EXPLORATION SPATIALE - LE BLOG DE PIERRE BRISSON

Dans un an, en Avril 25, SPHEREx, un nouveau télescope de la NASA doit être envoyé dans l’espace. Il doit nous permettre de « voir » les grandes structures de l’Univers, telles qu’elles existaient lors de la phase de Réionisation* (entre 400 millions à 1 milliard d’années après le Big Bang) et d’en extrapoler grâce à notre connaissance du Fond Diffus Cosmologiques (« CMB », 380.000 ans après le Big-bang), la répartition dynamique des densités de masse depuis la phase d’Hyperinflation (au cours des premières fractions de seconde suivant le Big-Bang), donc l’Evolution depuis le tout début de l’Univers.

*lire à ce propos le commentaire de Christophe de Reyff sur mon article du 29/07/23.

Pour mémoire, la Réionisation résulte de la re-concentration de la Matière en étoiles, en trous-noirs (même s’il existe sans doute des trous noirs primordiaux) et en galaxies, après que la Matière se soit suffisamment dispersée dans l’Univers du fait de son expansion. La re-concentration provoquant à nouveau la dissociation d’électrons des noyaux des atomes et donc le rayonnement des étoiles. La Réionisation est la longue période de notre Histoire au cours de laquelle les lumières se rallument peu à peu dans le brouillard d’hydrogène des Âges Sombres. En effet, après la libération de la lumière à partir de la surface dernière diffusion (autre appellation du CMB, proprement « Cosmic Microwave Background »), les irrégularités de densité de la Matière n’avaient pas suffisamment de force relativement à la gravité générale de la masse de l’Univers, compte tenu de la puissance de l’expansion, pour constituer ces étoiles et galaxies. Il a fallu que l’expansion ait duré un minimum de temps et que des distances suffisantes se soient creusées entre les irrégularités (les futures galaxies ou amas de galaxies et, en leur sein, les futures étoiles) pour que les centres de ces irrégularités puissent s’exprimer en nombre suffisant. C’est pour cela qu’il est utile de comparer ces concentrations aussi loin que l’on peut vers le CMB, avec les anisotropies que montre ce CMB et, dans l’autre sens, avec le plus grand nombre possible de structures dans l’Univers « contemporain » c’est-à-dire à faible redshift (décalage vers le rouge, indicateur de la vitesse d’éloignement donc de la distance, du fait de l’expansion). La dynamique qui s’est développée entre le CMB, les premières masses rayonnantes et l’Univers contemporain, peut permettre d’extrapoler dans l’autre sens, vers le Big-Bang, « en deçà du miroir » de la CMB.

Il faut aussi noter que du fait de la dilatation de l’Espace dû à l’expansion de l’Univers, les émissions reçues des objets les plus lointains sont fortement décalées vers le rouge (effet Doppler/Fizau). Ainsi l’émission primordiale du CMB est aujourd’hui reçue en ondes millimétriques (en températures moyennes, de l’ordre de 3K alors qu’il était probablement à l’origine, 380.000 ans après le Big-Bang, de l’ordre de 3000K). On ne perçoit donc qu’au mieux en infrarouge les émissions des premières galaxies même si à l’origine elles pouvaient être en ultraviolet. Par ailleurs, l’infrarouge exprime toutes sortes de différentiels de chaleur, de sources visibles ou non, y compris donc de masses de poussière ou de gaz non suffisamment concentrées pour s’allumer en galaxies ou encore de sources cachées par la poussière. Cette dernière propriété sera largement exploitée par SPHEREx qui va prendre en compte en même temps les émissions provenant de centre déterminés (« visibles ») et la chaleur diffuse de sources invisibles.

SPHEREx est l’acronyme de Spectro-Photometer for the History of the Universe, Epoch of Reionization, and Ices Explorer. C’est un télescope exploitant le spectre infrarouge des émissions électromagnétique, d’un diamètre de 20 cm d’ouverture et d’un champ de vision de 11° x 3,5°. Il est équipé d’un « spectrophotomètre », instrument qui mesure à la fois le spectre de la lumière émise par chaque source et, pour chaque longueur d’onde de ce spectre, l’énergie portée par les rayonnements. Le télescope est sensible aux longueurs d’ondes allant de 0,75 à 5 µm (µm = micromètre ou micron), juste après le spectre de la lumière visible (allant, lui, de 0,38 à 0,75 µm). A l’intérieur de ce segment de spectre, le spectrophotomètre de SPHEREx sera capable de dissocier 96 longueurs d’ondes, ce nombre, excédant de beaucoup la capacité des instruments précédemment utilisés.

Le satellite porteur du télescope est petit (178 kg dont 74 kg pour l’instrument lui-même), sans aucune partie mobile (ce qui est une garantie de robustesse). Il comprend trois capteurs de chacun 4 mégapixels maintenus à une température de 80 K, et trois autres de 4 mégapixels maintenus à une température de 55 K (donc très au-dessus de la température actuelle du CMB mais celui-ci n’est pas l’objet de l’observation). Le système de refroidissement est entièrement passif (ce qui est également un grand avantage par rapport aux instruments qui nécessitent un refroidissement par liquide cryogénique). L’isolation/radiation se fait par trois corolles (comme celles d’une fleur) de matériaux adaptés. Par ailleurs l’orientation/attitude du satellite porteur est soigneusement calculée pour que le télescope ne soit jamais orienté vers le Soleil. Il en sera de plus protégé par les panneaux solaires fournisseur de l’énergie nécessaire à son fonctionnement qui eux seront en permanence exposés (perpendiculairement) aux rayons du Soleil.

Le satellite évoluera sur une orbite terrestre à seulement 700 km d’altitude (on est donc encore en orbite basse) mais ce sera une continuité d’orbites polaires. Chaque prise de vue (du même objet) sera effectuée dans six longueurs d’onde différentes. La suite des prises de vues formera un cercle complet faisant un angle de 90° par rapport au Soleil (pour que le télescope en reste protégé). Ce grand cercle parcourra 360° au cours de chaque année. La mission sera menée sur deux ans. Chaque « tranche » du ciel sera couverte en quelques jours, le ciel complet étant balayé en 6 mois. Chaque point du ciel sera donc observé quatre fois (sur 24 mois) et produira 14 milliards de mesures spectrales distinctes pour chacun de ses quatre relevés (ce qui représente « un certain nombre » de données – euphémisme – , transmises régulièrement au sol !). Ces observations multiples permettront une véritable vision en 3D de l’Univers (précisée aussi par la perception de la polarisation de la lumière par le spectrophotomètre).

Les points « intéressants » détectés par SHEREx pourront être observés ensuite par les grands télescopes dont l’humanité dispose aujourd’hui, dont le JWST ou les grands télescopes terrestres (dont le télescope géant Magellan, « GMT » dont la mise en service est prévue pour 2029). Réciproquement une attention particulière sera portée par les utilisateurs de SPHEREx sur les sujets d’observation peu clairs détectés par les grands télescopes déjà en service.

Les données recueillies par SPHEREx seront appréciées selon plusieurs objectifs. Il est évident en effet que, puisque ce télescope captera des émissions aussi bien proches (à l’intérieur de notre galaxie) que lointaines, on pourra exploiter aussi bien les unes que les autres. Les trois objectifs principaux sont :

1) Cartographier les positions de 450 millions de galaxies en trois dimensions, à la recherche de signes d’inflation cosmique. L’expansion extrêmement rapide qui a eu lieu au cours de l’Hyperinflation, a pu produire des ondulations dans la densité de la matière qui a formé les premières galaxies.

2) Etudier l’époque de la Réionisation pour comprendre la formation des premières galaxies puis leur évolution sur des milliards d’années.

3) Cartographier l’ensemble du ciel pour obtenir une carte spectrale détaillée de la Voie lactée. Les scientifiques du CfA (Center for Astrophysics, une collaboration entre le Smithsonian Astrophysical Observatory et le Harvard College Observatory) dirigent un des programmes de SPHEREx qui veut étudier le contenu chimique des systèmes stellaires en formation. On doit ainsi pouvoir, en particulier, localiser des molécules qui ont permis sur Terre l’émergence de la vie (compte tenu des longueurs d’onde « visibles » par le télescope) : l’eau, le dioxyde de carbone, le méthanol et le monoxyde de carbone.

La mission, proposée en 2016 par James Bock, chercheur au CalTech, a été sélectionnée par la NASA en 2019, comme mission MIDEX (plafonnée à 250 millions de dollars hors frais de lancement) de son programme « Explorer » (coût modéré, fréquences rapprochées). Concrètement, l’instrument est réalisé par le JPL avec le concours de l’Institut d’astronomie et des sciences spatiales de Corée (tests et analyse des données). Le lancement devait avoir lieu en Juin 24 mais il a été reporté à Avril 25. La collaboration SPHEREx chargée d’exploiter les données reçues sera dirigée par des chercheurs du Caltech et du Jet Propulsion Laboratory de la NASA.

Après plusieurs autres missions couvrant l’ensemble du ciel (comme IRAS, COBE ou WISE), SPHEREx sera la première l’observant en proche-infrarouge. Cet instrument va donc nous permettre de connaître encore mieux notre Univers. Compte tenu de la difficulté due aux dimensions, on est forcé de procéder par petites touches et souvent indirectement (comprendre l’Inflation !) mais le tableau s’éclaircit lentement, au fur et à mesure que l’information se densifie…comme la matière au sortir des Ages Sombres.

Illustration de titre : SPHEREx en situation d’observation. Capture d’écran site de la coopération.

Liens :

https://spherex.caltech.edu/

https://fr.wikipedia.org/wiki/SPHEREx

https://www.jpl.nasa.gov/missions/spherex

https://science.jpl.nasa.gov/projects/spherex/

https://science.nasa.gov/mission/spherex/

https://www.science-et-vie.com/ciel-et-espace/spherex-nasa-mission-galaxies-118451.html

https://www.cfa.harvard.edu/facilities-technology/telescopes-instruments/spherex

https://spaceflightnow.com/2019/02/14/nasa-selects-mission-to-probe-the-history-of-galaxies/

https://www.google.com/search?q=reionisation&rlz=1C1VDKB_frFR935FR935&oq=reionisation&gs_lcrp=EgZjaHJvbWUyBggAEEUYOTIHCAEQABiABDIICAIQABgKGB4yCggDEAAYChgPGB4yCAgEEAAYDxgeMgoIBRAAGAoYDxgeMgoIBhAAGAoYDxgeMgoIBxAAGAoYDxgeMggICBAAGAoYHjIGCAkQABge0gEINDMzOGowajeoAgCwAgA&sourceid=chrome&ie=UTF-8

#SPHEREx

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4 Responses

  1. Bonjour Pierre Brisson

    oui en effet ces recherches sont fantastiques car en fait depuis quelques temps nos savants decouvrent des structures telles que trous noirs primordiaux qui semblent presentes avec beaucoup trop d avance sur les predictions theoriques a tel point que certains cosmologistes ont fait l hypothese que notre univers serait beaucoup plus ancien que annonce jusque la : a suivre.
    A part cela STARSHIP c est pour tres bientot !

    1. Comme déjà dit ici, des trous noirs primordiaux (TNP), invisibles par définition, seraient de bons candidats pour la matière noire.
      Théoriquement, on peut envisager des micro-trous noirs ayant seulement la masse de Planck (2,177 10^-8 kg, soit 21,77 microgrammes), mais, du fait que les trous noirs « s’évaporent » (par rayonnement de Hawking) d’autant plus vite qu’ils sont petits, ces micro-trous noirs, s’ils avaient jamais existé, auraient tous déjà disparus depuis longtemps. La limite inférieure pour la masse d’un trou noir encore existant serait de 1,73 10^11 kg, dont le temps d’évaporation est tout juste celui de l’âge de l’Univers (~13,793 milliards d’années). Mais son « rayonnement de Hawking », jusqu’à des rayons gamma en l’occurrence, le rendrait « observable ». On pourrait avoir des TNP de masses allant de cette masse minimale jusqu’à des centaines de milliers de fois celle du Soleil. Ces plus gros trous noirs seraient encore infiniment loin de s’évaporer et donc resteraient invisibles pour longtemps.
      D’autre part, une partie de la matière noire pourrait être de la matière baryonique ordinaire « froide », donc ne rayonnant pas et restant invisible. L’existence de la matière noir est supputée par sa seule action gravitationnelle. Aussi bien de la matière baryonique ordinaire que des TNP (dont la masse n’est pas baryonique !), ou d’hypothétiques nouvelles particules encore inconnues, feraient l’affaire.
      À moins que, comme alternative hardie, il ne faille corriger les théories de la gravitation (newtonienne ou einsteinienne), par exemple, avec la MOND, pour « Modified Newtonian Dynamics — théorie dynamique newtonienne modifiée ». Ne pas oublier que la matière noire (26,8%) devrait être 5,5 fois plus abondante que la matière ordinaire visible (4,9%). Le « reste », soit la majeure partie de la masse-énergie de l’Univers, est constitué de l’énergie sombre (68,3%), dont l’existence, à son tour, pose d’autres problèmes…

      1. Merci Monsieur de Reyff.
        La matière noire et l’énergie sombre font l’objet de plus en plus de recherches et d’hypothèses.
        Cependant elles n’ont jusqu’à ce jour de réalité que dans les effets qu’elles provoquent: la matière noire par ceux qu’a sur elle la force de gravité et l’énergie sombre par l’accélération de l’expansion de l’Univers baryonique.
        Comme vous le suggérez nous sommes toujours en plein « brouillard »!

  2. Permettez-moi quelques précisions !
    C’est l’inverse, car c’est la matière noire, du fait de la masse importante qu’elle représente, et quelle que soit son « identité » encore à déterminer, qui exerce une gravité sur la matière baryonique ordinaire, provoquant des perturbations dont nous mesurons l’ampleur.
    C’est l’astrophysicien suisse Fritz Zwicky qui a été le premier à mettre en évidence cela dans la rotation « anormale » des galaxies dès 1933 :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Fritz_Zwicky#Matière_noire.
    Quant à l’énergie sombre, elle s’exerce sur l’espace lui-même qu’elle dilate, et non pas directement sur les baryons qui constituent les astres de l’Univers visible. La répulsion, ou antigravitation équivalente, qui semble en résulter n’est que l’apparence d’un phénomène plus profond qui agit sur le « tissu » de l’espace. Les galaxies et les systèmes stellaires ne gonflent pas, ne se dilatent pas eux-mêmes, mais bien l’espace entre notre Groupe Local, au minimum, encore et toujours bien tenu ensemble par la gravitation, et les autres galaxies.
    Il y a pourtant des essais de calculs d’effets de l’expansion de l’Univers au sein de notre Système solaire et même du système Terre-Lune. On sait que la Lune s’éloigne de la Terre à raison de 3,83 cm par an grâce aux mesures laser directes de la distance (LLR, lunar laser ranging). Mais cette vitesse de récession de la Lune est due à un effet de marée exercé par la Terre qui, en compensation, ralentit lentement sa rotation, la durée du jour (LOD, length of day) croissant de quelque 2 millisecondes par jour par siècle (une valeur qui, actuellement, décroît avec le temps, car d’autres phénomènes tectoniques, glaciologiques et atmosphériques, s’y ajoutent et contrarient ce freinage inéluctable). Le Pr André Maeder, de l’Université de Genève, pense de son côté, qu’une majeure partie de cet effet de récession de la Lune pourrait être due à l’expansion de l’Univers (près de 72%, soit 2,75 sur 3,83 cm/an et seulement 1,08 cm/an résulterait d’un effet de marée dû à la Terre !).

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À propos de ce blog

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l’Association Planète Mars (France), économiste de formation (University of Virginia), ancien banquier d’entreprises de profession, planétologue depuis toujours

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