La libération des photons de la matière, permise par l’Expansion et la Recombinaison*, ayant déterminé la Surface-de-dernière-diffusion*, l’Univers est devenu transparent 380.000 ans après le Big-Bang. Il restait cependant très dense et très chaud (3000K). Les atomes composant la matière (hydrogène, un peu d’hélium, traces de lithium) étant redevenus neutres, les photons pouvaient circuler librement mais aucun rayonnement ne pouvait en émaner. L’expansion continuait, la densité baissait, l’environnement se refroidissait (jusqu’à 300K après 400 millions d’années), mais la gravité restait à l’œuvre et des zones de densité de matière se confirmèrent et s’accentuèrent, jusqu’à ce que les premières galaxies allument leurs premières étoiles et par l’effet du rayonnement de ces dernières commencent à réioniser l’Univers.
*La Recombinaison est la généralisation, très rapide, de la formation d’atomes neutres, des protons, noyaux ionisés d’hydrogène (l’essentiel de la matière à l’époque), pouvant s’approprier un électron en raison de la baisse de densité et de chaleur de l’Univers.
*La Surface-de-dernière-diffusion, est aussi appelée Fond diffus cosmologique, « FDC », ou Cosmic Microwave Background, « CMB ».
On estime que la réionisation était généralisée vers 400 millions d’années après le Big-Bang (et 13,4 milliards d’années avant aujourd’hui) mais cette période est approximative car toutes les concentrations de matière à l’état gazeux n’ont pas donné d’étoiles en même temps. Les futures galaxies restèrent longtemps à l’état de protogalaxies, peu lumineuses car très pauvres en étoiles. Et la distance fait que leur observation est très difficile car l’expansion de l’Univers qui nous éloigne d’elles presqu’à la vitesse de la lumière, étire leur rayonnement vers des longueurs d’ondes beaucoup plus longues qu’à l’origine (nous voyons en infra-rouge l’ultra-violet de l’époque de l’émission).
Les toutes premières étoiles (dites de « population III »), par définition sans métal puisqu’elles n’en avaient pas formé, ont peut-être commencé à apparaître au cœur des Ages-sombres, seulement 200 millions d’années après le Big-Bang. La plupart très massives (100 à 1000 fois le Soleil), devaient avoir une vie très brève (2 à 5 millions d’années) mais elles ont contribué d’autant plus à la « montée en gamme » des éléments chimiques (vers les métaux) et c’est elles qui par leur rayonnement ont initié la Réionisation.
En mars 2016 on avait identifié une galaxie plus ancienne que les autres, « GN-z11 », le « z11 » exprimant qu’elle avait un redshift (décalage vers le rouge) de z = 11.09 (NB : le z du CMB est 1089) ce qui situait son émission à 13,39 milliards d’années et 410 millions d’années du Big-Bang (« GN » est une localisation sur la voute céleste, le « Champs profond de Hubble »). Le 10 avril 2022 une publication de Yuichi Harikane (Institute for Cosmic Ray Research, University of Tokyo) et al. dans The Astrophysical Journal, nous informe que deux nouvelles galaxies, encore plus lointaines que GN-z11, « HD1 » et « HD2 »* ont été identifiées dans cette période des Ages-sombres. HD1 se situe à un redshift de z 13,27, donc son émission a eu lieu il y a 13,47 milliards d’années, seulement 319 millions d’années après le Big-Bang. HD2, plus « jeune », est à environ z = 12,3 soit 355 millions d’années après le Big-Bang. A noter que si nous voulions remonter le temps à la vitesse de la lumière, nous mettrions 33,4 milliards d’années (de notre temps terrestre) pour les atteindre (« distance-propre ») en raison de l’expansion, accélérée, de l’Univers (NB : le CMB est à une distance-propre de 46 Milliards d’années-lumière).
*Le nom « HD » provient de « H-dropout Lyman-break selection », une méthode pour détecter ces galaxies à très haut redshift. Dans l’environnement de la raie d’hydrogène (H), leur spectre est brillant à une certaine longueur d’onde (> 912 Å), mais chute brusquement (Lyman break) à des longueurs d’onde inférieures. A noter qu’à ces très grandes distances, les raies du spectre électromagnétiques sont très fortement décalées vers le rouge.
Pour référence, les premiers quasars, galaxies composées d’une multitude d’étoiles dont se nourrit en leur centre un énorme trou noir, sont apparus nettement plus tard. Le plus ancien, « J0313-1806 », découvert en janvier 2021, se trouve à z=7,64 soit 13,11 milliards d’années-lumière et 690 millions après le Big-Bang.
Alors HD1 et HD2 sont-elles les premières galaxies ? Difficile à affirmer aujourd’hui mais elles ne le sont probablement pas ou du moins elles ont des « soeurs ». Ce qu’on peut dire c’est qu’il y a sans doute peu de protogalaxies ayant effectué leur transition vers la lumière avant z = 10 (500 millions d’années après le Big-Bang) et ce, de moins en moins au fur et à mesure que l’on remonte dans le temps. Yuichi Harikane fait l’hypothèse qu’il pourrait y en avoir jusqu’à z = 15 et même peut-être même jusqu’à z = 17 (pour vous situer dans le temps, voir l’illustration en fin d’article).
Autre approche qui par ailleurs induit une interrogation, ces galaxies ont pu être observées en raison de leur puissance extraordinaire en capacité de production d’étoiles (galaxies de type « Lyman-break », autrement appelées « starburst » c’est-à-dire « galaxies à flambées de formation d’étoiles »). Pour donner une idée de cette capacité, à masses égales, le nombre d’étoiles nouvelles par année pourrait atteindre une centaine alors que dans une galaxie ayant une activité « normale » il n’y en aurait pas plus d’une dizaine. En dépit de ces deux découvertes, la théorie reste de toute façon que les galaxies sont d’autant plus rares que l’on remonte dans le temps à partir de z = 10. La non-luminosité générale de la matière pendant les Ages-sombres reste et restera très probablement une réalité. Mais la très grande force de rayonnements de ces astres lumineux isolés interpellent. Autrement dit on ne comprend pas bien pourquoi certaines protogalaxies ont évolué différemment si rapidement des autres et pourquoi leurs rayonnement en UV est si fort. Est-ce seulement la masse particulièrement élevée de ces protogalaxies qui l’explique? Et si c’est le cas, pourquoi cette hétérogénéité et qu’elle est son rapport avec les anisotropies observées en surface du CMB? Cette relation est en fait probable mais elle mérite d’être analysée.
Comme maintenant en astronomie, le repérage et l’identification de HD1 et HD2 résulte de données recueillies par plusieurs observatoires : (1) l’Observatoire National Astronomique du Japon avec son télescope Subaru (au sommet du Mauna Kea, Hawaï), le plus grand qu’il possède (miroir primaire de 8,2 mètres, comme ceux du VLT) ; (2) l’Observatoire Européen Austral, ESO, avec son télescope VISTA (Visible and Infrared Survey Telescope for Astronomy), situé au Cerro Paranal (Chili), équipé d’un miroir primaire de 4,10 mètres, il opère, depuis 2009, dans le proche infrarouge ; (3) le UK Infrared Telescope (UKIRT) avec miroir de 3,8 mètres, au sommet du Mauna Kea ; (4) le télescope spatial infrarouge Spitzer de la NASA (avant qu’il ne devienne hors d’usage, fin 2019). La distance (redshift) a été confirmée par le grand réseau d’antennes millimétrique/submillimétrique de l’Atacama, ALMA, de l’ESO. Cela représente en tout 1200 heures d’observation et un nombre évidemment très supérieur d’heures d’analyse, de réflexion et de confrontations de points de vue.
Ceci dit, bien que nous puissions déduire ce qui s’est passé, nous ne pouvons voir encore qu’un petit morceau du tableau. Nous avons besoin de vérifier/confirmer la distance avec des instruments encore plus puissants et d’explorer d’autres régions du ciel (pour le moment les champs COSMOS pour HD1 et SXDS pour HD2 ne couvrent que 2,3 degrés carrés de la voute céleste). Les nouveaux télescopes spatiaux, James Webb Space Telescope, Nancy Grace Roman Space Telescope (qui doit être lancé par la NASA en 2027) et GREX-Plus (Galaxy Reionization Explorer and PLanetary Universe Spectrometer, telescope de l’iSAS*/JAXA qui doit être lancé dans les années 2030), nous permettront de mieux voir (avec spectromètres) dans ce vide obscur très lointain car ils seront situés hors de l’atmosphère terrestre qui gêne la collecte des rayonnements infrarouges, et bien entendu équipés de capteurs beaucoup plus performants que l’ancien Spitzer. Nous devrions alors pouvoir identifier de nombreux autres exemples de ces « HD » et disposer de beaucoup plus d’éléments pour comprendre leur comportement (contenu et conditions de formation). C’est important car cette sorte de no-man’s land entre le fond diffus cosmologique et le monde des quasars est évidement clef pour comprendre la suite de notre histoire. Cependant, sans attendre ces nouveaux équipements, il ne faut pas être injuste concernant l’existant. Malgré leurs insuffisances relatives (encore une fois l’objectif est difficile à atteindre), on peut se réjouir et s’émerveiller de ces fantastiques télescopes dont nous disposons aujourd’hui qui nous permettent déjà d’accéder aussi loin sur des signaux aussi faibles, tout ce dont on ne pouvait que rêver à la fin du siècle dernier.
*ISAS = Institute of Space and Astronautical Science – Japon
Illustration de titre : image de HD1, la galaxie la plus lointaine observée à ce jour (13.5 milliards d’années-lumière), créée à partir de données recueillies par le télescope VISTA. Crédit Harikane et al.
Illustration ci-dessous, chronologie de l’Univers : en haut, valeur du redshift donné par z ; en bas, âge en milliards d’années correspondant à ce décalage, en remontant vers le Big Bang. Crédit Harikane et al., Nasa, et P. Oesch/Yale.
Liens :
https://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-4357/ac53a9/pdf
https://arxiv.org/pdf/2201.00823.pdf
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_the_most_distant_astronomical_objects
https://www.ca-se-passe-la-haut.fr/2022/04/nouveau-record-de-distance-pour-une.html
https://www.sciencesetavenir.fr/espace/univers/on-a-vu-la-galaxie-des-debuts-de-l-univers_162763
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6 Responses
Une précision terminologique :
Le terme de « recombinaison », bien qu’utilisé partout, est de fait incorrect. Il s’agit d’une première combinaison entre noyaux (en grande majorité des protons) et électrons qui est sans précédent dans la cosmogonie. Ainsi il est aussi incorrect de dire que les atomes (principalement d’hydrogène) sont « redevenus » neutres, car ils ne l’ont jamais été précédemment. Par contre, il est juste de parler ensuite de réionisation de ces mêmes atomes neutres sous l’effet des UV issus des premières étoiles.
Vous avez tout à fait raison, Monsieur de Reyff. J’ai utilisé ce terme de « recombinaison » parce qu’il est communément employé mais vous faites bien de préciser. Dans le plasma antérieur à la « dernière diffusion » la densité était telle qu’il ne pouvait être question d’association proton/électron.
Pourquoi » recombinaison » est incorrect si l’état 0 est un état instable qui fait Big Bang ?
Parce qu’il n’y a jamais eu de combinaison avant. La matière était trop dense et trop chaude pour cela. Comme l’explique Christophe de Reyff, il y a eu, avant la libération de la lumière, une nucléosynthèse primordiale c’est à dire la constitution de noyaux à plusieurs protons ou neutrons mais pas de constitution d’atome neutre (noyau plus électron(s)) parce que ce n’était pas possible.
En effet, il y a des noyaux de deutérium, formés d’un proton et d’un neutron et aussi d’hélium, formés de deux neutrons et de deux protons, et aussi de lithium-7 bien avant la recombinaison, tous formés dans la nucléosynthèse primordiale débutée à l’âge de 2 minutes et achevée dans les 20 premières minutes de l’Univers.
La recombinaison des atomes plus lourds que l’hydrogène a commencé déjà après 18’000 ans pour l’ion hélium He++ qui forme son ion He+ et en 100’000 ans son atome neutre He°. Les recombinaisons ont lieu dans l’ordre décroissant des énergies d’ionisation. L’ion hydrogène H+ est le dernier à se neutraliser pour former l’atome neutre H° et ensuite le dihydrogène H2 qui est le gaz hydrogène.
Bien entendu, puisque dès la Recombinaison, on constate la présence de deutérium, d’hélium et de lithium en dehors des protons non associés à d’autres proton(s) ou neutron(s), il faut bien que cette association, au sein de « noyaux » ait pu se faire avant l’association avec les électrons, à l’intérieur du plasma primitif.
Merci pour ces précisions.