La théorie de la cosmologie-cyclique-conforme, « CCC », a été mise à l’honneur récemment par l’attribution du Prix Nobel de physique 2020 à son concepteur, Roger Penrose. Elle entrouvre de façon innovante et spectaculaire une fenêtre sur les univers qui auraient pu exister avant le nôtre et ceux qui pourraient exister après. Elle propose des réponses séduisantes à certaines questions qui se posent pour la compréhension de l’univers présent mais, outre qu’elle reporte à toujours plus loin les réponses aux questions sur notre Origine et notre Fin, elle n’est pas (encore) validée par l’observation.
L’hypothèse de la CCC suppose que toutes les particules possédant une masse, les fermions (c’est-à-dire notamment les protons et les électrons), finissent, sur la durée, par disparaitre de l’Univers où nous nous trouvons (en en ayant épuisé les possibilités d’entropie), transformées en pur rayonnement. Cela inclut l’évaporation de toute masse de cet univers y compris leurs ultimes concentrations, c’est-à-dire les trous noirs supermassifs après qu’ils auront englouti toute matière qui se trouve et se trouvera dans leur sphère d’influence gravitationnelle. Cela inclut aussi, par auto-désintégration, les particules dotées d’une masse subsistant en dehors des trous noirs, c’est-à-dire celles qui auraient été trop éloignées pour être absorbées par les trous noirs ou s’annihiler entre elles (problème des électrons).
On peut comparer cet aboutissement à un certain épuisement au bout d’une très longue vie, cet épuisement étant dû au temps et à l’expansion (l’étirement de l’espace), en quelque sorte à la fois à la victoire temporaire de l’expansion sur la gravité qui ne disparait pas mais qui n’a plus d’objet, et au parachèvement de l’entropie.
C’est en effet sur l’évolution de l’entropie jusqu’à son terme et sur une contradiction qui apparait entre le niveau de cette entropie aujourd’hui en regardant vers le passé jusqu’au Big-bang, que repose le raisonnement de Roger Penrose.
Il est maintenant bien établi dans la communauté des cosmologues que nous allons vers toujours plus d’entropie et ce dans un sens immuable (application du second principe de thermodynamique). Cela implique qu’en regardant vers le passé, on devrait constater symétriquement une entropie de plus en plus basse, jusqu’à une entropie nulle au moment du Big-bang. Or la diversification de la matière dès le début de l’Univers observable (à la surface de dernière diffusion, « CMB ») montre une complexité certes faible mais déjà apparente, porteuse de la complexification (entropie) toujours croissante, en fonction de l’activation des forces de gravitation, que l’on constate ensuite (du fait même que l’expansion permet cette activation en désagrégeant la masse compacte initiale).
De « l’autre côté », à l’autre bout du processus, cette entropie croissante toujours portée par l’expansion, conduit au bout d’une durée tendant vers l’infini, à une époque très lointaine (au-delà des 1010^76 ans qu’aurait calculé Freeman Dyson) où toute matière sera refroidie à tel point que les derniers trous noirs supermassifs l’ayant rassemblée, paraîtront plus chauds que leur environnement. Dans cet environnement où les trous noirs seront les derniers astres (puisque leur force d’attraction est la plus forte), l’évaporation de Hawking (théorisée par Stephen Hawking et constituée de photons) qui en provient, s’accélérera jusqu’à ce qu’ils explosent et disséminent la totalité de l’énergie dont ils étaient porteurs dans un espace tellement distendu qu’ils ne pourront plus se reconcentrer.
Ce que théorise Roger Penrose pour expliquer la présence d’entropie dans l’univers primordial c’est que tous les constituants de l’univers précédant ne se désintègrent pas. Ce sont les fermions (neutrons, protons, électrons) qui subissent l’usure du temps. Les bosons, sans dimensions mais qui déterminent les champs, subsistent, passant d’un univers à l’autre ou plutôt selon la terminologie de Penrose, d’un « éon » d’univers à l’autre, de même que la « géométrie conforme » qui structure le tout (elle conserve les angles non les distances) et la force gravitationnelle, devenue sans objet puisque les fermions se sont évaporés dans des ensembles distendus à l’extrême.
Ce qui subsiste se reconcentre (selon un « redimensionnement conforme »*) en une nouvelle origine, extraordinairement dense (en fait un nouveau mais unique trou noir), réutilisant la potentialité de la matière évanouie, et animé d’une force d’expansion extrêmement puissante résultant du résidu de force gravitationnelle du précédent éon (ce qui expliquerait la densité primordiale et l’accélération de l’expansion « dans l’œuf » du nouvel éon et qui dispenserait de recourir à l’énergie sombre). Du fait de son extrême densité, cette matière explose alors**, lors d’un nouveau big-bang, en un nouvel éon chargé dès le début du résidu d’entropie de son prédécesseur.
*en fait selon Roger Penrose il n’y a pas à proprement parler « contraction » mais « changement d’échelle », les « structures-conformes » pouvant être vues comme une famille de structure métriques équivalentes l’une à l’autre via ce changement d’échelle. Pour un espace-temps, la structure conforme est sa structure de cône de lumière (« light cone » ou « sablier » si vous préfèrez).
**mais selon Roger Penrose, l’explosion n’implique pas de phase d’inflation (phase d’expansion exponentielle) avant de parvenir à la surface de dernière diffusion (CMB) comme prévu par l’actuelle théorie standard de la cosmologie.
Compte tenu de la conformité de la géométrie de cet éon avec celle de son prédécesseur il devrait subsister en lui, ou à sa surface pour l’observateur que nous sommes, la trace des derniers grands événements intervenus dans le précédent, c’est-à-dire la trace des derniers trous noirs supermassifs avant leur évaporation. Retrouver à la Surface de Dernière Diffusion (CMB) de telles traces, serait une preuve tangible de la théorie. Roger Penrose et ceux qui la partagent, pensaient avoir identifié dans les données collectées par l’observatoire spatial WMAP de la NASA, certaines structures (cercles concentriques d’anomalies de température) en surface de ce CMB (nommés « points de Hawking ») témoignages de l’évaporation de trous-noirs massifs qui répondaient aux caractéristiques attendues. Mais ces traces à la limite de nos capacités d’observation, ont été d’abord contestées et ensuite n’ont pas été confirmées par le télescope spatial Planck, suivant WMAP et beaucoup plus puissant.
La communauté des cosmologues attend donc des preuves des astronomes et la CCC restera simplement une théorie jusqu’à ce qu’on les trouve.
Mais arrêtons-nous un instant, pour l’esthétique, sur cette image grandiose et impressionnante de l’ancien monde à bout de souffle, notre univers dans son très lointain futur. Il fait sombre puisqu’aucun astre ne brille plus dans l’espace étiré asymptotiquement vers l’infini. Les photons provenant du passé eux-mêmes, dont les longueurs d’onde se sont considérablement allongées, ne sont plus lumineux depuis bien longtemps et presque complètement froids. Espacé par des milliards d’années-lumière, de gigantesques trous noirs luisent faiblement de leur rayonnement de Hawking (en photons). Il fait froid, de plus en plus froid, à un point tel que, par différence, ces trous noirs, derniers refuges et destructeurs de la matière, sont devenus relativement chauds et s’évaporent de plus en plus vite jusqu’à exploser et se disperser en diffusant d’énormes ondes gravitationnelles. Bientôt, en dehors des photons, il ne reste plus qu’un squelette des autres bosons de ce qui fut notre Univers, totalement décharné et étiré sur des distances incommensurables. Ce squelette épuré mais toujours porteur de la géométrie conforme de son passé, se contracte par « transformation conforme » sans difficulté aucune et presque jusqu’à l’infiniment petit puisqu’il n’est plus contraint par la matière. Nous sommes au moment du « passage » (« crossover ») à l’aube d’une nouvelle ère (ou dans le vocabulaire de Roger Penrose, d’un nouvel éon) dans laquelle tout redeviendra à nouveau possible grâce à la survivance « au-delà du miroir », des bosons et de l’énergie qui ont survécu au précédent éon.
Si cette thèse était confirmée, on se trouverait devoir accepter un processus de création, d’évolution puis d’effondrement et de renouveau, qu’on pourrait qualifier d’ondulatoire, toujours orienté (un présent permettant un futur et suivant un passé), constitué d’une succession de naissances et de morts, apparemment sans fin mais aussi sans début…A moins qu’un jour on puisse démontrer la possibilité d’une évolution de cette sinusoïde (par exemple par une accélération de plus en plus forte de l’expansion au fil des éons successifs). Cela ne permet évidemment pas de résoudre le problème de l’Origine et de la Fin ; pas plus que l’existence présumée de Shiva-dansant, détruisant et recréant l’Univers dans une éternité apparente ne résout le problème de sa propre naissance ou celui de l’éventualité de sa mort.
Merci Monsieur Penrose pour cette proposition éblouissante et cette espérance !
Illustration de titre : à gauche la succession des éons représentée de façon classique ; à droite la même succession selon la géométrie conforme ; les distorsions causées par une vision purement métrique de l’Univers sont effacées.
NB : n’étant pas physicien et la théorie de Roger Penrose étant difficile à maitriser pour un « non-initié », je laisse mes lecteurs spécialistes apporter leur contribution pour sa meilleure compréhension, notamment en ce qui concerne le « passage » d’un éon à l’autre.
Lecture:
The basic ideas of Conformal Cyclic Cosmology, par Roger Penrose, AIP Conference Proceedings 1446, 233 (2012); https://doi.org/10.1063/1.4727997, publié le 21/06/2012
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cosmologie_cyclique_conforme
Illustrations de la CCC :
Présentation par Jean-Pierre Luminet :
https://www.youtube.com/watch?v=VosO8MrEie8
Articles de Futura Science :
Article de Forbes :
Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :
29 Responses
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »
(attribuée à Lavoisier, est inspirée du philosophe grec présocratique Anaxagore).
Il y a des visionnaires, dont on peut se demander quelle divinité les inspire!
A noter que Lavoisier était dans l’erreur dans le contexte où il a émis cette maxime. Il pensait en effet qu’en chimie rien de MATERIEL (masses) ne se perdait ni ne se créait dans le cours de réactions, mais juste se transformait. Or on sait aujourd’hui que c’est faux, même si c’est très difficile à mettre en évidence en chimie. Dans toutes transformation une partie de la masse se « perd » en fait et est transformée en énergie selon la relation d’Einstein. Mais les énergies en jeu sont tellement faibles en chimie que le « défaut de masse » est, comme indiqué plus haut, quasiment impossible à mesurer. Il en va autrement dans les réactions nucléaires où ce défaut de masse est tout-à-fait mesurable.
« Dans toutes transformation une partie de la masse se “perd” en fait et est transformée en énergie selon la relation d’Einstein. »
Ne suis pas aussi calé que vous, cher Pierre-André, mais de l’énergie n’est pas une perte, encore moins en ces temps gloutons, non?
Il faut LIRE les commentaires avant de les critiquer! J’ai bien précisé, et en majuscules encore (faudrait-il l’écrire en rouge, mais comment faire sur un blog 🙂 ), que Lavoisier faisait allusion à l’aspect matériel, c’est-à-dire la masse, qui serait conservée. En quoi il avait doublement tort, non seulement elle ne l’est pas, même dans les réactions chimiques, mais si elle l’était il y aurait alors création « ex nihilo » d’énergie ce qui contredirait le fait que rien ne se crée! Double erreur donc.
Votre commentaire me surprend. Il n’y a aucune perte de masse dans les réactions chimiques. L’énergie libérée dans certaines réactions ne provient que du changement de niveau de l’électron qui émet un photon plus ou moins énergétique. Qu’adviendrait-il dans un réaction endothermique? Une augmentation de la masse? Non. Seules les réactions concernant le noyau aboutissent à des pertes/gain de masse. Les réactions chimiques ne concernent pas le noyau.
Non ! L’ordre de grandeur du défaut de masse, par exemple, pour une réaction chimique exothermique, est bien de l’ordre de 0,1 ppb.
Voyez ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/E=mc2#Domaine_moléculaire_et_atomique
Pour compléter ce qu’écrit Christophe, ce processus est valable pour toute modification de l’énergie potentielle : Donc si vous prenez l’ascenseur et montez de 20 mètres, votre masse s’est accrue d’un pouillième, tellement petit qu’il n’est pas mesurable, mais pourtant bien réel. Pareil pour une casserole qui vous chauffez et qui voit donc sa masse accrue.
Nous vivons peut-être dans une simulation. J’en suis venue à admettre cette possibilité parce que nous avons tous un blocage pour comprendre ce qu’il y avait avant le commencement du commencement du commencement etc…
On peut imaginer un éternel recommencement où tout sera détruit et repartira sur des bases nouvelles … ça ne nous concerne pas vraiment …
Toujours 90% de l’énergie ou matière nous sont encore inconnus, alors les théories pourront encore changer…
Certes beaucoup de choses nous restent inconnues mais on fait quoi? On attend que tout soit connu pour en parler?
Vous ne vous sentez peut-être pas concerné par un recommencement; moi, si. Il ne m’est pas indifférent qu’un autre univers succède au nôtre ou que TOUT s’arrête à jamais. Je préfère l’alternative même si évidemment je ne serai pas là pour la voir ni en être conscient.
Ça n’explique quand même pas qu’il a fallu une première fois à tout ce bazar pour exister. Comment expliquer cela si vous êtes bloqué sur le faites que ça ne fait qu’une boucle ?
Je ne crois pas que j’ai décrit une boucle mais plutôt une succession. A chaque « passage », il n’y a pas recommencement à l’identique mais renouveau (si l’on cherche des vestiges de l’ancien éon à la surface du fonds diffus cosmologique c’est qu’on pense qu’il subsiste quelque chose de l’ancien).
Mais je reconnais que cela ne résout pas le problème de l’origine. Vous m’avez peut-être mal lu; dès le premier paragraphe j’écris: « la théorie reporte à toujours plus loin les réponses aux questions sur notre Origine et notre Fin ».
Ceci dit j’admire les gens qui s’efforcent de donner une explication au monde plutôt que de ne rien faire ou de se contenter de ce qu’on leur a toujours appris s’ils ne sont pas convaincus. C’est avec l’esprit critique, les compétences, la réflexion et le travail que progresse la Science. La proposition de Roger Penrose est à mon avis très séduisante même si elle n’est pas prouvée par l’observation et même si elle doit être corrigée ou démentie un jour.
Je me suis peut être mal exprimé. Je suis intéressé par l’idée qu’un univers succède à un autre jusqu’à sa disparition complète à un moment donné par une série de « renouveau » avec un peut de perte à chaque fois. Finalement cette théorie a du sens et ça ne parait pas si incroyable et j’admire les recherches et découvertes déjà effectuées.
Je fais partis de ces gens justement qui se lève le matin et qui se pose ce genre de questions. Mais j’ai un problème de fond qui m’intéresse encore plus et qui m’empêche d’être satisfait.
C’est qu’avec ce genre de théorie, elles sont élégantes jusqu’à qu’elle n’ait plus de sens du tout à cause de la question de l’origine. Qui a défaut d’avoir une explication est plus souvent ignorée ou mise de côté en se disant « pour l’origine on sais pas on verra plus tard » Alors que pour moi, tout repose sur ça et peut importe ce qui se passe après l’origine puisque si on n’a pas l’explication de l’origine tout ce qui suit ensuite ne peut pas être validé complètement.
Je sais qu’ont est allé assez loin dans le passé peu après le bigbang et si cette théorie est convaincante, s’avère juste, elle nous ramènerait à l’univers précédant ce qui empêcherait totalement la science de remonter aux origines et par essence nous ne pourrions jamais savoir pourquoi quelque chose existe plutôt que rien.
Je sais pas si je me fait bien comprendre mais ma question c’est:
Au bout d’un moment est que c’est de la science ? De la philosophie ? De la religion ? Pourrai ton ne jamais savoir qui ou quoi à créé tout ceci ?
Si ont part du principe que chaque événements à forcément une cause c’est à ce moment là que ma tête ne suit plus et ne peut pas « valider » une théorie qui repose sur la succession d’une chose qui n’a pas de point de départ.
C’est comme essayer de savoir comment fonctionne quelque chose sans trop essayer de savoir ce que c’est ni d’où ça peut venir. On peut apprendre plein de choses mais es essentiel si l’on est finalement condamné à ne jamais pourvoir savoir d’où ça peut venir ou comment cette chose existe ?
Très bon article sinon.
Merci de vos explications sur votre commentaire et la re-formulation de votre question.
Je ne peux pas répondre à votre question sur l’Origine et en fait personne ne peut.
Les religions affirment une solution mais elle n’est absolument pas démontrée. C’est la différence avec la Science qui elle n’avance que sur une démonstration et des preuves. Donc il faut se contenter de ce que l’on sait et tenter d’en savoir davantage, sans être assuré qu’un jour on saura TOUT.
Mais savoir plus est déjà une grande satisfaction. Cela étend davantage le volume de son propre « cône de lumière » dans l’infinité du temps et de l’espace.
Consolons-nous de ne pas savoir les rapports qui peuvent être entre une araignée et l’anneau de Saturne, et continuons à examiner ce qui est à notre portée.
Voltaire
C’est votre point de vue…et celui de Voltaire mais ce grand-homme n’a pas écrit que des choses intelligentes. Une autre de ses erreurs de jugement a donné sa fameuse réflexion sur les arpents de neige du Canada (que j’oppose volontiers à ceux qui disent que les déserts martiens n’ont aucun intérêt).
Mais au delà du côté spirituel de la réflexion (évidemment, Voltaire!), vous exprimez une opinion courante et qui hélas gagne du terrain, selon laquelle on devrait tous regarder le sol de notre planète et ne rien penser ni entreprendre qui ne la concerne. Ce repliement sur soi et l’attention démesurée portée à nos petits intérêts végétatifs me déplaisent profondément et j’espère que dans la population terrienne dans son ensemble subsistera toujours une forte composante qui sera passionnée par les étoiles…et l’Univers.
Cette vision qui ramène l’univers à une géométrie éternellement en proie aux pulsations fait de nous, le temps de l’envisager un observateur omniscient, qui assiste à l’écart dans un coin tranquille du contenant de cet univers, à son perpétuel devenir au gré du hasard redistributif, et ce dans un sur-temps implicite. Cette extraction obligées qui est le fait de la pensée procède en définitive à l’extraction du temps propre de l’observateur : on transpose notre bulle d’observation temporelle dans un hypothétique sur-espace d’où on observe l’univers d’où l’on vient renaître dans cesse. La question du temps qui est pourtant lié à la matière n’est pas abordée. On en vient à tenir pour réaliste cette vision schématique qui pose les fondations d’un espoir à peine dissimulé de vie éternelle. Quand bien même on se sait disparaître dans la phase actuelle (notez l’obligation d’en appeler à un sur-temps) on renaît enfin pour la seule raison que la matière dont nous sommes fait ne disparaît jamais, un autre nous-même modifié par les affres du hasard redistributif.
Ce passage sous silence de la nature du « ce dans quoi » l’univers évolue, du statut du temps qui paraît chapeauter l’ensemble de la vision me dérange assez pour invalider qu’on touche ici au réel. Ou bien penser qu’on l’aura seulement effleuré devrait nous dispenser d’en tirer un sentiment rassurant.
« Ce dans quoi » l’Univers évolue nous ne le savons pas, peut-être dans « rien ». Pourquoi voudriez vous donc que j’en parle? Parler de ce que l’on sait ou de ce que l’on entrevoit ou de ce qu’on peut légitimement supposer n’est déjà pas mal! On ne vas pas attendre de TOUT savoir pour en parler!
Pour être un peu plus précis (je repars sur le « rien »), il est évident que l’observateur ne peut être extérieur à l’Univers. C’est par ce qu’on observe, évidement de l’intérieur, qu’on peut faire des déductions et puis nous avons la vitesse finie de la lumière qui nous permet de capter les sources des plus anciennes émissions, comme celle du rayonnement fossile (CMB) et de voir donc l’univers actuel à tous ses âges depuis (presque) son origine et d’extrapoler sur la suite (nous avons des bases solides comme l’expansion, l’accélération de l’expansion et la gravité). Pour ce qui est de l’extérieur de l’Univers, en supposer un serait supposer qu’il existe un néant entourant le monde réel et l’on peut plutôt supposer, bien que cela semble étrange, qu’il n’y a proprement rien en dehors de l’Univers qui est illimité sans être infini. C’est d’ailleurs implicitement dans la théorie de la CCC. Lorsque la matière disparait, la structure subsiste mais l’échelle change. La Science nous a déjà habitué à des phénomènes étranges et apparemment inacceptables comme la physique quantique. Lorsque l’on considère l’Univers il faut accepter de changer ses paradigmes et d’être ouverts aux solutions explicatives proposées pourvu qu’elles soient logiques mais avoir la patience de ne pouvoir pas tout comprendre.
Bien entendu ma précédente réflexion ne conduit pas à s’interdire de spéculer. Et il serait d’autant plus idiot de balayer la construction de Penrose pour la simple raison qu’elle ne résout pas d’un coup tous les problèmes de représentation du monde. Elle est évidemment admirable comme l’est l’esprit de son auteur.
C’est le sentiment rassurant qu’on en tirerait qui éveille en moi une dissonance que je suis poussé à partager. Et pour l’illustrer je m’en réfère à une réponse que vous faites plus bas : sur ce qui différencie la bactérie d’un autre phénomène physique sans conscience. Pour ma part, et j’en reviens par là à notre précédent échange, rien ne différencie le vivant de son environnement sinon autrement que par une échelle d’organisation. Et si j’insistait sur le problème de s’extraire du théâtre universel par l’expérience de la pensée, c’est parce que je ne peux m’empêcher d’y voir le signe des forces qui nous organisent dans le seul déroulement permis, et qui revient à constituer une image échappatoire, la marque des forces en jeux en notre sein. J’ai l’intuition que le néant n’a nul besoin « d’entourer » l’univers, il lui suffit de clore les étapes successives des nombreuses transformations dans tous les sous-phénomènes physiques locaux. Ainsi, nous disparaissons bel et bien tandis que nos atomes s’agitent vers d’autres projets.
La vision de Penrose même si elle touche au réel n’est en rien rassurante, justement parce que la perpétuité de l’univers vu d’un observatoire qui ne doit sa préservation qu’à l’exercice de la pensée au cours de sa dilution inexorable n’empêche pas son perpétuel anéantissement.
Cher Monsieur,
Merci pour votre intéressante réflexion. Je partage votre point de vue sur la vie comme organisation de la matière. Je partage aussi votre admiration pour l’esprit puissant de Roger Penrose. Sur le fond je pense quand même que la possibilité, toujours théorique, de la continuité de l’Univers est quand même rassurante et de ce fait, émotionnellement séduisante.
Nous sommes chacun et tous collectivement comme des mandalas que les Thibétains dessinent sur le sable avec le plus grand soin et qu’ils détruisent brusquement lorsqu’ils estiment qu’ils les ont terminés. Il n’y aura certainement rien de nos organismes qui subsistera une fois que nos mandalas personnels et collectifs seront effacés. Cependant il restera, peut-être (dans cette hypothèse), le « sable » dont nous étions faits et si c’était le cas, je trouve que cela serait, aujourd’hui, une sorte de réconfort minimum. Dans cet esprit, je ressens un peu ce que Rupert Brooke devait ressentir quand il écrivait dans son poème the Soldier, « A dust that England bore, shaped, made aware » (même si la disparition à laquelle nous serions exposés à la fin de notre éon serait beaucoup plus « sévère » que la sienne puisqu’il supposait à juste titre que ses compatriotes se souviendraient de lui). D’autant que comme nous connaissons encore très peu de choses de ce monde et de ceux qui peut-être suivront, il pourrait y avoir une « intelligence au-dessus de tout » qui serait satisfaite de sa création effacée au point de tenter d’en faire une autre plus belle et de continuer ainsi son rêve éternel. C’est cela l’espérance. Et s’il n’y avait aucune intelligence-au-dessus-de-tout, il resterait le sable. Ce serait mieux que rien !
C’est précisément « l’inattention à nos intérêts végétatifs » qui conduit les hommes à polluer tant et plus.
Vous m’avez mal lu. J’ai écrit qu’il ne fallait pas porter une attention démesurée à nos petits intérêts végétatifs. Vous avez lu « démesurée » ? C’est justement là où est le problème. Il est normal de se préoccuper de sa vie, de sa santé, de celle des autres et de la qualité de l’environnement mais il est excessif de ne penser qu’à ça ; et il me semble que c’est malheureusement dans ce sens qu’évolue notre société.
Par ailleurs je pense que c’est le progrès qui nous permettra d’améliorer notre environnement et l’exploration spatiale fait partie de ce progrès. Je vous accorde que la compréhension de la CCC est au-delà de ce qu’il est nécessaire de maîtriser pour améliorer cet environnement mais je ne vois pas l’intérêt de vivre si ce n’est pour progresser dans la Connaissance (pourvu bien entendu que l’on puisse survivre).
Il est extraordinaire de considérer à quel point nous avons la tête pleine de questionnements pour nous la creuser jusqu’à l’épuisement… savoir que je ne sais rien me permet de m’amuser de tout et d’être néan(t ;-)moins prêt aux surprise les plus folles !…
Un p’tit merci à vous Monsieur Brisson, d’agrémenter notre quotidien stratusséen… et à une éventuelle prochaine fin de semaine sur Mars, où nous attend déjà mon pote Jimmy (Hendrix)… nous y avons un modeste (mais confortable) pied-à-Terre ! 😂
Chris Amiko
Je suis celte et j’ai su depuis ma petite enfance que tout est cyclique, ni début ni fin mais que chaque chose à son rôle à jouer dans ce cercle de l’infini.
Comme Roger Penrose l’écrit dans son livre (“Cycles of Time An Extraordinary New View of the Universe”, Vintage Books, 2010, traduit en français sous le titre “Les Cycles du temps – Un nouvelle vision de l’Univers”, Odile Jacob-Sciences, 2013) : « L’origine de cette approche personnelle assez hétérodoxe remonte à l’été 2005 … Le scénario que je défends est effectivement assez peu orthodoxe … Le modèle que je propose n’est pas sans rappeler fortement par certains côtés le vieux modèle stationnaire ! ».
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Le modèle stationnaire, ou “théorie de l’état stationnaire” (“Steady-state theory”) était celui de Fred Hoyle, Hermann Bondi et Thomas Gold qui s’opposaient farouchement à celui du “Big Bang”, un nom donné par dérision par Fred Hoyle au modèle d’Univers fondé sur l’hypothèse de “l’atome primitif”, comme début d’un Univers en expansion, du chanoine Georges Lemaître dès 1927. Le modèle stationnaire commença à être réfuté dès 1965 entre autres par la confirmation de l’existence du rayonnement du “fonds diffus cosmologique” à 2,7 K (FDC, “cosmic microwave backgroung”, CMB en anglais), découvert par Arno Penzias et Robert Wilson, mais qui avait été prédit dès 1948 par George Gamow, Ralph Alpher et Robert Herman, et même déjà mesuré vers 1955 par le radioastronome Émile Le Roux (qui publia ses mesures en 1957), ce qu’on oublie trop souvent de dire. Finalement le Big Bang devint la base du modèle cosmologique standard, ou “modèle standard de la cosmologie” qui est la description actuelle communément admise. Le modèle stationnaire défendait l’idée d’un Univers toujours pareil à lui-même, sans évolution, ayant existé depuis toujours et continuant d’exister pour toujours. Le Big Bang met en évidence le fait que l’Univers a évolué depuis un état primordial très simple (et donc de très faible entropie), s’est complexifié et continuera de parcourir une trajectoire proprement historique vers un état (de haute entropie) que l’on devine maintenant comme devant être de plus en plus dilué, toutes les galaxies s’éloignant irrémédiablement les unes des autres et cela, nous le savons depuis 1998, de façon accélérée.
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Einstein ne serait sans doute pas le dernier à oser publier une nouvelle conception du monde qui permettrait de sauver le caractère permanent de l’Univers dans le passé et le futur. Il ne faut pas parler ici d’éternité (qui est proprement dit l’absence de temps), mais de perpétuité qui est un temps qui a toujours duré et qui durera toujours et d’un Univers qui traverse ces éons en se renouvelant comme un phénix sans cesse renaissant. C’est la conviction à la base de cette théorie “cosmologique cyclique conforme” CCC. On se heurte bien sûr immédiatement à deux aspects : celui du perpétuel retour du fait du caractère cyclique et à la notion d’infini dans le temps et aussi dans l’espace et donc également dans la masse et l’énergie de l’Univers. C’est là que se fait le partage des visions philosophiques : l’histoire de l’Univers est-elle unique ou bien est-elle la suite de cycles perpétuels, et peut-il exister des infinis en acte, concrètement réalisés en ce monde et pas seulement dans nos têtes pensantes quand elles font des mathématiques ? La construction que présente Roger Penrose est certes passionnante, mais, comme il le reconnaît, lui-même, elle est tout à fait hétérodoxe.
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Toute théorie doit faire des prévisions d’effets, de faits patents, même subtils, qui peuvent être soumis à des mesures expérimentales, même très raffinées. Si l’on y arrive, la théorie n’a pas été falsifiée, mais elle ne devient pas pour autant “la théorie vraie” finale pour toujours. Selon Karl Popper, la science procède par falsifications successives, mais ne promeut qu’une théorie meilleure, plus vaste dans ses prédictions qu’une théorie ancienne moins bonne dans ses prévisions. À ce jour, et Roger Penrose le confesse, aucune prédiction proposée par sa théorie CCC n’a encore été vérifiée. Terminons par une citation d’Einstein dans une lettre d’août 1942 à son très cher ami, Michele Besso. Il y propose une conception unitaire du champ total (gravitationnel et électromagnétique) avec plusieurs systèmes d’équations : « L’intégration est cependant compliquée, et il ne sera guère possible de dire de sitôt si ce beau château en Espagne a quelque chose à voir avec l’œuvre du Créateur. Seulement lorsque j’aurai moi-même une conviction tant soit peu fondée là-dessus, je te le ferai savoir volontiers ».
En fait , cette théorie, qui n’est pas nouvelle, à déjà été récusée :
http://www.astrosurf.com/luxorion/cosmologie-cyclique-conforme.htm
La théorie CCC n’a pas été « récusée » comme vous dites. Pour le moment on n’a pas pu en obtenir de preuves. Les « points de Hawking » que les premiers observateurs avaient cru voir, n’en étaient pas. Je ne dis d’ailleurs pas le contraire. Absence de preuve n’est pas preuve de l’absence!
Merci pour cette introduction à la CCC de sir Penrose.
Les termes de vie et de mort, de naissance, d’origine et de fin sont-ils bien pertinents lorsqu’on ne parle pas d’être vivants.
Les trous noirs ne naissent ni ne meurent.
La question de l’origine est une question dont on peut très bien se passer.
Ceci dit, chacun se pose les idées qu’il aime se poser.
Comme vous dites, chacun se pose les questions qu’il aime se poser.
Evidemment on ne peut considérer qu’un trou noir est un être vivant au sens stricte mais l’évolution des matières et des phénomènes peut s’apparenter à la vie. Ils naissent, se transforment et sont détruits, certes sans conscience mais la bactérie n’a pas non plus une conscience très développée (à part l’instinct de conservation et de pérpétuation…ce qui n’est pas rien et qui fait la différence, j’en convient).
Sur le fond, bien sûr que les trous noirs ont une histoire. Ils on un début (l’effondrement gravitationnel d’une étoile suffisamment massive – à part les trous noirs primordiaux). Ils évoluent en absorbant la matière dans leur sphère d’influence gravitationnelle et ils peuvent théoriquement mourrir par rayonnement de Hawking…sur une très longue période évidemment.