La protection planétaire paraît être une nécessité dans les deux sens (« back contamination » et « forward contamination »). Elle doit cependant être raisonnable et adaptée aux exigences découlant de l’arrivée progressive des hommes sur Mars. Les spécialistes de cette discipline doivent bien en être conscients car elle ne peut constituer un obstacle à l’exploration. A défaut d’être réalistes, les règles seront tout simplement contournées. Il s’agit de construire et d’adapter en fonction des connaissances acquises les conditions d’une arrivée de l’Homme en toute sécurité planétaire, plutôt que d’imposer a priori des règlements radicaux inadaptés.
On constate que le sujet est largement absent de la description des projets tels que ceux d’Elon Musk (SpaceX), de Robert Zubrin (Mars Society) ou de Bas Lansdorp (Mars One). En fait les ingénieurs le dédaignent et les exobiologistes « ne pensent qu’à ça ». Ce sont les ingénieurs qui vont rendre possibles les missions habitées et les exobiologistes ne pourront pas empêcher de les réaliser sauf à instiller la peur chez le grand public sur lequel s’appuie les politiques qui in fine décideront / autoriseront les lancements. Si l’exploration de Mars par vols habités était abandonnée pour ce seul motif, ce serait extrêmement regrettable pour l’avenir de l’homme dans l’espace mais aussi pour le progrès de la connaissance (car l’étude de Mars sur le plan exobiologique, dans son présent et surtout dans son passé, ne pourra vraiment se poursuivre que si l’homme débarque sur Mars avec les moyens de recherche appropriés). Il faut donc trouver un moyen terme entre l’impatience des uns et les exigences des autres.
Le COSPAR (« Committee on Space Research », groupe scientifique international qui fait autorité en matière de protection planétaire) a proposé que soient déterminées à la surface de Mars des régions spéciales (« Martian Special Regions », « MSR ») qui comprendront tout territoire « within which terrestrial organisms are likely to replicate and those potentially harboring extant Martian Life ». Il veut en exclure toute présence humaine et recommande d’envoyer les missions habitées se poser sur les « Zone of Minimal Biologic Risks » (« ZMBR ») qui sont des zones « sans carbone organique » et sans eau liquide ! Ces propositions ont été retenues par la NASA et par l’ESA. C’est beaucoup trop demander car le carbone « organique » n’est pas automatiquement la vie (loin de là !) et encore moins la vie active. Cela est de plus totalement inacceptable pour les ingénieurs qui comptent sur l’eau martienne comme l’un des éléments essentiels à l’ISPP (« In Situ Propellant Production ») dont la mise en œuvre est à son tour essentielle à un transport de masses suffisantes pour établir une base sur Mars (et surtout permettre un retour sur Terre) et pour le fonctionnement de toute base (l’eau terrestre sera recyclable mais il y aura des pertes). C’est un peu plus acceptable pour les exobiologistes car l’étude à distance, par robots interposés commandés en direct, des « spots » de vie potentielle, pourrait s’accommoder d’une présence d’opérateurs humains dans le domaine martien qui respecterait ces zones d’exclusion.
Il faudrait, au contraire de ce qui est préconisé par le COSPAR, que le vol préparatoire à la première mission habitée (dans tous les projets, il en est prévu au moins un) choisisse de se poser sur la MSR prévue pour servir d’implantation à la future base et évalue le mieux possible la dangerosité biologique du lieu. Cela implique des prélèvements d’échantillons d’eau et de roches martiennes qui seront mis en culture en présence de réactifs significatifs. On pourrait aussi évidemment convenir que lors des missions habitées, les astronautes évitent de polluer la planète (à la différence par exemple de ce qui s’est passé sur la Lune…ou de ce qui se passe dans le film « Seul sur Mars »). Ce dernier principe ne devrait pas soulever d’objection pourvu qu’il n’implique pas des niveaux de stérilisation impossible à atteindre pour les équipements en contact avec l’extérieur.
Les puristes de la Protection planétaire pourraient considérer cette approche comme sacrilège car ils estimeront (1) que nous risquons de contaminer le milieu martien par des bactéries terriennes qui trouveront un milieu favorable à leur reproduction et qui ensuite pourront être transportées sur toute la surface du globe par les vents martiens et (2) que le risque de contamination des astronautes par le milieu martien ne sera pas totalement levé (difficulté d’évaluer les effets d’un pathogène potentiel que l’on ignore totalement). Je ne pense pas qu’il faille céder à leur pression. En effet (1) la totalité de la surface de Mars, très hostile à notre vie terrienne, ne saurait être contaminée facilement et immédiatement par des microbes terriens qui y seraient probablement très peu actifs ; (2) les microbes martiens putatifs devant forcément présenter des caractéristiques génétiques structurelles différentes des microbes terriens, l’on pourrait toujours les identifier, même après interactions avec des êtres vivants terriens ; (3) le temps de retour des astronautes sur Terre constituera une période de quarantaine suffisamment longue pour qu’on puisse éventuellement déceler des infections et décider de différer leur retour sur Terre. On peut, si cette extrémité s’avérait nécessaire, imaginer de les laisser en observation en orbite terrestre où ils pourraient être soignés dans un vaisseau plus vaste que celui de retour de Mars, « ERV », par exemple un vaisseau gonflable de type Bigelow ba-2100 « Olympus » de 2100 m3 pressurisé (pour le moment encore un concept) qui offre un volume habitable plus de deux fois celui de l’ISS. In fine, on pourrait même choisir de ne ramener sur Terre que les astronautes, en expédiant dans l’espace le vaisseau et les équipements ayant « touché » Mars. Les astronautes qui partiront devront être conscients de ce risque et l’accepter mais il n’y en aura que très peu qui, après avoir pesé le « pour » et le « contre », refuseront l’aventure.
Au XVIème siècle les conquistadors n’avaient aucune idée (et aucun intérêt) pour l’approche scientifique que nous avons adoptée depuis longtemps ni des technologies biochimiques que nous avons développées. Ce fut dramatique pour les populations américaines décimées par les maladies communes en Europe (variole, diphtérie, typhus, grippe, rougeole) et, dans une mesure beaucoup plus réduite, pour les populations européennes qui découvrirent ainsi la syphilis. Nous n’en sommes plus à ce niveau d’inconscience et d’incompétence, et une gestion prudente ne signifie pas que « faire quand même » veuille dire « faire n’importe quoi ».
Référence :
https://planetaryprotection.nasa.gov/file_download/95/Rummel.PPHumansHistory2015.pdf
Image à la Une: Photo provenant du film « The Martian » réalisé par Ridley Scott d’après le roman d’Andy Weir. Le héros joué par Matt Damon est ici en train de charger son rover pour le grand trek qui le conduira jusqu’à son vaisseau de retour sur Terre. Le film pas plus que le roman ne prennent en compte quelque précaution de protection planétaire que ce soit. C’est un des points sur lequel ils sont totalement invraisemblables.