puisque les neutrinos sont émis simultanément dans un volume de quelques secondes-lumière de diamètre, correspondant précisément à la durée de la bouffée.