EXPLORATION SPATIALE - LE BLOG DE PIERRE BRISSON

Les étoiles Wolf-Rayet sont rares car elles meurent jeunes mais elles ont une vie extrêmement brillante et riche, laissant après elles en abondance les « métaux » dont nous sommes faits.

Les étoiles « massives » sont celles qui effectuent la nucléosynthèse la plus considérable et parmi elles les étoiles Wolf-Rayet (« WR ») sont les plus puissantes (lumineuses et chaudes) après les « LBV » (« étoiles variables lumineuses bleues », encore plus rares). Notre Soleil, une « naine-jaune », ne parvient qu’à fusionner l’hydrogène en hélium (marginalement un peu plus, vers le carbone) mais les étoiles massives, qui ont une masse supérieure à 8 masses solaires (« Ms »), conduisent beaucoup plus loin le processus de transformation, jusqu’au fer et au-delà, tous les éléments lourds.

Charles Wolf et Georges Rayet sont deux astronomes français du 19ème siècle qui en 1867, à l’Observatoire de Paris, ont découvert ces étoiles étranges présentant à l’aube de la spectrométrie un type de graphes tout à fait particulier. Depuis, ces étoiles portent leurs noms.

Depuis Angelo Secchi en 1866, on classe les étoiles selon leur spectre (l’image diffractée selon les longueurs d’onde qui la composent de la lumière qu’elles émettent). La classification selon le type spectral fut ensuite perfectionnée par Henry Draper (« HD ») médecin et astronome de New-York et ses héritiers, au début du XXème siècle. La classification « O,B,A,F,G,K,M » que l’une de ses continuatrices, Annie Jump Cannon, mit en place et qui est le cœur de celle d’aujourd’hui, est liée à une température et à une « couleur » allant du bleu au rouge en passant par le blanc et le jaune. Depuis, on a simplement ajouté un « W » devant le « O » pour les étoiles Wolf-Rayet et « L,T,Y » après le « M » pour les étoiles les plus froides. Les étoiles « O » ont une température de surface >25.000 K et les « M » une température de <3.500 K ; les « W » montent au-delà de 25.000 K, jusqu’à > 80.000 K (à peu près autant de degrés Celsius). Il faut bien voir qu’au cours de son histoire une étoile peut recevoir plusieurs « étiquettes » puisqu’elle évolue avec le temps, emportant au cours de ses différentes phases une masse initiale qui se réduit lentement, par dissipation dans l’espace de matière et d’énergie, sauf à la fin, brutale. C’est ainsi que dans le diagramme de Hertzsprung-Russel qui reprend la classification selon le type spectral en abscisse et la température absolue en ordonnée, on a au milieu comme une écharpe, ce qu’on appelle la « séquence principale », allant du rouge en bas à droite, au blanc en haut à gauche. Au-dessus de l’écharpe se déploient les géantes, supergéantes, hypergéantes et en-dessous, les naines blanches et les naines brunes (voir ci-dessous). Les WR sont tout en haut à gauche avec les plus chaudes et les plus lumineuses, après les LBV bien sûr mais les LBV, tout comme les « O », sont des phases précurseurs des WR, tout comme on sait que notre Soleil, au milieu de la séquence principale, terminera sa vie en géante-rouge (plus grosse que massive), plus haut dans le diagramme mais dans une branche de la séquence principale qui s’étend vers la droite, plus froide.

Plus les étoiles sont massives plus leur vie est courte. Cela va de quelques petits millions d’années pour une « hypergéante » ou une « supergéante » à une durée indéterminée (c’est-à-dire extrêmement longue) pour les moins massives, les « naines-brunes » (jusqu’à 0,08 Ms), en passant par quelques 9 milliards d’années pour les « naines-jaunes » (avec notre étoile, le Soleil, nous sommes juste « au milieu du chemin » après 4,567 milliards d’années). Les plus massives ne devraient pas dépasser, en principe, 100 Ms, limite théorique déterminée par Arthur Eddington. En effet le « réacteur de fusion » des étoiles s’allume dès que la densité de matière est suffisante même si l’accrétion n’est pas terminée et le « fonctionnement » du réacteur déclenche un vent radiatif qui tend à repousser la matière non encore accrétée en y ajoutant encore de la matière qui vient de l’étoile déjà formée. L’étoile massive proprement dite qui n’a pas pu accréter toute sa matière et qui dispose d’un « moteur » très puissant est donc entourée de nuées qui sont attirées par la gravitation et repoussées/enrichies par un vent solaire très dense et fort. Une telle étoile est un combat constant entre la force de gravitation qui tend à contracter la masse et la force de radiation qui tend à la défaire. Et les forces sont d’autant plus égales que l’étoile est massive. Donc plus elle est massive plus elle est instable. L’équilibre instable ou l’incertitude créés par cette situation, sans doute de courte durée (sur une échelle cosmique, bien entendu), fait que certaines étoiles peuvent dépasser la « limite d’Eddington ». On a observé quelques étoiles de 150 Ms et même une de 320 Ms. La difficulté d’accrétion et la faible durée expliquent leur rareté puisqu’elles ne peuvent s’accumuler en nombre au cours du temps. On estime à seulement un millier les étoiles WR sur les 200 milliards de notre Galaxie et à pas plus de 2% les étoiles massives dans notre Univers contemporain !

Plus la masse est importante, plus le creuset de fusion est puissant et se prolonge relativement à la vie de l’étoile. Plus le temps passe, plus les générations d’étoiles massives se succèdent, plus la matière brassée est riche et plus les planètes qui, entre autres astres, se partagent les miettes de leurs systèmes après leur mort, disposent d’une diversité chimique étendue. Les « choses » avancent lentement mais très sensiblement. Au point où nous en sommes l’hydrogène constitue toujours 90% de la matière de l’Univers (en nombre d’atomes) et l’hélium 9% presque comme au début de l’Univers. Cependant, en masse, l’hydrogène ne constitue plus que 75% de l’Univers car les éléments « nouveaux » créés dans les étoiles sont plus lourds et les plus lourds sont de plus en plus abondants*.  C’est pour cela qu’il y a quelques cinq milliards d’années (pour nous situer avant la naissance du Soleil) une planète tellurique comme la Terre n’aurait pas pu disposer des éléments dont nous (êtres vivants) sommes constitués ou plutôt des éléments les plus lourds dans une abondance telle qu’elle aurait permis notre existence. Dans « très longtemps » la proportion de ces mêmes éléments aura changé et les espèces vivantes qui existeront alors, si elles existent encore quelque part, utiliseront sans doute d’autres « cocktails » d’éléments puisque nous sommes le fruit de notre environnement et de notre évolution synchronisée avec cet environnement. Comme toujours lorsque l’on considère l’Univers, il faut bien voir que nous sommes situés non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps, à un moment fugace de son histoire. Ce qui s’est produit ne se reproduira pas « toujours » exactement de la même façon avec les mêmes éléments chimiques, briques des mêmes molécules (si un phénomène tel que la vie se reproduit ailleurs dans l’espace et le temps, ce qui n’est pas du tout prouvé). Les différences, tout à fait imperceptibles sur une vie humaine, s’accumuleront jusqu’à devenir visibles un jour lointain, et elles s’amplifieront toujours davantage, continument. « Avant », dans l’espace et le temps, notre vie n’aurait pas été possible, « après », elle sera sans doute profondément différente, si elle n’est pas de toute façon détruite par l’évolution.

* Au « début », il n’y avait que de l’hydrogène dans l’Univers et très vite après le big-bang et avant la surface-de-dernière-diffusion, un peu d’hélium (nucléosynthèse primordiale). A l’intérieur de la bulle de notre Héliosphère, les GCR (Galactic Cosmic Rays) sont composés à hauteur de 2% d’électrons et de 98% de noyaux atomiques. Sur ces 98%, 88% sont des protons (noyaux d’hydrogène), 10% des noyaux d’hélium et 2% des « HZE » noyaux d’éléments lourds, dits « métalliques » (au-dessus de l’hélium). Mais au coeur du Soleil, dans son noyau, là où se fait la fusion,déjà 65% de l’hydrogène a été converti en hélium.

Toutes les étoiles massives ne contribuent pas également à la création de nouveaux éléments lourds. Dans ce domaine les étoiles WR sont les « reines ». Leur spectre qui ne peut être pris que sur les nuages de matière rejetés en abondance, extrêmement lumineux, et non sur la surface de l’étoile qu’ils dissimulent (« raies d’émission » et non « d’absorption »), met en évidence, selon le degré de l’évolution, les raies de l’azote, du carbone ou de l’oxygène (« WN, WC, WO »). En effet c’est à ces éléments après l’hydrogène et l’hélium que s’applique la fusion. Et la masse d’une étoile WR est telle que la fusion se poursuit bien au-delà de ce que peuvent supporter les étoiles plus petites (les étoiles de type solaire s’arrêtent, en partant de l’hélium après que tout l’hydrogène soit consommé, en un peu de carbone, oxygène, néon). Ensuite, lorsqu’elle aura converti l’ensemble de son noyau en fer, l’étoile WR se transformera brutalement en supernova (implosion/explosion) ce qui sera l’occasion d’une nouvelle phase de nucléosynthèse, extrêmement brève mais productive, pour des éléments encore plus lourds que le fer, puis en étoile à neutrons ou en trou-noir, à moins que, insuffisamment massive, elle disparaisse corps et bien en disséminant la totalité de sa matière qui servira de nourriture aux autres astres qui se constitueront après elle. C’est la mort qui donne la vie.

De toute façon, durant toute sa courte vie, l’étoile WR aura alimenté l’espace environnant de sa matière périphérique expulsée en quantité énorme (une masse solaire tous les 30.000 ans, un milliard de fois plus que le Soleil) à grande vitesse par son vent radiatif. Ce vent assimilable évidemment à notre vent solaire (en moyenne 450 km/s) est nettement plus puissant (700 à 3500 km/s) et s’applique non seulement à la matière propre de l’étoile mais à ses enveloppes. L’explosion finale en supernova à quelques 20.000 km/s n’est que l’apothéose de ces éjections.

Les étoiles WR sont ainsi les interfaces entre les étoiles « normales », celles qui sont en-dessous d’elles dans le diagramme de Hertzsprung-Russel, les astres monstrueux que sont les étoiles à neutrons ou les trous-noirs et les nuages de poussière, présents partout dans les galaxies jeunes en attente de concentration et de vie nouvelle. L’Univers est loin d’être immobile, outre l’expansion accélérée qui l’entraîne et le dilate toujours plus, il est animé par toute une série de phénomènes ou intervient la gravité, des explosions, des concentrations, un brassage permanent de gaz et de matière, des fuites à des vitesses inimaginables (mais toujours limitées par celle de la lumière), des regroupements, des déchirements, des émissions de particules plus ou moins massives et de rayonnements (photons, rayons X ou gamma, neutrinos). Au jour le jour nous ne voyons rien que ce qui nous semble une « permanence ». Cette apparence n’est simplement qu’une question d’échelle de temps et de distance.

Illustration de titre : nébuleuse M1-67 entourant l’étoile WR 124, photo Hubble (NASA). L’étoile se trouve à 15.000 années-lumière de la Terre, son diamètre est de 6 années-lumière. La nébuleuse résulte de ses rejets de matière. Crédit image : Hubble Legacy Archive NASA, ESA ; processing et licence Judy Schmidt.

NB : Le fait que « nous devions la vie » aux étoiles WR pour la richesse de leur production d’éléments chimiques, n’exclut pas, bien entendu, que nous devions aussi la vie au Big-bang, précédé éventuellement d’autres éons, et aux étoiles « normales » qui ont enrichi aussi notre Univers en hélium et dans les éléments les moins lourds, tels que le carbone. Ce que je veux dire c’est que les étoiles WR ont été et sont toujours des contributeurs très importants à la complexification du monde et que sans cette complexification, la vie n’aurait pas pu (déjà) émerger de la matière.

Illustration ci-dessous, diagramme de Hertzsprung-Russel :

Lecture :

La splendeur des étoiles massives, par Laurent Drissen aux Presses Polytechniques Universitaires Romandes, « PPUR » (2019).

Lien :

http://www.astronomie-amateur.fr/Projets%20Spectro3%20WR.html

Joyeux Noël!

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8 Responses

  1. A propos des étoiles très massives auxquelles nous devons presque tous nos atomes, il est intéressant de rappeler les circonstances de la synthèse du carbone, l’isotope 12 du carbone, C-12, qui aurait pu être impossible. En effet, ce carbone est dû à la fusion de trois noyaux d’hélium, He-4. Une réaction à trois corps a une probabilité extrêmement faible de se produire, aussi y a-t-il nécessairement une première étape avec deux hélium He-4 qui donne le béryllium, le noyau Be-8 ; mais celui-ci est extrêmement instable, avec une vie de moins de 10^-16 seconde, car son niveau d’énergie est presque exactement le même que celui des 3 noyaux d’He-4. Rappelons que le principe de la fusion est que les éléments de plus en plus lourds sont de moins en moins riche en énergie que leur composants, la fusion libérant justement cette énergie sous forme de rayonnements, de neutrinos et d’électrons. Mais, dans le cas du Be-8, la différence est infime et ce noyau a une tendance énorme à se décomposer en ses trois He-4 d’origine. Comment donc passer à l’étape suivante qui est la réaction entre un troisième He-4 et le Be-8 pour former le C-12 ? L’astrophysicien Fred Hoyle a montrés en 1954 que le noyau C-12 possède parmi ses niveaux d’énergie possibles, dits niveaux excités, un niveau qui coïncide précisément avec le niveau du Be-8. Il s’établit alors une résonance permettant à la réaction de se produire, de fait une seule réaction sur 2420 mène au C-12 ! Les autres réactions sont la dissociation en 3 He-4, soit une marche-arrère. Cette réaction dite aussi processus « triple alpha » se trouve ainsi réalisable par une vraie coïncidence que l’on peut qualifier de « miraculeuse » (certains l’ont écrit), sans laquelle il n’y aurait tout simplement pas de carbone dans l’Univers. Ce fait est un des arguments du principe anthropique qui a déjà été présenté ici par M. Brisson.

    1. Merci Monsieur de Reyff de souligner les circonstances extraordinaires qui ont présidé et qui président encore à la formation du carbone. Ce qui est étonnant c’est que plusieurs processus dans l’Univers dont notre existence dépend absolument, ont résulté de situations extrêmement marginales, d’où évidemment la tentation de se laisser séduire par le principe anthropique!

    2. Correction : il s’agit évidement de DEUX noyaux d’He-4 qui forment le Be-8 qui est instable du fait que son niveau d’énergie est quasiment le même que celui des deux He-4 !

    3. @Ch. de Reyff : Que penser de cette hypothèse d’Arthur Clarke selon laquelle Jupiter disposerait d’un noyau central en carbone alors que, même très lourde, cette planète est encore vingt fois trop légère pour devenir ne serait-ce qu’une naine brune ? Je sais qu’Arthur Clarke est un auteur de science fiction mais c’est aussi un physicien.
      Je trouve que Jupiter mériterait un article de Monsieur Brisson.

      1. La commande est prise, Monsieur Louis!
        Ce que je peux déjà dire, quand même, c’est que le Soleil s’est formé avant Jupiter. Il s’est donc « servi d’abord » des éléments disponibles dans la nébuleuse protosolaire. Au moment où Jupiter s’est formé, il y avait déjà une organisation des différentes zones concentriques entourant notre étoile. La zone des éléments « lourds » qui a permis la formation des planètes telluriques est proche de celle de Jupiter et il est possible que cette géante gazeuse ait dans son coeur des éléments « solides » communs avec ces planètes telluriques. La différence essentielle entre les planètes telluriques et les planètes « gazeuses » est que ces dernières se sont formées au-delà de la « limite de glace » du système, c’est à dire à une distance telle du jeune Soleil que son irradiance n’a pas pu dissiper les éléments légers (les gaz, l’eau). NB: la limite de glace de notre système se situe au milieu de la Ceinture d’astérïdes qui est la structure qui précède Jupiter dans le système quand on s’éloigne du Soleil. Toutes les planètes « en-dessous » sont des planètes telluriques.
        Je pourrais continuer sur ce raisonnement en lançant l’hypothèse qu’une naine brune est différente d’une géante gazeuse parce qu’elle constitue le coeur de son nuage protostellaire alors qu’une géante gazeuse se forme en périphérie de ce coeur. Cela pourrait expliquer la différence de composition.

      2. Que je sache, le carbone présent sur Jupiter l’est sous forme de méthane (0,3%) et d’éthane (6 ppm). Jupiter devrait être 75 fois plus massive pour permettre la fusion de l’hydrogène par confinement gravitationnel. On sait par contre que Jupiter rayonne autant sinon plus d’énergie qu’il en reçoit du Soleil (50,5 W/m^2, soit 27 fois moins que la Terre, 1360 W/m^2). Cela est dû à son lent effondrement sur lui-même de 2 cm par an (!) actuellement, transformant son énergie gravitationnel potentielle en énergie cinétique, donc en chaleur par l’effet dit mécanisme de Kelvin-Helmholtz. Ainsi Jupiter était « au début » (il y a plus de 3 milliards d’années) deux fois plus gros qu’aujourd’hui. Mais sans doute que M. Brisson nous en dira plus dans une prochaine chronique…

        1. Bien d’accord avec Monsieur de Reyff pour dire que Jupiter n’a pas la masse suffisante pour générer des réactions de fusion en son noyau. Les naines brunes, beaucoup plus massives que Jupiter, peuvent générer du deutérium mais certainement pas du carbonne (c’est à la limite ce que pourra faire notre Soleil en toute fin de vie). A l’intérieur de Jupiter il ne peut y avoir que des réactions chimiques (donc entre atomes ou molécules)*, qui dépendent évidemment des éléments chimiques en présence (et des conditions de pression et de température), qui dépendent donc de la richesse de l’environnement de la nébuleuse protoplanétaire en ces éléments.
          *outre la désintégration naturelle des éléments radioactifs

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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