La mission russe « Luna-25 » a échoué ce 19 août 2023 et cet échec est décourageant. Il vient après une longue apathie sinon une série de « ratés » de ce pays dans le domaine des missions spatiales au-delà de l’orbite terrestre. Et l’on peut se demander si la Russie pourra jamais redevenir la nation pionnière dans la conquête spatiale en général, que l’URSS a été avant son implosion. Rappelons-nous : années 1950 (Spoutnik, 1957) ; années 1960 (1er atterrissage réussi sur la Lune, 1966 ; 1er atterrissage sur Vénus 1967) ; années 1970 (1ère station spatiale, Saliout, en 1971 ; 1er atterrissage sur Mars, 1972) ; années 1980 (station MIR en 1986).
Le vol précédent des Russes jusqu’à la surface de la Lune, « Luna-24 », datait de 1976 et leur dernier échec dans l’espace, la mission Phobos-Grunt (vers le satellite de Mars, Phobos) datait de Novembre 2011. Mais aucun succès depuis ! Ces simples dates soulignent l’importance de cette mission pour les Russes et de la question qu’elle posait. La Russie peut-elle retrouver sa puissance spatiale d’antan ou est-elle condamnée à vivre dans le souvenir de ses exploits passés ? Comment y répondre aujourd’hui autrement que par la négative ?
Il est vrai que la Russie, sur beaucoup de plans, n’est plus l’URSS. Le domaine spatial en particulier a beaucoup souffert du changement politique car, après 1991, l’Etat ne disposait plus, du tout, des mêmes moyens financiers que pendant les années 1960. Cela était particulièrement vrai pour ses scientifiques ou ses ingénieurs travaillant pour l’exploration spatiale. La plupart (nombre estimé à 3 sur 4) ont alors quitté le secteur pour simplement pouvoir survivre, ou bien ils se sont expatriés. Les rares qui restèrent à l’œuvre n’étaient pas forcément les meilleurs et n’avaient par ailleurs plus aucun moyen de développer quelque projet d’importance que ce soit. Outre l’argent, le savoir-faire et la mémoire avaient disparu. L’organisation elle-même avait été bouleversée, l’agence spatiale russe ayant été refondée dans l’esprit de libertarianisme prévalant à l’époque. En 1992, Boris Eltsine l’avait sortie du contrôle des militaires (MOM et VKP), pour créer une « agence spatiale » à l’image de la NASA, la RKA puis FKA. Mais cette libéralisation ne donna rien et la FKA devint officiellement l’« entreprise d’état » (avec un contrôle de l’Etat resserré), Roscosmos en 1999. On voit aujourd’hui qu’une entreprise n’est pas seulement un cadre, c’est aussi les personnes qui la dirigent et qu’elle emploie.
Le fiasco de Luna-25, confirme donc, 12 ans après Phobos Grunt (mentionnée ci-dessus), l’incapacité des Russes. Je rappelle que cette mission se termina très prématurément par l’impossibilité d’injecter le vaisseau spatial sur sa trajectoire interplanétaire vers Mars depuis son orbite de parking terrestre. Déjà un problème de calcul ! Il n’était plus resté aux Russes que la routine des mises sur orbite terrestre de satellites de communication avec des lanceurs Protons et de lancement de navettes « Soyouz » vers et au retour de la Station Spatiale Internationale (ISS). Ces derniers étaient effectués avec un vieux lanceur éprouvé depuis les premières années de la conquête spatiale (premier vol en 1967), portant le même nom de Soyouz, une sorte de 2CV de l’espace par sa rusticité et son efficacité.
Maintenant que la guerre froide est revenue, il n’est plus question de continuer la collaboration (en faisant abstraction de l’ISS elle-même où les Russes disposent du cœur même de l’ensemble, les six segments qui auraient dû constituer la station Mir-2 et qui sont indispensables/indissociables à/de l’ensemble, notamment le module Zvezda). Heureusement qu’une société américaine privée, SpaceX, est arrivée à la rescousse de la NASA pour fournir une alternative aux Soyouz avec leur Crew-Dragon lancée par Falcon 9 à partir de mai 2020 pour effectuer les transports d’équipage. On imagine mal que les Russes aient pu jouir d’un contrôle total sur l’ISS au début de la guerre en Ukraine ! Mais enfin cela ne s’est pas passé ainsi, et les Russes ne peuvent maintenant qu’en rêver.
Les Russes travaillaient sur Luna-25 depuis la fin des années 1990. La mission était vue comme une réplique de Luna 24, ce qu’elle n’est pas tout à fait. Elle devait bien, comme Luna 24, effectuer un prélèvement d’échantillon du sol lunaire mais cette fois, en l’examinant sur place avec quelques instruments embarqués, sans renvoyer d’échantillons sur Terre. En réalité il s’agissait d’un simple atterrisseur, engin léger (1,75 tonnes sèches dont 30 kg d’équipements scientifiques contre 1,88 tonnes pour Luna 24 mais ce dernier était complété par un étage de remontée en orbite et de retour sur Terre ce qui le portait à plus de 5 tonnes avec les ergols). Il était bien chargé d’une mission scientifique, forage jusqu’à 50 cm puis examen des prélèvements, mais l’objectif principal était vraiment de se poser « sans casse » sur la Lune et ensuite de montrer que l’atterrisseur pouvait toujours communiquer efficacement avec la Terre. En bref, il s’agissait pour les Russes de refaire le minimum de ce qu’ils avaient réussi en 1976 afin de pouvoir repartir sur une bonne base. Et ils ne l’ont pas fait !
Luna-25 était propulsée par un lanceur Soyouz 2.1b complété par un deuxième étage Fregat, alors que Luna-24 l’avait été par un lanceur lourd Proton-K (capacité de 22 tonnes en orbite basse), pour des raisons de différence de masses car le Soyouz n’avait pas la capacité suffisante à l’époque (le Fregat a une masse de 5,35 tonnes avec ses ergols et le Luna-25 de 1,75 tonnes – comme dit ci-dessus – avec ses 975 kg d’ergols). Le lanceur « moyen » Soyouz a évolué depuis 1976 (puisqu’il peut aujourd’hui mettre 9 tonnes en orbite basse) mais relativement peu ; on reste dans la même « famille ». Par ailleurs, les Soyouz (lanceur et vaisseau) sont en principe spécialisés dans les vols habités. Il n’y avait donc pas d’innovation technologique mais la mission elle-même ne l’exigeait pas.
A noter que cette mission est partie de la nouvelle base spatiale (cosmodrome) Vostochny en Extrême Orient russe, les Russes voulant de plus en plus ne dépendre que d’eux-mêmes et laissant tomber le cosmodrome historique de Baïkonour qui est maintenant au Kazakhstan. Leur accord avec les autorités Kazakhs a été renouvelé en 2004 jusqu’à 2050 mais à cette occasion les Kazakhs sont devenus plus exigeants et ont obtenu toutes sortes de concessions pour participer plus activement aux activités de lancement. On peut voir là l’expression du raidissement russe, constaté par ailleurs en matière de relations internationales. Maintenant cette précaution apparaît bien vaine.
L’arrivée de la sonde Luna 25 sur le sol lunaire était prévue le lundi 21 août après une mise sur une orbite de transfert de 100 km au-dessus de la Lune, réussie le 16 août. Elle devait passer ensuite sur une orbite de pré-atterrissage (« pre-landing ») descendant de 100 à seulement 18 km, avant de s’engager dans la descente terminale, rapide puisque verticale, jusqu’au sol lunaire.
Tout s’est arrêté à ce moment là, apparemment encore pour un problème de calcul. D’après Yura Prosti, chaîne de Telegram, bien informée, “a computational error led to the final engine firing to be 1.5 times longer than required and thus resulting in deorbiting and crash of the spacecraft on the Moon”. C’est plus qu’une maladresse ! A noter que les Indiens ont également une mission lunaire en cours. Leur fusée Chandrayaan 3 doit atterrir sur la Lune le mercredi 23 août. Les références indiennes actuelles ne sont pas bonnes (échec en 2019 avec Chandrayaan 2). Mais quelle honte ce serait pour les Russes s’ils réussissaient ! Rappelons déjà que les Chinois ont réussi cette même prouesse, l’atterrissage, en décembre 2020 avec leur mission Chang’e-5 qui comprenait, elle, un retour d’échantillons, également réussi.
D’autres missions étaient prévues avant l’échec : Luna-26 en 2027, Luna-27 en 2028 et Luna-28 à partir de 2030. Ensuite devait venir une mission habitée sur la Lune en vue de la construction, avec la Chine, d’une base habitable. Mais comment continuer dans ces conditions ? Pour paraphraser Shakespeare, « il y a vraiment quelque chose de pourri dans l’empire de Russie » et la Chine n’aura même pas besoin de leur aide !
Illustration de titre: la mission Luna 25 telle qu’elle aurait dû se dérouler. La perte de la sonde s’est produite lorsque la commande a été faite de passer de l’orbite 100 km d’altitude à l’orbite 18 km d’altitude, ainsi qu’indiqué dans l’image de droite. Crédit Roscosmos.
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15 réponses
Pierre, pensez vous que les chinois pourraient collaborer avec les russes, déjà pour répartir les coûts et avoir 1 base de lancements pour contrer USA?
Bien sûr les Chinois accepteront la collaboration des Russes. Mais avec cet échec, les Russes ont descendu une marche dans l’escalier des compétences. Ils sont aujourd’hui beaucoup moins crédibles que les Chinois comme puissance spatiale. Ce seront des auxiliaires des Chinois, un peu comme les Européens sont des auxiliaires des Américains.
Je trouve un peu surprenant que la Russie s’engage à nouveau dans l’espace vu les enjeux militaires et géopolitiques auxquels elle fait face en ce moment. A moins que ce ne soit une stratégie de Poutine pour galvaniser l’opinion publique russe autour de lui.
Par ailleurs les sanctions occidentales devaient mettre l’économie russe à genoux. Une économie à genoux ne se lance pas dans ce genre de projet. Donc soit ces sanctions sont inefficaces (c’est possible), soit le pouvoir préfère lancer des opérations de prestige plutôt que protéger sa population de l’inflation, du chômage et des pénuries.
Désolé si mon commentaire est un tout petit peu hors sujet, mais finalement pas tant que ça.
Dans un régime autoritaire, les décisions ne sont pas prises selon le même processus que dans un pays démocratique.
Par ailleurs, l’effet des sanctions économiques sur la Russie, venant du monde occidental, n’ont probablement que très peu d’effets puisque (1) la Chine, l’Inde et la plupart des pays en voie de développement ne les appliquent pas; (2) eux-mêmes sont très riches en matières premières, y compris dans le domaine énergétique. Les Russes continuent donc à bénéficier des produits manufacturés essentiels aussi bien que des matières premières, à des prix normaux.
A côté de cela l’effort de guerre coûte probablement très cher en forces vives (mobilisation des jeunes hommes et pertes en vie humaines) et doit perturber beaucoup l’économie mais on ne peut certainement pas parler de chômage ou de pénuries ni d’inflation incontrôlée.
Bonjour Pierre Brisson
Vraiment dommage pour les ingenieurs Russes qui doivent etre tres decus pour LUNA 25 :ce sont des scientifiques avant tout .
Pour nous le grand moment approche: ce serait prevu pour fin AOUT : je viens de m occuper d un patient qui habite juste a cote de Space X et qui assiste aux decollages! quelle chance !
Oui ce sera un magnifique spectacle. Apparemment le déluge fonctionne. On va voir bientôt, si la FAA donne son feu vert. J’ai préparé un article sur le sujet pour Samedi.
CHANDRAYAAN s est bien posee sur la lune: les Indiens se debrouillent bien!
La russie :echec
L Europe : c est tres simple il n y a rien !
Dommage vraiment dommage.
Pierre,
Je saisis l’actualité pour mentionner un sujet récurrent dans votre blog, que vous pourriez explorer un jour:
De possibles signes d’une cinquième force confirmés avec des muons au Fermilab.
http://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/physique-particules-possibles-signes-cinquieme-force-confirmes-muons-fermilab-70123/
….. cela fait des années que Futura suit la saga de l’énigmatique anomalie du moment magnétique des muons. Sous ces mots ésotériques se cachent des mesures d’une propriétés caractéristiques des muons, des particules chargées électriquement comme des électrons mais environ 200 fois plus lourdes qu’eux et qui se désintègrent très rapidement une fois qu’elles sont créées.
Etc….suite à lire et interview…
@M. de Reyff
Sujet hardu, s’il en est!
Pourriez vous le rendre un peu plus digeste pour les néophytes? 🙂
Merci
La question des « anomalies du muon » devient de plus en plus pressante, car les nouveautés parues le 10 août montrent que l’anomalie signalée ci-dessus a gagné en vraisemblance.
Concrètement dit, la valeur théorique attendue par le modèle standard serait de
0,001 165 918 10(43), le (43) étant l’imprécision sur les deux derniers chiffres.
L’avant-dernière meilleure valeur expérimentale était de
0,001 165 920 61(41) et la toute dernière est maintenant de
0,001 165 920 59(22).
La différence, sur les 3 deniers chiffres était de …251(59) et elle est maintenant de …249(48).
Je ne discute pas ici comment les (59) et (48) d’erreur sont calculés par la méthode dite de propagation des erreurs à partir des (43), (41) et (22).
Statistiquement, l’écart entre la valeur théorique et les deux dernières valeurs expérimentales est passée de 4,22 à 5,15 écarts-types, c-à-d. qu’elle devient plus que significative, elle s’impose ; il n’y a donc plus de doute, les deux valeurs (théorique et expérimentale) sont bel et bien différentes. On en doutait encore tant que les écarts-types étaient en dessous de 5 ; maintenant il n’y a plus de doute… sauf à envisager que la valeur théorique elle-même doive être révisée au cas où l’on n’aurait pas pris tous les bons paramètres pour la calculer. Mais cette dernière a déjà été affinées, et elle reste seulement dans cette imprécision de (43) qui ne pourrait que s’améliorer.
Il devient ainsi évident qu’il faut compléter le modèle standard pour rendre compte, entre autres, de cette anomalie du muon.
Voir aussi cet article paru la semaine passée dans Le Temps des sciences
https://www.letemps.ch/sciences/le-muon-cette-enigme-qui-pourrait-revolutionner-la-physique
On s’acharne à rechercher ce qu’il pouvait bien y avoir avant le Big Bang. Une autre question est plus proche de nous et sera peut-être solutionnée un jour: d’où surgissent ces particules qui semblent émerger du néant comme ces quarks et antiquarks dans le proton? Le gluon a-t-il un rôle dans cette apparition? Proviennent-ils d’un univers « parallèle » s’il en existe un? J’en reviens à mon abominable péché: la SF. On se posait la question de l’énorme quantité d’ergol que nécessiterait des voyages contrôlés vers les étoiles, y aurait-il une possibilité de créer de la matière à partir du « néant »? (Sauf à s’installer pour des millénaires sur un Borissov). Dès qu’on se tourne vers l’infiniment petit, nous prenons la mesure de nos impuissances et ignorances mais le Grec qui a imaginé le mythe d’Icare pensait-il qu’un jour les hommes voleraient réellement?
Je pense qu’il faut favoriser l’accès du plus grand nombre non seulement aux connaissances confirmées mais aussi aux réflexions sur les incertitudes. Cela crée un climat propre à attirer de l’argent vers la recherche, à diminuer le rejet que provoque la lenteur des découvertes, le mépris aveugle propre à certains politiciens qui préfèrent les autoroutes ou les immeubles de prestige, ce sentiment d’un luxe peu important que serait la science aux yeux de certains politiciens. Et la pédagogie n’est pas oeuvre facile.
La sonde indienne Chandrayaan-3 s’est posée près du pôle Sud lunaire, une première historique.
Chandrayaan-3 a réussi, bravo! Mais Ariane 6 où en est-elle? J’ai lu qu’il y aurait une conférence de presse à ce sujet en septembre. Donc en Europe l’espace est peu important, on prend du retard! Il faut démontrer l’importance de cette fusée: souder tous les pays participants, trouver de l’hélium 3 si le problème de la fusion se résout un jour, donner un sentiment de confiance aux Européens qui sont toujours diminués par les conséquences de la guerre mondiale. Il nous faut de l’énergie si on n’a pas de pétrole!
oui c est vrai que Ariane 6 prend un grand retard ce n est pas brillant d autant que cette fusee presente maintenant une image de retard technologique face a Space X :il vaudrait mieux tout miser a toute vitesse sur Ariane next. Tout cela coute tres cher et on se demande pourquoi l EUROPE grande puissance mondiale est incapable de faire mieux? ou passent les sous ?